Né à Jauche en 1926, prêtre et religieux croisier, Joseph Boly a été inspecteur de l’enseignement et est encore professeur de français au collège Sainte-Croix de Hannut. Il est président de la Société Paul Claudel en Belgique, membre du conseil d’administration de l’Association des Écrivains belges, de l’AREAW et de l’Association Charles Plisnier. Forte d’une quarantaine d’ouvrages (principalement essais et poésie), son œuvre a obtenu de nombreux prix. Joseph Boly est décédé le 9 juin 2014 |
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en coédition avec l'Association Charles Plisnier http://www.charles-plisnier.net |
LE FRANÇAIS, TERRE HOSPITALIÈRE Anthologie, 2012
ISBN: 978-2-930333-53-3 19 EUR Nombre d’écrivains de langues maternelles diverses ont choisi d’écrire en français. Quelle est la motivation de ce choix ? Comment perçoivent-ils la langue française ? Joseph Boly analyse ces questions et leur apporte une réponse personnelle dans son avant-propos, avant de donner la parole à 67 écrivains qu’il estime particulièrement représentatifs en raison de leur parcours et de leur œuvre. D’Hector Bianciotti à Yasmina Khadra, de Maryse Condé à Naïm Kattan, de René Depestre à Atiq Rahimi, de Raymond Chasle à Gao Xing-jian, la langue française est une terre hospitalière, à condition de respecter et de mettre en valeur la diversité culturelle. Dans les années 70, Joseph Boly a fondé C.E.C. (Coopération par l’Éducation et la Culture) qui poursuit son action encore aujourd’hui à la Maison de la Francité de Bruxelles. C’est dans ce cadre qu’il a commencé à rédiger à l’intention des professeurs des dossiers pédagogiques mettant en valeur, par une présentation et une analyse, le métissage et le dialogue des cultures, qui sont, avec les valeurs humanistes, les principaux atouts de la francophonie mondiale. Inscrit dans cette ligne et l’approfondissant, Le français, terre hospitalière est l’aboutissement d’une longue vie de recherches. |
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Extrait Pourquoi
écrire en français ?
Les situations et les motivations dans le choix d’une langue d’écriture sont extrêmement diverses. Presque toutes sont des cas particuliers où plusieurs raisons s’entremêlent. Si nous les séparons pour la clarté d’une introduction, c’est pour souligner un facteur déterminant, en ayant bien conscience qu’il n’a pas été seul à agir. 1.?L’héritage colonial La cause d’origine la plus fréquente est certainement l’héritage qui se combine naturellement avec d’autres, comme le besoin de communication et de diffusion. Les écrivains originaires des colonies françaises confirment généralement le choix que la France leur avait imposé ou favorisé. Jean-Paul Sartre l’avait perçu dès 1948, dans la préface à la célèbre Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor (…) 2. Le besoin de communication et de diffusion, lié aux conditions économiques, professionnelles et politiques Le besoin de communication se retrouve confusément chez la plupart des écrivains des anciens empires coloniaux, français et belges. La preuve globale, c’est que le phénomène de survivance linguistique n’a guère joué pour des langues moins répandues telles que le néerlandais en Indonésie et l’italien en Afrique. Par conditions économiques, professionnelles et politiques, il faut entendre le besoin de s’expatrier, soit pour trouver ailleurs (en France, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou au Québec) des situations de vie moins misérables, soit pour répondre à des impératifs d’ordre professionnel qui obligent certaines familles à séjourner dans un pays francophone, soit parce que d’autres sont contraints de partir, dans le cas d’un exil politique, nécessaire ou souhaité. (…) 3. Les traditions culturelles et humanistes Certains pays étrangers se laissent séduire par le français au point d’entretenir une littérature continue d’expression française. Il s’agit, par exemple, de la Roumanie et de l’Égypte. La Flandre a eu sa grande époque au temps de Verhaeren, Maeterlinck et combien d’autres mais la tradition reste loin d’être tarie. Si en Grèce, en Espagne et en Italie, les écrivains français sont plus isolés, ils sont tellement nombreux en Russie qu’ils ont fini par envahir l’Académie française elle-même, en commençant par la secrétaire perpétuelle, Hélène Carrère d’Encausse. (…) 4. L’amour de la France et de la culture française Cette motivation est souvent présente, avec d’autres, chez les étrangers parce que l’image de marque de la nation française se confond fréquemment avec la culture. On le vérifie, par exemple, chez les écrivains d’Amérique latine (…) 5. L’amour de la Révolution et de la liberté Nombreux sont les pays qui ont revendiqué leur liberté, en chantant la Marseillaise ou un chant patriotique français, par exemple la Belgique et nombre de pays d’Amérique latine. La langue française passe pour la langue de la liberté, celle de la Révolution et des droits de l’homme. (…) 6. Les circonstances historiques Les circonstances ou l’histoire ont joué sur certains en bouleversant totalement leur destinée. Il convient de citer Elie Wiesel, né en Transylvanie, rescapé des camps d’extermination, citoyen américain. Il parle quatre langues : yiddish, hébreu, français, anglais, mais il a choisi le français pour langue littéraire parce que c’est le français qui l’a réconcilié avec le monde et que c’est en français qu’il a lu ses maîtres : Kafka et Dostoïevski. (…) 7. Les qualités intrinsèques de la langue Cette préoccupation se retrouve chez la plupart des écrivains qui décident d’écrire en français, même s’ils ne l’avouent pas clairement. Les caractéristiques du français sont très diverses et elles peuvent varier subjectivement selon les origines du locuteur. On s’accorde volontiers pour dire que la langue française est pourvue d’une sonorité moyenne due notamment à la légèreté de l’accentuation française en fin de phrase et qu’elle se prête particulièrement à la conversation. Le jeu du e muet y est pour beaucoup, d’autant plus qu’il semble à peu près unique parmi les langues. Le français qui n’a pas renié la concision latine se présente davantage comme une langue analytique qui recourt à de nombreux petits mots de liaison et s’est donc fait une réputation d’analyse, de précision et de clarté. Son vocabulaire, sans cesse mis à l’épreuve des dictionnaires, va dans le même sens. Ne dit-on pas que le philosophe allemand Nietzsche se comprenait mieux dans les traductions françaises de sa propre langue. (…) 8. Préférence, vision nouvelle, dépaysement ou innovation artistique Pareille motivation concerne souvent les écrivains qui pratiquent plusieurs langues. Le meilleur exemple est peut-être l’irlandais Samuel Beckett, écrivain de langue anglaise, qui a trouvé sa voie en français dans le théâtre de l’absurde et en fut récompensé par le prix Nobel de littérature. (…) Le choix entre une ou plusieurs langues relève souvent d’une préférence qui peut se passer sans trop de heurt. Rainer Maria Rilke, le poète autrichien de renommée internationale n’a écrit qu’un seul recueil poétique en français. Ce fut pour le plaisir d’utiliser le mot « verger » (…) 9. Pôles d’attraction : Paris, Bruxelles, Montréal… On n’insistera jamais assez sur la force d’attraction des grandes villes francophones que sont Paris, Bruxelles, Montréal, voire Genève, Beyrouth, Alger, Dakar, Kinshasa et beaucoup d’autres. Ville de plus de deux millions d’habitants et de plus de dix millions dans son agglomération dont plus de quinze pour cent d’étrangers, Paris est de loin la capitale la plus visitée du monde, notamment par les congrès internationaux. Il y a un Paris russe et chinois, asiatique et africain, juif et mystique. Je cite au hasard : « Son rayonnement médiatique et culturel ne souffre aucune comparaison. Capitale mondiale de la haute couture, Paris se distingue dans tous les secteurs de la création. Ses monuments et ses musées en font la première métropole touristique (plus de vingt millions de touristes par an) et, selon l’expression de Montaigne, dès le XVIe siècle, l’un des plus beaux ornements du monde. » Bruxelles, de son côté, enclave francophone d’un million d’habitants dont beaucoup d’étrangers, est devenue aujourd’hui la capitale de l’Europe, particulièrement ouverte, comme son Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, aux écrivains venus de l’extérieur, ainsi qu’une ville attrayante par sa Grand-Place et l’îlot sacré, sa cathédrale Saint-Michel et le Sablon, son musée des Beaux-Arts, le parc de Laeken et l’Atomium. Que dire de Montréal (quatre millions d’habitants) qui vit en français dans une Nouvelle-France, pétulante et multiculturelle, côté cour (le Vieux-Montréal) et côté jardin (le Saint-Laurent, le Jardin botanique et le mont Royal) ? Combien d’écrivains étrangers n’ont-ils pas trouvé leur bonheur dans une de ces villes, comme cet Irakien de Bagdad, Naïm Kattan, devenu chef de service des Lettres et des Arts, au Canada (…) |
Ce qu'ils en ont dit Dans
son
numéro d'octobre 2012, La revue générale, sous la
direction de
France Bastia, a publié les bonnes feuilles de
l'ouvrage.
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Joseph Boly, prêtre et religieux croisier, poète et essayiste, membre de la Ligue wallonne, est bien connu des milieux littéraires en Belgique et à l'étranger. Depuis de longues années, son œuvre met en lumière la langue et la culture françaises dont il est un spécialiste et un ardent défenseur. « Le français, terre hospitalière » est consacré à des écrivains de langues maternelles diverses qui ont choisi d'écrire en français. Le titre est souligné par cette phrase de Joseph Hanse : « Ma patrie, c'est la langue française » à laquelle il souscrit entièrement, la langue étant pour lui – comme pour chacun de nous – Patrie et Mère. L'intérêt de Joseph Boly pour ces écrivains, partant pour la Francophonie, ne date pas d'aujourd'hui ; il a déjà consacré plusieurs écrits à ce sujet. Une longue réflexion a présidé au choix du titre de cet ouvrage. S'il a préféré « Le français, terre hospitalière », c'est, écrit-il dans l'avant-propos, « parce qu'il y a dans le mot hospitalière un je-ne-sais-quoi qui convient mieux à la diversité singulière des motivations qui poussent un certain nombre d'étrangers à recourir au parler français. [...] De tout temps mais plus particulièrement de nos jours, la langue française s'est révélée être une terre hospitalière pour les écrivains des pays dont le français n'est pas la langue habituelle d'expression. [...] Sous cet angle, elle est sans rivale et devance peut-être les autres, y compris l'anglais, par le nombre et la variété des auteurs qui, pour diverses raisons, choisissent délibérément d'écrire en français plutôt que dans leur langue ou dans une autre ». Qui sont ces auteurs ? Ce sont ceux qui « recourent à la langue française parce qu'elle fonctionne chez eux comme une langue seconde ou une langue d'appoint et ceux qui écrivent en français parce qu'ils viven t en France ou dans un pays de langue française, exilés ou non, ou bien entretiennent un relation particulière avec la langue et la culture françaises. » Les plus nombreux sont ceux des pays où le français est langue de communication, d'enseignement et souvent d'écriture (Afrique noire, Antilles, Océan indien). Pour les écrivains des différents pays arabes du bassin de la Méditerranée (Maghreb, Liban, Egypte) et pour les composantes de l'ancienne Indochine et de l'Océan Pacifique, écrire en français implique un véritable choix car les occasions de pratiquer le français sont plus restreintes. Enfin viennent les exilés aux situations très variées, qu'ils soient exilés volontaires ou non. Toujours dans l'avant-propos, l'auteur détaille les motivations qui poussent les écrivains vers l'écriture en français, raisons qui souvent s'entremêlent. Celles-ci vont de l'héritage colonial à l'attraction des grandes villes francophones (Paris, Bruxelles, Montréal) en passant par les traditions culturelles et humanistes et, bien sûr, les qualités intrinsèques de la langue. La suite du livre présente 67 écrivains contemporains francophones (l'auteur ne vise pas l'exhaustivité). Nous y trouverons un précieux guide de lecture. Pour chacun des écrivains (classés par ordre alphabétique), les éléments suivant sont retenus : 1) Notice biobibliographique. 2) Motivation du choix du français comme langue d'écriture. 3) Perception de la langue française. 4) Exemple d'écriture. Selon les écrivains, les présentations ne reprennent pas toujours ces quatre éléments et l'un ou l'autre de ces critères est plus ou moins développé. Les textes consacrés aux motivations du choix du français et à la perception de la langue française raviront les amoureux du français que sont les lecteurs de "4 millions 7". Aucun pourtant ne nie les qualités de la langue d'origine et beaucoup s'attachent à souligner ce que la synthèse des deux a apporté à leur écriture. Un très bel exemple, celui de François Cheng, d'origine chinoise, reçu à l'Académie Française en 2003 : « Dans mon livre Le Dialogue, récemment paru, j'ai constaté qu'abandonner sa langue maternelle constituait un sacrifice certain. En revanche, épouser pleinement une autre langue, surtout une langue aussi riche que le français, comporte des compensations non moins certaines. Comme le livre en question porte le sous-titre “Une passion pour la langue française”, je peux aussi user de la métaphore de la passion amoureuse pour signifier mon rapport de connivence avec cette langue d'adoption. En vivant à présent de l'intérieur, c'est comme si j'étais parvenu à pénétrer l'intimité d'un être aimé. Avec lui je savoure avec gratitude la jouissance d'un échange sans fin. Outre toutes ses ressources d'ordre stylistique, le français comporte une exigence de cohérence, de précision et de nuance qui m'a permis de clarifier ou d'affiner ma pensée dans mes livres de recherche et de réflexion. Pour ce qui est de mes créations poétiques et romanesques, je n'oublie pas que cette langue véhicule une longue tradition littéraire de type analytique et qu'elle a connu aussi une révolution dans le domaine du langage poétique. Ça ne me prive pas, bien entendu, de tout ce que ma langue maternelle a pu me fournir comme thèmes, images ou audaces syntaxiques. Un point essentiel: le français, tout en me donnant accès à une culture autre, m'a procuré cette distanciation par rapport à ma culture d'origine et à mon passé. Je suis devenu un écrivain dont l'esprit s'apparente à celui d'un Proust – sans prétention de ma part ! – qui a repensé la vie et pour qui la vraie vie est celle recréée, tardivement, par réécriture. » Les exemples d'écriture, à la manière d'une mise en bouche, donneront envie de se plonger dans les livres présentés et d'y séjourner durablement. Mamucha, 4 Millions 7 *
Il aime tous les pays du monde et qu’on y parle et écrive en français. À 86 ans, Joseph Boly reste un apôtre international de sa langue maternelle. Deux activités majeures baignent toujours le quotidien de l’infatigable père Croisier hannutois : écrire et enseigner. Chères à son cœur, ces deux activités révèlent un commun dénominateur qui a d’ailleurs intensément marqué la carrière personnelle du professeur écrivain : la vocation universelle de la langue française. Le français, terre hospitalière, son dernier ouvrage, publié avec l’aide de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, illustre à merveille cette thèse majeure et apparaît comme un lointain écho à La Voix au Cœur multiple, son premier essai publié en France qui consistait en une petite anthologie mondiale de la littérature française contemporaine. Cette fois-ci, c’est par le biais de biographies, de réflexions, d’interviews et d’anecdotes qu’il s’intéresse à nouveau au vaste éventail de remarquables écrivains dont le français est la langue adoptée. Dans le même temps, chaque matin, une bonne heure durant, c’est cette même langue d’adoption qu’il apprend à utiliser et à aimer à une dizaine d’étudiants étrangers qui fréquentent le collège où il a enseigné jusqu’à sa retraite. L’amour profond de la langue française et son attrait universel ont ainsi toujours guidé les démarches de cet auteur d’une quarantaine d’ouvrages savants qui, au fond de lui-même, est peut-être d’abord un grand poète. «Ce qui nous sauve sur la terre est d’avoir une identité. Moi, je la trouve en francité. La langue étant Patrie et Mère.» En ces quatre vers s’incarnent en effet en un cri les milliers de pages qu’il a écrites dont ces 200 dernières d’un travail fouillé mais très accessible, passionnant de bout en bout, qui s’est nourri, une vie durant, de tant de rencontres, de recherches, de conversations, de voyages, de découvertes dans tant de recoins de la francité qu’il a aussi fréquentée en Afrique, en Asie et dans les Amériques. Un ouvrage très personnel Malgré son indéniable structure scientifique, Le français, terre hospitalière est d’abord un ouvrage personnel. En quête des motivations poussant tant d’écrivains étrangers à écrire en français, l’auteur laisse en effet la parole à 67 d’entre eux alors qu’il en avait plus de 300 en chantier. C’est ainsi qu’on retrouve Beckett, Ionesco, Milosz, Moréas, Rilke, Troyat, Verhaeren, Rabemananjara, Green et Godoy. Mais plus les purs francophones Senghor ni Césaire. Parmi la cinquantaine d’autres, épinglons Adamov, Ben Jelloun, Bianciotti, Chédid, Cioran, Gary, Halter, Hessel, Littel, Kessel, Kundera, Levinas, Maalouf, Makine, Reza, Sarraute ou encore Semprun. Ainsi que trois Chinois dont un Prix Nobel, deux autres Nobel Le Clézio et Wiezel. Et, en compagnie des multiples prix littéraires, un certain Francis Tessa, Amaytois né Tessarolo en 1935 en Vénétie. «J’ai dû me faire violence pour accomplir ces choix difficiles et obligés, confesse Josph Boly, mais je les ai effectués en tenant compte de mes coups de cœur, de mes valeurs humanistes et de mes perceptions culturelles.» En toute hospitalité ! L'Avenir *
Il est de ces livres qui sont des sources de bonheur, et je ne parle pas des romans, ni même de poésie, mais de ces sortes d'encyclopédies que l'on consulte fréquemment parce qu'elles sont indispensables. La plupart nous arrivent de France, mais parfois de chez nous. Et celle que l'on appellera peut-être un jour « Le Boly », comme on dit le Larousse, le Robert, le Grevisse ou le Hanse, puisque Joseph Boly vient de nous envoyer, avec l'obligatoire Liberté de Delacroix en couverture, « Le français, terre hospitalière », ouvrage où il rassemble 67 auteurs contemporains de toutes nationalités ou origines, sauf de France, qui ont choisi notre langue pour s'exprimer en littérature. Que d'ailleurs ils aient choisi ou non de s'installer dans l'Hexagone ou de se faire administrativement français. Et quels auteurs ! Presque tous sont connus ou même célèbres. Mais tous écrivent en français, ce que l'auteur justifie en introduction avec neuf de ces raisons aussi diverses que les origines de son anthologie, qui comporte, pour chacun des écrivains traités, une notice biobibliographique, les motivations du choix de notre langue, la perception de celle-ci, si différente selon les nationalités et les traditions familiales ou sociétales, et enfin un « exemple d'écriture », seule partie où j'aurais préféré un autre choix, plus personnel peut-être. En préface, Marie-Ange Bernard (présidente de l'Association Charles Plisnier et animatrice de la revue « Francophonie vivante ») donne les nécessaires éléments biographiques dans le parcours de celui que l'on appelle familièrement le père Boly : étudiant, enseignant encore aujourd'hui, poète et prêtre. J'ajoute chroniqueur, puisqu'il assure avec une régularité de métronome une rubrique « Les écrits et les faits », revue des actualités de la francité. J'ajouterai encore qu'il est un très abondant essayiste et qu'il a tout juste 83 ans (…) Paul Van Melle, Inédit nouveau. *
Le
français,
ce sont les grades orgues oui se prêtent à tous les
timbres,
à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux
fulgurances de
l'orage. Il est, tour àt our et en même temps,
flûte, hautbois,
trompette, tam-tam, et même canon. Et puis le
français nous a fait don
de ses mots abstraits si rares dans nos langues
maternelles — où les
fermes se font pierres précieuses. Chez nous, les
mots du français
rayonnent de mille feux comme des diamants. Des
fusées qui éclairent
notre nuit. Cette expression du grand poète
léopold Sédar
Senghor donne te ton de ce que l'on peut trouver comme
petits bijoux
dans l'ouvrage de Joseph Boly.
Né le 27 Janvier 1926 a Jauche en Belgique, Joseph Boly est un prêtre religieux croisier. Il a été inspecteur de l'enseignement et reste professeur de français au collège Sainte-Croix de Hannut. Francophone passionné, il est, entre autres, président de la société Paul Claudel en Belgique, membre du conseil d'administration de l'Association des Écrivains belges, de l'AERAW/La Pensée Wallonne et de l'Associatlon Charles Plisnier, active dans ta défense et l'illustration de la langue et de la culture françaises. Écrivain prolifique, fort d'une quarantaine de publications (essais, poésies…), cet auteur nous propose son dernier ouvrage qui tente de répondre a cette question : pourquoi tant d'écrivains étrangers choisissent-ils de s'exprimer dans la langue de Molière ? Au cours de ses années de recherches, de rencontres, de fréquentations des plus grands écrivains, Joseph Boly a récolté une mine de textes, de conversations, enrichissant ainsi une bibliothèque et une connaissance du sujet qu'il nous fait partager aujourd'hui dans Le français, terre hospitalière, avec une belle générosité et une grande pédagogie. L'intérêt du livre, au-delà de la richesse de son contenu, réside dans sa construction attractive et ludique. La curiosité naît au fil des pages mais, déjà, l'avant-propos sait mettre en appétit avec des citations percutantes d'auteurs justifiant leur goût pour notre langue, tel Émile Verhaeren : La plus solide gloire de la langue française, c'est d'être le meilleur outil de la pensée humaine : ; c'est d'avoir été donnée au monde pour le perfectionnement de son sentiment et de son intelligence, c'est en un mot d'être faite pour tous avant d'appartenir à quelqu 'un. Ah ! si un jour il se pouvait que toute la force et tout le cœur et toute l'idée et toute la vie des Européens unis s'exprimassent en elle avec leur infinie variété d'origine et de race. Pourquoi écrire en français, donc ? Les motivations sont diverses et Joseph Boly, dans son introduction, série avec beaucoup de clarté les raisons de ces choix : de l'héritage colonial aux besoins de communication et de diffusion liés aux conditions économiques, professionnelles et politiques, des traditions culturelles et humanistes, aux qualités intrinsèques de la langue... L'auteur note que le français, qui n'a pas renié la concision latine, s'est fait une réputation d'analyse, de précision, de clarté. Il rapporte, avec humour, les propos du philosophe allemand, Nietzsche, qui se comprenait mieux dans tes traductions françaises que dans sa propre langue… Passée la vingtaine de pages introductives déjà passionnantes, Joseph Boly laisse la parole à 67 écrivains particulièrement représentatifs par leur parcours et leur œuvre. Au fil des deux cents pages qui suivent, on croise Samuel Beckett, Andrée Chédid, Julien Green, Joseph Kessel, mais aussi Milan Kundera, Jonathan Littell ou Jean-Marie Le Clézio ». Chaque auteur est traité selon une mesure à quatre temps : notice bibliographique, motivation du choix du français comme langue d'écriture. perception de la langue française, exemple d'écriture. À l'heure où, dans le tourbillon des difficultés économiques et sociétales, un certain désenchantement, le doute, la perte de repères affectent bon nombre de nos concitoyens, quel soulagement, quel encouragement, quel réconfort de lire ces auteurs amoureux de notre langue et de notre culture ! Un livre inattendu qui réserve de jolies surprises. Liliane Millet, Le dévorant *
On
ne saurait assez remercier Joseph Boly d'avoir patiemment
recensé tant
d'auteurs provenant du monde entier qui ont élu la langue
française
experte au point de décrire avec maîtrise et raffinement
les situations
les plus étranges et critiques qu'un humain doit pouvoir
traverser, les
sentiments les plus subtils et intimes que le cœur offre
d'éprouver.
Une bonne soixantaine d'auteurs donc souvent peu connus
mais dont le
témoignage ennoblit celui des plus illustres par leur
revendication
sans faille, entre autres, du réalisme, de la faveur et de
la liberté.
La lettre de Maredsous. Comment expliquer que tant d'écrivains d'origine étrangère aient choisi le français ? Une série de raisons viennent à l'esprit : la langue du colonisateur, de l'acculturation, la langue d'un des deux parents. Ia langue apprise à l'école, à l'université, la langue d'une mission, d'un long séjour en France, la langue de régénération et d'humanité au sortir d'un camp de concentration, d'une guerre, la langue d'un exil forcé ou voulu, la langue de la liberté, la langue providentielle répondant a un impératif de clarté. À lire les témoignages des quelque soixante auteurs choisis par Joseph Boly, on est agréablement frappé par l'unanimité qui se dégage de leurs propos. Celui de François Cheng, né en Chine et devenu citoyen français après avoir suivi son père à Paris, est peut-être le plus révélateur : Outre toutes ses ressources d'ordre stylistique, le français comporte une exigence de cohérence, de précision et de nuance qui m'a permis de clarifier ou d'affiner ma pensée dans mes livres de recherche et de reflexion. Pour ce qui est de mes créations poétiques et romanesques, je n'oublie pas que cette langue véhicule une longue tradition littéraire de type analytique et qu'elle a connu aussi une révolution dans le domaine du langage poétique. Comme l'aurait dit Boileau : Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément… Mais le choix d'une autre langue que la sienne est loin d'être toujours simple ou innocent. Chaque auteur l'explique bien et avec toute la sincérité requise dans la rubrique « motivation » qui accompagne, selon la méthode choisie par Boly, la notice biographique, la perception du français et un exemple d'écriture. On aimerait les citer tous tant leur histoire personnelle est passionnante. Ne retenons que quelques figures qui donneront l'envie au lecteur de conserver dans sa bibliothèque un ouvrage aussi attachant et nécessaire : Cioran aime le français pour ses vertus thérapeutiques, sa discipline, son honnêteté ; Semprun pour sa concision chatoyante et sa sécheresse illuminée qui l'aide, ajoute-t-il avec humour, à maîtriser son espagnol ; Vénus Khoury Ghata pour son rôle de garde-fou contre l'exaltation et les dérapages par rapport à la langue arabe qu'elle a parlée durant son enfance libanaise ; Beckett pour le sentiment d'étrangeté et de dépaysement que le français conférera à son théâtre de l'absurde ; Alexakis pour avoir une langue pour rire et une autre (le grec) pour pleurer. Comme on le voit, le français a été une merveilleuse aventure pour bon nombre d'écrivains qui n'ont pas renié pour autant leur irremplaçable langue d'origine, la matrice de leur vie, leur vraie patrie au sens étymologique. Laissons le mot de la fin à Milan Kundera, qui a fui l'oppression soviétique et rejoint la patrie des Droits de l'Homme : En France, j'ai éprouvé 1'inoubliable sensation de renaître. Naître deux fois, grâce à une langue d'accueil et une terre hospitalière, c'est peut-être une chance unique d'être plus intensément encore ce que Lacan appelait joliment un parlêtre... Michel Ducobu, Reflets Wallonie-Bruxelles |
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