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Extrait C’était
l’été.
La foire du Midi. Nous nous étions donné rendez-vous
devant le Palais des Glaces. J’avais une demi-heure
d’avance et je battais la semelle dans le tohu-bohu et les
odeurs de frites. J’avisai l’antre d’une voyante
extra-lucide. Je n’y croyais pas, bien sûr. On n’y croit
jamais, mais on y va quand même.
Je soulevai le lourd rideau de velours mauve, et fus saisi par une odeur très… comment dire… orientale. Un parfum de musc et de Dieu sait quoi d’autre, qui m’étourdit. Elle trônait, la voyante, au milieu de ses voiles et miroirs cliquetants. Dès qu’elle me vit, ses yeux brillèrent, elle me tendit une main grassouillette pour m’inviter à m’asseoir, m’annonça les tarifs pour une petite et une grande voyance. Je choisis la petite, n’ayant que peu de temps à perdre et peu de sous à laisser. Elle soupesa ma main, la caressa de ses doigts frais et s’abîma dans la contemplation de ma paume. Je regrettais déjà cette lubie. J’aurais mieux fait de m’offrir une barbe à papa. Elle me regarda droit dans les yeux : – Méfiez-vous des miroirs, mon pigeon, roucoula-t-elle. Ils vont vous gober. Je vois trois bouches, trois bouches ovales, prêtes à vous avaler. Quel tissu d’âneries?! Elle me pressait la main pour en exprimer toute la vérité, comme on presse une orange pour en avoir le jus. Je voulus la retirer, elle la retint et me gratta le milieu de la paume du bout de l’ongle, écartant une pellicule symbolique qui masquait la vérité. Ce geste me remit en mémoire celui que je faisais quand je grattais l’entrée d’une fourmilière pour exciter les fourmis et les amener à sortir, affolées, agressives. Cela dut marcher, car brusquement, les fourmis de la vérité apparurent aux yeux de la voyante. – Je vois… Elles sont trois, trois sirènes à vos oreilles. Affreux destin?! Pour un peu, elle m’aurait fait peur. J’avalai ma salive et demandai : – Que dois-je faire?? – À vous de voir, mon pigeon. À vous de voir. Ça vous plaira peut-être. |
Ce
qu'ils en ont dit
* Il ne s’agit pas d’un roman, mais d’un recueil de nouvelles qui brassent le chaud et le froid, qui empruntent les sentiers sinueux de l’étrange pour se vautrer dans des mondes a priori loin de nos habitudes. Avec une plume enlevée, Isabelle Fable mise sur la diversité afin de nous enchanter, nous faire frémir ou nous amener à tester la distance qui nous sépare de mondes qui ne nous sont guère familiers ou qui, au contraire, présentent tous les aspects du quotidien. De meublé en château, de grenier en cachot, d’Afrique en Italie, elle fait voyager ses personnages saisis dans une spirale entre passé et présent, rêve et réalité, bonheur et horreur, avec un concentré de toutes leurs peurs et illustrés de mille couleurs. Tout s’y chevauche dans un ordre réfléchi?: vie, mort, amour, mystère, démence, cruauté… ensemble servi par un rythme serré. Au demeurant?: dix récits plus ou moins longs qui crispent les entrailles et font la part belle à l’imaginaire. Sam Mas, Bruxelles Culture. *
Au fil des dix histoires, on trouve des Barbe bleue, des belles captives, une sorcière ou l’autre, un papillon sans ailes, un chien empaillé et des chats. Mais aussi des traquenards et des malentendus sur des noms, des variations sur le thème du double, une structure de conte classique souvent dévoyée, ce qui donne tout son sel au recueil. Plus d’un personnage féminin se joue du rôle qu’on lui attribue pour prendre sa revanche, d’une manière vive ou plaisante. Ainsi, dans Figlia della luna, Paola, une plasticienne en vacances, est emprisonnée, accusée de sorcellerie, ce dont elle se défend. Elle réussira à s’évader et rendre à son ravisseur la monnaie sa pièce en le prenant au mot. Dans une des plus savoureuses nouvelles, Drame au château des Dames, un comte organise un jeu galant où des dames affublées d’un bandeau sur les yeux doivent trouver la sortie la première pour devenir son épouse. Mais le vicomte chargé d’organiser le concours y introduit une souillon affectée d’un handicap… Dans Plume, un jeune homme du nom de Plume est, dans le cadre de la foire du Midi, confronté à une multiplication de doubles de sa fiancée… Enfin dans, Rouge amour, la terrible nouvelle qui clôt le recueil, on ne rit plus, on sort de la pure fiction ; Isabelle Fable raconte une excision doublée d’une infibulation… Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le thème de la peur est décliné différemment dans chaque nouvelle ; cela va de la peur bleue ou verte à la peur blanche en passant par tout le spectre des frayeurs ou appréhensions. Peurs se fondant sur un leurre, peurs paniques ou peurs primales, on sait que ce sentiment fait partie prenante du monde du conte et Isabelle Fable en fait dans ses récits le meilleur usage possible. On en redemande. Éric Allard, Les belles phrases. *
Passé, futur, présent et humour constituent la recette des nouvelles d’Isabelle Fable?: «?La mort m’a fait signe. C’est mon heure. Déjà?? Un cri s’échappe de ma poitrine. Comme si je rendais le dernier soupir. Mais le rendre à qui???». Les ambiances sont très scénarisées et bien rendues?; les dialogues vifs et mêlés directement à l’action. Les sentiments humains et les émotions, comme souvent dans le genre fantastique proche de celui de Thomas Owen ou de Jean Ray (dans «?La cité de l’indicible peur?»), sont exacerbés entre amour, sang, mort où plane l’idée générale de ce qui aurait pu «?être autre si…?»? : «?J’ai bien trop de mal à me tailler un semblant de vie dans un semblant de soleil?». Parfois un soupçon de philosophie se glisse dans les propos de l’auteure?: «?Une petite fleur séchée collait encore à l’une d’elles. Paul la considéra d’un air rêveur. En voilà une qui ne serait jamais fraise?». Dans cette façon de faire prédomine parfois une folie douce là où tout n’est pas crédible mais semble l’être. C’est là tout l’art d’une telle écriture quand la vie elle-même parfois suscite l’idée d’un certain malaise mené, dans le genre, à son paroxysme?: «?On ne doit pas venir souvent dans ce cimetière de chiens-momies. Qui chercherait la compagnie de ces coquilles remplies de crin ou de chiffons, miroir de ce qui nous attend???» On notera que la forme interrogative est très souvent utilisée dans un genre où se poser des questions c’est souvent ne pas trouver de réponses plausibles dans la réalité convenue habituellement. Dans ce monde d’apparences trompeuses, la narratrice en retrait des évènements, peut frémir à son aise après avoir cru en sa bonne étoile?: «?Être élue du seigneur, celle qui fait danser, qu’il entoure de prévenances et couvre de regards tendres… La jalousie, le dépit qu’elle décèle dans les yeux des autres femmes ne sont pas sans pimenter son plaisir?». Entre faux jeux de rôle, genre Cendrillon ou Barbe Bleue, l’auteure se fait comédienne des semblants à souhait de lecteur?: «?Du maquillage, évidemment. Qu’elle est gourde?! Mais c’est qu’ils jouent tous si bien. Même les figurants ont de ces airs méchants à faire froid dans le dos?». Revisitant à sa façon châteaux ou labyrinthes, la nouvelle a parfois vocation à conter avec une morale à la clé, ce qui révèle les choix et l’état d’esprit de l’auteure qui, n’en doutons pas, s’amuse aussi des intrigues. Un ton juste remet la vie à la bonne place quand, dans une ambiance de guerres, la femme et la naissance, donc aussi l’avenir, s’adjugent le rôle déterminant?: «? Constantinople se meurt. Istanbul s’éveille au milieu des flammes. Le soleil monte, majestueux, indifférent. Plus rouge que la ville en feu… Un dernier regard sur l’ocre des fortifications, magnifiques dans ce flamboiement, sur la cité qui lance son chant du cygne. Un premier regard sur cet enfant, qui redonne un sens à la vie?». La peur peut avoir, on le sait plusieurs visages et parfois on se demande, en situation entre deux personnes avec un cagibi fermé à clé pour enjeu qui a le plus peur des deux. À moins, bien sûr que le lecteur n’ait lui une peur bleue d’encre de découvrir tout ce qu’on peut évoquer à partir d’une simple aile de papillon, de quelques miaulements d’un chat, d’un rêve qui se fait cauchemar entre chiens empaillés ou même de quelques insectes bien utilisés, les animaux ayant toute leur place dans les idées successives de l’auteure. Patrick Devaux, Reflets Wallonie-Bruxelles. *
Voyage au cœur des désirs contrariés Dans chacun des dix récits qui composent son dernier recueil, l’autrice bruxelloise Isabelle Fable habille l’angoisse d’une teinte nouvelle. Publié aux éditions M.E.O., Les couleurs de la peur traverse les lieux et les époques à la recherche des plus sombres recoins de la psyché humaine, arpentant l’imaginaire dévoyé de rêves qui ont mal tourné. C’est une lecture de soirs lourds où frémit la frontière entre fiction et réalité. Une lecture de lieux déserts et mal éclairés, lorsque le silence laisse place au murmure désordonné de toutes les histoires glaçantes qui gisent au fond de la mémoire, n’attendant qu’un bruit un peu trop irrégulier pour se réanimer. Aiguisé au fil d’un suspense bien maîtrisé, le récit parvient à se déployer au-delà du cadre circonscrit du scandale familier. Isabelle Fable réinvestit les anecdotes qui hantent, les «?et si…?» qui assiègent, lorsqu’entre l’éveil et le sommeil l’esprit fiévreux bascule dans un entre-deux sans âge et sans limite. L’aspect baroque de ces histoires, qu’on croirait sorties tout droit de la rubrique «?faits divers?» d’un journal de province du siècle dernier, se voit contrebalancé par une écriture claire et précise, qui se prend parfois à chanter la nature – décor délicatement brossé sur lequel se détachent plusieurs intrigues. Céline soupire et s’allonge, le nez au sol, le front sur ses bras repliés. Sa peau brûlée par le soleil a comme une odeur de silex. Des brins d’herbe lui effleurent les joues. On est bien ainsi, sur la terre, on fait corps avec elle, on la sent respirer. On est la terre elle-même. Un fil rouge relie ces différentes nouvelles?: la présence des femmes. De ces princesses de contes de fées dont, au premier regard jeté à leurs longs cheveux blonds comme les blés, de jeunes hommes tombent transis d’amour. Belles, cela semble aller de soi, mais aussi tourmentées?: leur beauté camoufle une part sombre, un besoin d’action que ne laissait pas supposer l’apparence lisse d’une prétendue passivité. Sans pour autant échapper au destin que leur trace la société, les héroïnes d’Isabelle Fable esquivent le pire?; celui-ci, bien souvent, prend la forme d’un homme?: vampire ou scientifique détraqué, empereur despotique ou randonneur à l’humour contestable. Sous la peau de ces femmes bouillonne une rage sourde, un désir de violence et d’émancipation qui, sans être pleinement réalisé, se devine au gré des pas de côté qu’elles tentent. Entre étrange et épouvante, faux-semblants et véritables cruautés, Les couleurs de la peur déploie toute une palette de sentiments contrastés, de désirs et de pulsions brutales qui se matérialisent dans des récits ambigus, histoires troubles auxquelles on ne pourra pas s’empêcher de revenir lors des prochaines nuits d’insomnies. Louise Van Brabant, Le Carnet et les Instants. *
Un beau recueil de nouvelles signées Isabelle Fable, une Bruxelloise qui a déjà écrit une dizaines de bouquins (poèmes, nouvelles, romans) et qui a déjà reçu plusieurs prix littéraires. Dès les premières pages, le lecteur se rend compte que l'écriture est de qualité. J'ai aimé le style de l'auteure, c'est donc avec grand plaisir que j'ai lu ce recueil. - La première nouvelle intitulée "Noces de broussailles" emmène son héros à la rencontre de son double ou plutôt d'un autre lui-même, tel qu'il était à 20 ans. - "Gregor" emmène ses lecteurs dans un château à l'ambiance un peu glauque. - "Figlia Della Luna" est la plus longue nouvelle et celle qui m'a le moins plu. Elle oscille entre notre époque et le Moyen Age où on brulait les sorcières. - L'auteure nous emmène au château de Chenonceau pour "Drame au château des Dames". - Byzance, Istambul, Constantinople et plus particulièrement la forteresse de Rouméli-Hissar est le lieu où se déroule l'histoire, au XVe siècle, de "Quand Istambul déboule à boulets rouges". - Vous voulez rencontrer une jeune fille un peu dérangée? C'est dans "Le dernier papillon". - Rencontre avec une voyante à la foire du Midi à Bruxelles dans "Plume". - Un poisson d'avril surprenant dans "Le rendez-vous des vieilles pies". - Une conquête du monde par les insectes? C'est dans "Ploc". - Et on termine avec "Rouge amour", une nouvelle poignante sur l'excision. Plus que les histoires que l'auteure nous raconte, c'est son style que je retiendrai. Ma nouvelle préférée est la dernière, car basée sur des faits réels qui font réellement peur puisque le titre du recueil annonce "les couleurs de la peur". philippedester, http://phildes.canalblog.com. *
Dans ce recueil, Isabelle Fable propose dix nouvelles où le monde actuel se mêlerait, dans certaines circonstances, à des univers moins cartésiens, des univers qui échappent à notre raison, des univers plus ou moins fantastiques, fantasmagoriques comme la nouvelle dans laquelle l’héroïne, séduite par un beau jeune homme se retrouve captive dans un château médiéval où elle subit quelques tourments avant de réussir à s’évader et à se venger. Elle passe du monde puéril d’aujourd’hui à un monde gothique, violent, terrifiant, angoissant avant de revenir dans notre monde plus calme et plus serein mais peut-être avec un souvenir de cet épisode terrorisant. On pourrait aussi évoquer la jeune fille inquiétée par un promeneur indélicat qu’elle réussit à enfermer dans un placard qu’elle ferme hermétiquement comme Jeanne Moreau dans « La mariée était en noir ». le passage d’un monde d’adolescente révoltée contre sa mère à celui de victime potentielle d’un pseudo psychopathe. Plusieurs nouvelles sont construites sur ce principe : une scène banale de la vie courante est brusquement perturbée par un événement irrationnel, étrange, qui conduit le héros aux frontières de la mort sans jamais, ou presque, la franchir, avant de le ramener sous des cieux plus cléments. Ainsi, le jeune homme qui prépare son mariage avec la fille du gardien du château est brusquement assailli par un monstre au deux visages : un géant débile et un chien empaillé. Il est quasiment étouffé quand la fille le sauve et le ramène vers des temps plus propices pour lui et celle qu’il doit épouser. Ce thème de la mort tutoyée me rappelle un précédent récit d’Isabelle dans lequel elle évoque toutes les personnes de son proche entourage qui sont décédées brutalement. J’ai eu l’impression de voir dans ces nouvelles comme un refus de la fatalité de la mort qu’elle dénonçait dans ce précédent ouvrage. Je me souviens de ces deux vers : « Écrire pour évacuer la douleur. Écrire pour conjurer la mort. » La violence et l’irrationalité de certaines scènes peuvent émouvoir ceux qui ne sont pas, comme moi, des lecteurs réguliers de la littérature fantastique. Mais l’écriture d’Isabelle les rassurera vite, elle est élégante, fluide, riche de mots rares et ornée de formules de style toujours judicieusement placées. L’auteure n’étale jamais l’horreur pour l’horreur, ne cherche pas comme certains à écœurer le lecteur mais seulement à donner toute sa dimension fantastique aux scènes qui font vivre ses nouvelles. Moi, j’ai bien aimé l’angoisse qu’elle crée en utilisant les jeux de double, voire de triple. Un homme d‘âge mûr est pris d’une réelle panique quand il croise dans le métro un homme qui pourrait être lui quand il avait une vingtaine d’années de moins. Un jeune homme accompagne la fille qu’il aime à la fête où il est vite perturbé par deux autres filles qui pourraient être chacune un double de son amie, mais chacune avec un handicap. Le recueil s’achève sur un texte moins étrange mais plus bouleversant encore, il raconte comment une jeune fille retourne sur sa terre natale en Afrique où sa grand-mère l’a « purifiée » à jamais, elle l’a excisée et infibulée. Et si l’horreur au quotidien était plus violente que l’horreur distillée dans la fiction littéraire ? Deniz Billamboz, mesimpressionsdelecture.unblog et critiqueslibres.com. *
À
lire les dernières nouvelles imaginées par Isabelle
Fable, s’impose aussitôt la fameuse phrase du poète
Fréderic-Lawrence Knowles : Je n’ai pas d’autre
ennemi à craindre que la peur, avant qu’à notre
tour nous passions par toutes les couleurs de l’effroi,
les plus sombres et les plus troublantes, choisies sans
crainte ni modération par l’auteur. Peur de son double,
de perdre son identité ; peur d’un rival monstrueux et
conquérant ; peur de la séquestration, d’un cachot
pourri et obscur ; peur de la misère, d’y être jeté sans
défense ; peur de la torture, de l’ennemi mortel, du
viol de guerre ; peur de la laideur, de la perte de
repères, de sa propre raison chancelante ; peur de
l’autre, même des siens, de leur intolérance
impitoyable, de leurs croyances absurdes et mortifères :
elle se cache partout et se décline dans toutes les
langues, tout au long de nos épopées sanglantes, de nos
contes cruels et de nos récits d’épouvante, de nos
tragédies ou de nos fascinants films d’horreur. Isabelle
Fable, la bien nommée, ne craint pas de convoquer tout
l’arsenal et le décorum de circonstance, les poncifs et
fonds de commerce enfouis dans les greniers et les
ruines de nos mémoires, géants et ensorceleuses,
infirmes ou vieilles pies, inquisiteurs ou jeteuses de
sorts, tout un monde redoutable ou apeuré, en proie aux
fantasmes ou aux complexes, en quête de salut ou d’oubli
salvateur à l’abri des cauchemars. Il fallait oser le
mélange des époques, l’anachronisme à tous crins, la
satire cinglante, les scènes implacables ou nauséeuses,
le culte bafoué du héros, la mise à mal de nos rêves
d’harmonie et de nos mirages d’amour. L’autrice va
résolument, crûment même, au combat singulier contre les
ombres traîtresses et les trompeuses tapisseries de
victoires et de fêtes avec l’ardeur iconoclaste d’une
militante de notre temps : haro sur l’ennemi ou le mâle
quand il sème l’illusion ou le piège, le pari pervers
sur le bonheur ! Son arme ? Un style mordant, une
langue, vive et épicée, tranchante et drôlement efficace
! Un livre pour les amateurs du genre ? Du genre humain, sûrement pas. Par miracle, dans cette cour dolente des perdants et des effarés, quelques figures, à l’exemple de Hélène de Constantinople ou de la Figlia della Luna, ont fière allure et contrastent superbement avec le reste de la distribution qui fait vraiment peur à voir. Michel Ducobu, le Non-Dit *
Dans
ce recueil, Isabelle Fable propose dix nouvelles où le
monde actuel se mêlerait, dans certaines circonstances,
à des univers moins cartésiens, des univers qui
échappent à notre raison, des univers plus ou moins
fantastiques, fantasmagoriques comme la nouvelle dans
laquelle l’héroïne séduite par un beau jeune homme se
retrouve captive dans un château médiéval où elle subit
quelques tourments avant de réussir à s’évader et à se
venger. Elle passe du monde puéril d’aujourd’hui à un
monde gothique, violent, terrifiant, angoissant avant de
revenir dans notre monde plus calme et plus serein, mais
peut-être avec un souvenir de cet épisode terrorisant.
On pourrait aussi évoquer la jeune fille inquiétée par
un promeneur indélicat qu’elle réussit à enfermer dans
un placard qu’elle ferme hermétiquement comme Jeanne
Moreau dans «?La mariée était en noir?». Le passage d’un
monde d’adolescente révoltée contre sa mère à celui de
victime potentielle d’un pseudopsychopathe.Plusieurs nouvelles sont construites sur ce principe?: une scène banale de la vie courante est brusquement perturbée par un événement irrationnel, étrange…, qui conduit le héros aux frontières de la mort sans jamais, ou presque, la franchir, avant de le ramener sous des cieux plus cléments. Ainsi, le jeune homme qui prépare son mariage avec la fille du gardien du château, est brusquement assailli par un monstre à deux visages?: un géant débile et un chien empaillé. Il est quasiment étouffé quand la fille le sauve et le ramène vers des temps plus propices pour lui et celle qu’il doit épouser. Ce thème de la mort tutoyée me rappelle un précédent roman d’Isabelle dans lequel elle évoque toutes les personnes de son proche entourage qui sont décédées brutalement. J’ai eu l’impression de voir dans ces nouvelles comme un refus de la fatalité de la mort qu’elle dénonçait dans ce précédent roman. Je me souviens de ces deux vers?: Écrire pour évacuer la douleur Écrire pour conjurer la mort. La violence et l’irrationalité de certaines scènes peuvent émouvoir ceux qui ne sont pas, comme moi, des lecteurs réguliers de la littérature fantastique. Mais l’écriture d’Isabelle les rassurera vite, elle est élégante, fluide, riche de mots rares et ornée de formules de style toujours judicieusement placées. L’auteure n’étale jamais l’horreur pour l’horreur, ne cherche pas comme certains à écœurer le lecteur, mais seulement à donner toute sa dimension fantastique aux scènes qui font vivre ses nouvelles. Moi, j’ai bien aimé l’angoisse qu’elle crée en utilisant les jeux de doubles, voire de triples. Un homme d’âge mûr est pris d’une réelle panique quand il croise dans le métro un homme qui pourrait être lui quand il avait une vingtaine d’années de moins. Un jeune homme accompagne la fille qu’il aime bien, à une fête où il est vite perturbé par deux autres filles qui pourraient être chacune un double de son amie, mais chacune avec un handicap. Le recueil s’achève sur un texte moins étrange, mais plus bouleversant encore, il raconte comment une jeune fille retourne sur sa terre natale en Afrique où sa grand-mère l’a «?purifiée?» à jamais, elle l’a excisée et infibulée. Et si l’horreur au quotidien était plus violente que l’horreur distillée dans la fiction littéraire??… Denis Billamboz, blog. |
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