Extraits J’écris
l’histoire. C’est un policier.
Scénario simpliste : un voleur sonne à ma porte, je lui ouvre innocemment, il m’assomme, j’appuie, à moitié inconsciente sur le bouton couleur bordeaux qui pendouille au milieu de ma poitrine. (Pourquoi cette couleur ? Pour se consoler des petits verres qu’on ne peut plus boire, je suppose. Les industriels ont tous les trucs.) Une voix m’appelle aussitôt dans le haut-parleur du téléphone, me demande si ça va. Le bandit, imitant ma voix (il est vraiment doué) dit que oui, oui, j’ai appuyé par inadvertance. Le gars de la centrale n’y voit que du feu. Je tombe dans le coma. L’autre descend à la cave et trouve ma cachette, il fourre mon coffret à bijoux dans une de ses poches, puis il remonte et prend mon portefeuille dans le tiroir de la dresse. À ce moment-là, je me réveille plus ou moins. Et alors… Version crapuleuse : il m’écrase la tête avec l’angelot en bronze qui trône sur la console du couloir. Je ne sais pas si je survis. Sans doute pas, ou encore plus mal qu’aujourd’hui. Version perverse : il me viole en prenant son temps sur le divan du salon. C’est un amateur de vieilles dames. Version deux fois perverse : il ouvre une de mes bouteilles de Saransot attrapée dans la cave et il se saoule, puis me viole quand même sur le divan. Ou pas, ça dépend de son degré de folie. De toute façon, je ne sens rien puisque je suis dans le coma. Et si je suis morte, c’est de la nécrophilie. Tu vois que question vocabulaire, je peux en remontrer à plus d’un. Les sonneries m’empêchent de penser. Ou alors c’est cette histoire de nécrophilie. Je ne parviens pas à imaginer la suite. Je sombre dans la mauvaise humeur. *
Je regarde la photo de quand tu étais petit. Une photo d’école où tu es souriant. Il y a tes yeux clairs et ton épi impossible. Ton pull à lignes que j’aimais bien. C’est mauvais pour moi de faire ça. Aussi, c’est la faute du livre de Yasmina Reza. Elle raconte des choses que j’ai vécues avec mon petit garçon : il me reconnaît de l’autre côté de la rue et il dévale le square Saint-Germain pour se jeter dans mes bras. C’est surtout l’autre page qui me tue : « Un jour, je ne pourrai plus tourner, ni t’avoir dans mes bras, bientôt tu seras trop lourd, trop grand, et tu ne courras plus… » Je n’arrive même pas à recopier la phrase tout entière. Le pire, c’est que tu dois avoir lu ces lignes, puisque ce sont TES livres, là, au bout de mon corridor, entassés depuis des mois, peut-être davantage. Tu sais donc qu’une mère peut souffrir de ne pas pouvoir serrer son garçon dans ses bras. Parfois simplement de ne pas le voir. De ne pas entendre sa voix. Alors, à quoi bon t’écrire ? De toute façon, je me suis juré que je ne me plaindrais plus. Tant de femmes ont vu leurs enfants souffrir, être malades ou kidnappés, qu’aucune ne devrait se plaindre de quoi que ce soit d’autre. Ceci étant dit pour te prouver mon aptitude à la Raison raisonnable et à l’acceptation de la Vie, telle qu’elle est. Rectification : quand j’y pense, je me sens quand même mal à propos de la Vie. Il y en a deux, de vies, tu sais : celle avec un grand V, qui vaut la peine, qui veut qu’on soit estimé de tous, honnête, brillant, glorieux, celle qui mérite tous les sacrifices, et puis l’autre. Eh bien, malgré tout, je ne suis pas prête à faire honneur à la première. Je préfère la vie avec un petit v, comme va comme je te pousse et viens manger des oeufs au lard. Celle qui passe sans qu’on s’en aperçoive et à laquelle on tient comme à une paire de pantoufles, bonnes à jeter. Oui, je préfère celle-là. Celle du temps où j’appréciais l’odeur du pain fraîchement livré et du café du matin sans même y penser.. |
Ce qu'ils en ont dit |
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Estelle
est
une octogénaire handicapée de la marche et de la
respiration. Elle
vit néanmoins seule, en autonomie, dans sa propre maison,
entourée d’un
kiné, d’une aide ménagère, de bénévoles, de voisins... Son
fils lui
manque. Écrivain et journaliste, il vit dans la capitale,
loin. Elle
décide donc d’utiliser l’ordinateur de seconde main qui
lui fut offert
pour lui écrire son existence journalière, ses pensées,
ses obsessions,
ses envies, ses lectures favorites.
Ainsi se dessine un des axes de ce nouveau roman d’Annie Préaux, « J’ai immédiatement écouté les conseils de Dieu » : la littérature et son rapport au réel. En effet, la vieille dame qui a le « cerveau fictionneur » entame, mine de rien, une réflexion sur la frontière qui sépare réalité et fiction, vécu et fantasmé, assumé et imaginé. S’y ajoutent des remarques à propos du rôle du livre, des lecteurs. Car « Les livres qu’on lit, c’est comme un train qui vous emmène, un avion, ou quelque chose de plus lent, de beaucoup plus lent d’ailleurs : par exemple les pieds du personnage qui part, qui s’enfuit ». En périphérie, voici que sont abordés d’autres thèmes. Celui de la différence et de la tolérance à travers la relation d’Estelle et de Jasmine, son aide familiale belge d’origine marocaine. Celui des rapports mère-fils, grands-parents petits-fils, des familles monoparentales quand le papa est décédé trop tôt et surtout du vieillissement qui altère les potentialités physiques et les facultés de la pensée. Celui encore des liens qui unissent vivants et décédés, entre autres à travers le personnage du chien empaillé du salon. Celui enfin de la solitude engendrant, dit-elle, « ces idées qui agitent régulièrement mes méninges et qui, comme tu as déjà pu la remarquer, m’amènent à m’inventer un monde bien à moi ». Au lecteur d’Annie Préaux de réagir comme Estelle : « J’aime bien les romans. J’entre dedans et parfois, je n’ai pas envie d’en sortir. J’aime batifoler avec des gens qui n’ont pas d’existence vraie et qui auraient pu être moi, ou me connaître, me côtoyer ». Il y a matière dans ce livre-ci doté d’un style qui épouse la fluidité de la parole au quotidien! Michel Voiturier, Reflets Wallonie-Bruxelles *
Un roman "vrai" : réaliste avec de larges touches de... surréalisme, de sensibilité et d'humour, les couleurs multiples de la vie. Une belle écriture, simple, directe, efficace, au service du personnage. Un livre dans lequel le lecteur entre avec aisance parce qu'il s'y trouvera lui-même un peu, ou beaucoup. Marie-Claire George, blogs.sudinfo.be *
Voilà un livre qui vous laisse abasourdi d’émotion, qu’on ne lâche plus, de la première à la dernière ligne, et qu’on referme à regret, certain de ne jamais oublier les personnages plus vrais que nature dont Annie Préaux nous parle et qu’elle plonge dans une histoire au quotidien si proche qu’on a l’impression de la vivre. On n’oubliera pas cette Estelle, vieille dame impotente et malicieuse qui parle dans le vide à un fils qui ne vient jamais la voir, à une jeune et poignante aide-ménagère, à des connaissances qui lui rendent visite, tous seuls, comme elle, tous en demande d’amour, et c’est vrai qu’ils ressemblent souvent à nos voisins de palier, tous nous rappellent quelqu’un, nous ressemblent, et on n’en finit pas de s’émouvoir, de voir passer sous la loupe de la vieille Estelle nos propres errances, manques et défaillances mises à nu. Rien ne se répare, affirme-t-elle par le truchement de Kundera, et le lecteur touché par ses flèches devient aussi immobile et silencieux que Sioux, le chien empaillé témoin muet de cette histoire tirée de la vraie vie. Il y a aussi l’imaginaire riche, inventif, terriblement livresque d’Annie Préaux qui nous livre ici le meilleur de son art, depuis La Coréenne qui avait reçu en 1990 le prix RTL-TVI. Marguerite Duras définissait ainsi le roman : de l’émotion, de l’émotion, et encore de l’émotion. La romancière, et aussi animatrice d’atelier d’écriture, Annie Préaux, a ici appliqué à la lettre ce beau précepte. Anne-Michèle Hamesse, Nos Lettres *
Estelle, la tricoteuse de mots Bienvenue à l'Estelle Club : la narratrice du dernier roman d'Annie Préaux, bien qu'âgée et à demi impotente, vit entourée d'une belle galerie de personnages hauts en couleur. Cloîtrée chez elle, Estelle raconte les petits potins de son existence à son infirmière surnommée Madame Derrière, à son confident Théodore qui lui narre la guerre et les camps, à Joël-le-kiné, par ailleurs gay, à Leila la coiffeuse, a Marcelline, sa sœur en vieillesse de 70 ans passés et, surtout, à Jasmine, son aide-ménagère, que la vie n'épargne guère. Sans oublier Sioux, le beau berger allemand empaillé qui maintient vivant le passé de la vieille dame. Cet univers se double de livres, ceux d'Alain-Fournier, Romain Gary, Marie Ndiaye, Milan Kundera, Philip Roth... La littérature est bien présente, d'autant que le fils de la narratrice est lui-même écrivain. Bien que, de ses livres, il n'en soit jamais question... Accrochée à son ordinateur, Estelle s'est lancée dans un long soliloque avec ce fils-écrivain, à travers une « espèce de journal qui n'en est pas un puisque je n'indique pas les dates ». Elle se construit une petite philosophie de la vie, avec quelques provocations à la clé, comme lorsqu'elle évoque « un plat de je ne sais plus quoi à la sauce Alzheimer » ou « une vieille entribunée ». À travers ce tricotage de mots, le lecteur découvre que le fils brille plutôt par .son absence, à tel point que nous finissons par douter de son existence. Quoi qu'il en soit, Estelle trouve auprès de Jasmine une complicité qui va grandissante, à travers une relation franche et directe, tissée d'affrontements et de défis, sans oublier un humour assez direct, voire irrévérencieux, qui leur permettra de surmonter les aléas de la vie dans un dénouement où se télescopent le réel et la fiction. Michel Torrekens, Le Carnet et les Instants. *
Interview par
Jacqueline Rousseaux dans le cadre de la 11ème Foire du
Livre Belge d'Uccle
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Un livre à lire absolument.Très sensible, émouvant et loin d'être dénué d'humou?.J'attends avec grande impatience son prochain livre Rouhart, Babelio. |