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Née à Sarajevo, mais vivant à Paris depuis de nombreuses années
Jasna Samic
 
est spécialiste des langues, littératures et civilisations orientales.
Elle a enseigné aux universités de Sarajevo et de Strasbourg, a été directeur de recherche associé au CNRS, a collaboré à France-Culture et à Radio-France Internationale.
Lauréate du programme Missions Stendahl, elle dirige actuellement la revue littéraire Književna Sehara, publiée en serbo-croate, français et anglais.
 Elle est auteur de nombreux ouvrages scientifiques sur le soufisme et l’Histoire des Balkans ainsi que d' essais, de romans, de nouvelles, de poésie et de  théâtre. Elle a réalisé de nombreux films documentaires sur ces mêmes thèmes.
Elle écrit aussi bien en français qu'en bosnien ("serbo-croate").


Son précédent roman ("Portrait de Balthazar (éditions M.E.O., 2012) a obtenu le
PRIX GAUCHEZ-PHILIPPOT

Jasna Samic

Portrait de l'auteur : © Dragan Stefanovi?

Le givre et la cendre

Couverture:
© David Ciep

Le givre et la cendre

Roman, 2015
Couverture : David Ciep
284 pages.
ISBN: 978-2-8070-0056-8
21,00 EUR

En ce mois de décembre 2015 où paraît ce livre, on fête – célèbre – déplore (biffer les mentions inutiles) le vingtième anniversaire des Accords de Dayton qui, s’ils ont mis un terme à la guerre en Bosnie-Herzégovine, ont surtout résolu la volonté des puissances occidentales de se désembourber d’un pays qu’ils ont ainsi figé dans une situation sans avenir.
À travers trois journaux intimes, écrits à des époques différentes par trois membres d’une même famille, Jasna Samic nous donne un roman sur les rapports fille-père, mais également sur Paris et Sarajevo à la veille des événements qui vont secouer les Balkans dans les années 90. Un avertissement opportun en ces temps où notre vieille Europe dénuée de projet voit se dresser partout les démons nationalistes dont elle semble avoir oublié les ravages.

La phrase d’Ödön von Horvath mise en exergue sert de profession de foi à ce roman de double exil : « Je n’ai pas de pays natal et bien entendu je n’en souffre aucunement. Le concept de la patrie, falsifié par le nationalisme, m’est étranger… Mon pays, c’est l’esprit. »



e-book
12,99 EUR




Extrait


Des voisins ont envahi l’appartement. Ils ont cassé la serrure et défoncé la porte. Je les somme de vider les lieux sur-le-champ.
« Pour rien au monde ! » répond avec des vocalises étranglées la sœur de la chanteuse de cabaret qui occupe l'étage en dessous, une pauvresse qui roule en « petite » BMW, mais n'a pas de logement, bien qu'elle et son père, comme elle le proclame, aient construit ce pays.
– En effet, ça se voit que c’est vous qui l’avez construit, ce pays ! ne puis-je m’empêcher d’ironiser.
Le milicien est toujours là. « Camarade, montre-moi tes papiers ! »
Je sors les documents prouvant que l'appartement est à mon nom.
« Elle ment ! s'écrie la mégère. Il est au nom du camarade Humbert – ainsi prononce-t-elle le prénom de Robert –, son mari. Ils ont un trois-pièces en ville, une maison à la campagne, une autre à Paris ! Des riches pourris, quand nous n'avons rien. Et de plus, ils sous-louent cet appartement. »
– Je ne sous-loue pas, je le prête à mon amant !
– Comment oses-tu parler d’amant ! Et ton mari et ton fils ? Quel amant ?! À qui tu veux le faire croire ?! hurle-t-elle, comme si elle ouvrait la bouche pour vomir ses paroles. Et maintenant, tu te prétends divorcée !
– La camarade a ses papiers en règle, dit « l'organe de la loi ». Je dois vous prier de quitter son domicile !
Il s'adresse poliment aux envahisseurs, comme on parle à des proches, presque empressé, on dirait qu’il veut les consoler, désolé que j'aie « des papiers en règle ». En revanche, il vitupère à mon intention et à celle de mon locataire, qu’il somme de déguerpir. Le poète sort, abasourdi, mais habitué à devoir se soumettre à l’arbitraire de la toute-puissante autorité.
Les voisines croassent et caquettent, pas question pour elles de s’en aller, « elles ont droit à mon appartement ! » Finalement, après des prières réitérées du « camarade organe », elles ramassent leurs valises et les morceaux de canapé déposés à la diable pour donner l'impression qu'elles étaient déjà installées. Elles avaient entassé mes propres affaires dans un coin.

Il y a quelques années, l'une de mes futures voisines, technicienne en dentisterie, avait frappé la nuit à notre porte pour m'avertir qu'elle allait occuper l'appartement d'à côté, quitté depuis quelques heures seulement par ses locataires légaux. Il ne s'agissait à ses yeux que d'une formalité, de toute façon elle le recevrait puisqu’elle avait « un cousin à la mairie ». Elle-même est parente de mes squatters. Ces employés de la mairie cherchent pour leurs proches des studios « vides », parce qu’ils sont en général habités par les gens sans importance qui, même s'ils protestaient, perdraient d'avance la partie. Quant aux « trois-et-demi-et-demi pièces » – euphémisme pour désigner les six-pièces réservés aux cadres qui débarquent de leur bled montagnard –, personne n'ose y toucher. Nul ne se risquerait à forcer les serrures de ces « représentants du peuple en poste à l'étranger », qui, dès qu'ils rentrent dans leur patrie, obtiennent de nouveaux appartements, mesurés en hectares et non plus en mètres carrés, pour n’avoir pas à repeindre les murs abîmés par leurs sous-locataires.
Ladite squatteuse de l'appartement voisin est très vite devenue « Présidente du Conseil des locataires ». Elle nous a souvent convoqués, Robert et moi, à des réunions où elle critiquait ceux qui ne « votaient pas » au cirque des élections municipales, organisé dans les écoles, où il fallait cocher les noms des candidats « élus » d’avance. Elle les dénonçait ensuite aux autorités de l'Unité locale où elle jouissait d'un certain ascendant. Elle exigeait notre présence, car « elle avait besoin d'intellectuels comme elle-même ». Tout en éprouvant un grand mépris à notre égard parce que nous n'avions pu obtenir un logement plus prestigieux. La considération chez nous se mesure aux dimensions des appartements que la collectivité attribue à ses travailleurs, pas aux doctorats ni aux livres publiés. En fait, ce studio, ce n'est même pas la collectivité qui nous l'a octroyé, mais la mère de Robert, qui, sous la pression de son fils unique, a un jour échangé son vaste trois-pièces contre deux cages à poules, parce qu'il avait hâte de faire l'amour avec moi de façon plus normale que la plupart des couples yougoslaves, qui utilisent les entrées d'immeubles pour assouvir leur désir.
Après son installation, notre nouvelle voisine a capitonné la porte de son appartement et s’est mise à changer de meubles tous les mois. Son mari, routier international, a installé dans son véhicule un double fond qui lui permet de cacher des centaines de kilos d’un café aigre et bon marché qu'il transporte depuis les pays du tiers-monde et revend à des prix ahurissants. Et, depuis peu, ils ont déménagé dans un « trois pièces-et-demi-et-demi » d'un nouvel immeuble. Y sont-ils aussi entrés à l'aide d'une hache et du cousin de la mairie ?



Ce qu'ils en ont dit

Une lancinante nostalgie berce les trois journaux de ce récit.
De Paris à Sarajevo, l’auteure module son roman de souvenirs, de rencontres et de recherche d’un monde inaccessible, d’un pays imaginaire.
La nostalgie d’un peuple, d’une élite ou d’un enfant font que chaque jour qui passe est l’attente d’un rêve, de la venue d’un parent pourtant défunt, de la visite improbable ami… disparu à jamais.
Si une feuille d’automne marque le temps d’une valse lente, un souvenir ancien transformera le mouvement en faux de la mort. Comment ne pas croire qu’un seul pas, nous sépare de la mort ? Un pas auquel nous échappons sans cesse. Ödon Von Horvath n’étant pourtant pas le seul à souffrir de la chute d’une branche d’arbre, ce fait divers marqua à jamais le narrateur.
La mémoire collective est ainsi nourrie d’une mélancolie qui puise ses racines dans un terreau de culture multiconfessionnel. Comment dès lors harmoniser l’inconciliable quand les inégalités se côtoient ?
Lorsqu’une femme se met à défendre son peuple, c’est que la vieillesse frappe à sa porte…
Ce discours nous en dit long sur une sorte d’aveuglement.
L’extraordinaire richesse du récit nous enseigne combien sera difficile toute intégration dans une autre société construite, elle, sur la recherche d’un meilleur futur.

De Paris à Sarajevo, Quelques décennies défilent… La Yougoslavie a éclaté…
Et parmi ses intellectuels… rien ne présageait que sommeillaient – parmi eux – des criminels en puissance.
Trois journaux intimes.
Des époques différentes.
Le roman de Jasna Samic nous plonge dans une époque trouble qui va secouer les Balkans.

Les Plaisirs de Marc Page

Commentaire
Je viens de terminer la lecture du roman de Jasna Samic , Le givre et la cendre. C'était un grand bonheur pour moi. En fait, le plaisir de le lire était si grand que je regrette de l'avoir terminé.
Je suis entièrement d'accord avec le texte publié sur ce blog. Ceux, qui se décident de lire ce roman, riche de tout point de vue, ne le regretteront pas. Au contraire. Je suis sûre que leur plaisir sera aussi grand que le mien.
Bonne lectures chers futurs lecteurs !
Écrit par : Jerlagic Sadzida

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Un témoignage romancé sur l’histoire yougoslave.

Je décide d’exaucer son vœu et de publier ces écrits qui ne traitent pas du sourire des héros de Chateaubriand, ne commentent pas les phrases des autres en y cherchant des recettes de vie, mais parlent de l’être humain, sans masque. Et ce miroir est la seule vérité. [p. 159]
À travers trois journaux intimes entrecroisés, Jasna Samic témoigne de l’histoire de la Yougoslavie, pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1989 et en 1990, juste avant les affrontements des années 90 et la dissolution du pays. Ses trois narrateurs n’y participent pas et apparaissent davantage comme des témoins de ce qui se met en place ; les affrontements eux-mêmes sont évoqués dans l’épilogue de l’auteure, ainsi que son projet et son inspiration pour ce roman. Elle s’est inspirée de sa propre expérience et de celles de personnes de sa connaissance. Son combat contre la barbarie consiste à témoigner, sans doute comme son héroïne à présenter des faits et des sources objectives même lorsque cet angle de vue dérange. Nul n’est innocent dans cette guerre, mais il y a bel et bien eu des bourreaux et des victimes, que l’Occident n’avait pas voulu voir comme tels.
Je suis depuis toujours indifférente à « ce devoir sacré du patriotisme ». Mon idéal est d’être à jamais étrangère, de tout respirer de loin. Et encore plus qu’éternelle étrangère, j’aimerais être une ombre. Un œil qui voit tout et n’est vu de personne. [p. 64]
La narratrice principale, Višnja, par ses allers-retours entre Paris et Sarajevo, apparaît comme un témoin privilégié pour observer les évènements avec un peu plus de distance que ses compatriotes. Obnubilée par l’idée d’obtenir un titre de séjour dans la capitale française, elle ne se laisse pas aveugler par les idéologies de son pays. En outre, profondément apatride, elle ne s’inscrit pas non plus dans les luttes nationalistes. Son point de vue, qu’elle estime objectif, dérange d’ailleurs lorsque l’histoire du pays est abordée avec des collègues universitaires ou des politiques, que ce soit en Yougoslavie ou en France.
Si le journal de Višnja aborde les évènements de l’époque et ses discussions, entre autres, celui de son père est beaucoup plus introspectif, centré sur lui-même et sa pensée. Grand lecteur et auteur, cet intellectuel semble vivre hors du monde, bien peu évoqué dans son journal. La guerre le rattrapera néanmoins et s’immiscera dans ses écrits, entre ses états d’âme amoureux et sa recherche d’idéal féminin.
D’autres évènements dignes d’être notés sont d’ordre intérieur. Ce journal est aussi un lieu où mes rêveries peuvent s’épancher librement. Les évènements extérieurs ont pour moi peu d’importance, comme le monde extérieur en général. Ils n’ont d’intérêt que s’ils éveillent un vécu intérieur, profond, qui m’incite à réfléchir. [p. 61]
Étant assez pointilleuse sur ces questions de forme, j’ai parfois trouvé l’écriture de ces journaux peu vraisemblable : certains passages étaient trop explicatifs pour ne pas s’adresser implicitement au lecteur, et je ne m’attends généralement pas à lire des dialogues retranscrits intégralement dans des journaux intimes. À moins que l’idée d’une publication n’ait été présente à l’esprit des personnages – ce qui est également possible et abordé comme tel dans le roman –, je ne les imagine pas écrire ces textes tels quels. Néanmoins, ce choix de l’écriture diariste est tout à fait pertinente et sert le roman : elle permet de situer les évènements facilement et d’entrecroiser les voix de trois narrateurs, sur trois époques différentes.


Mina Merteuil, monsalonlitteraire.blogspot.be


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Sarajevo - Paris : la vie dure pour les "apatrides"

Le givre suggère un froid intense qui recouvre tout, même la cendre qui suggère la mort par le feu.
Jasna Samic est née à Sarajevo mais vit à Paris ; elle est spécialiste des langues orientales et du soufisme.
En 1990, à Paris, la narratrice est journaliste à RFI (Radio France Internationale) où elle assure des reportages sur les écrivains de l’ex-Yougoslavie. Elle-même se retrouve à de nombreuses reprises à Sarajevo, sa ville natale, où son père se trouve in articulo mortis à l’hôpital. La vie de Visna, la narratrice, n’a pas été et n’est pas toujours rose : l’après Tito n’est pas spécialement un progrès. Des luttes ethniques gangrènent la vie quotidienne. La corruption règne à Sarajevo et dans les environs.
Visna découvre le journal intime de son père qui relate sa vie durant les années de guerre 40/45.
Le journal intime de son père est facilement reconnaissable grâce aux caractères en italique. Ce roman bouleverse le lecteur par la force de caractère de la narratrice face à son entourage rébarbatif. Il fallait une dose de courage pour faire face à la guerre civile et ne pas se plier aux habitudes quotidiennes ! La vie sentimentale de Visna est étalée en des caractères crus sans être triviaux.

Ddh, critiqueslibres.com




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La vie de Visna n'est pas ce que l'on peut qualifier de simple, et elle le sera encore moins lorsqu'elle découvrira le journal intime de son père.
Dans ce journal intime, son père parle principalement de sa vie durant les années sombres de 1940/1945.
Lorsque l'auteur nous donne des passages de ce journal, c'est facilement reconnaissable par la mise en page en écriture italique, ce qui en facilite la lecture et qui nous permet de ne pas nous perdre en chemin.
Ce récit m'a, dans son ensemble, vraiment bouleversé, on y ressent le courage du père face à la guerre, mais également le courage de Visna face à ce qu'elle découvre et face à son entourage qu'il soit proche ou pas.
Un ouvrage rempli d'émotions qui ne peuvent laisser le lecteur indifférent et qui vous emmène dans les méandres de la guerre et de la "rencontre" de Visna avec le passé de son père.
La guerre n'est pas un sujet simple, mais Jasna a su l'écrire avec simplicité mais aussi avec dureté lorsque cela s'imposait.
Un livre à découvrir et une auteure à suivre.

Alouqua, Le monde enchangé de mes lectures.


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Le livre de Jasna Samic, Le Givre et la Cendre, nous replonge dans les années tourmentées de la poudrière des Balkans. Visna, la narratrice, journaliste à RFI dans les années 1990, doit se déplacer à Sarajevo pour y assister son père au seuil de la mort.
Mais sur place, on ne lui pardonne pas sa vie d'actrice, d'intellectuelle dans les milieux bourgeois, confortables, alors que son pays, après la mort de Tito, entre dans une période de déliquescence économique, morale et culturelle. De plus, la Yougoslavie, mosaïque d'États, de religions, de langues, est au bord de l'éclatement. L'dée d'une grande Serbie dominant les autres communautés fait son jour.
Jasna, dans son journal, va nous décrire les difficultés matérielles de son séjour, mais aussi la difficulté d'être un intellectuel, un écrivain dans un tel affrontement d'opinions.
De même, au seuil de la tombe, son père va reprendre  un journal décrivant sa jeunesse, les années d'avant-guerre, les études, son mariage et, plus tard ses rapports père-fille.
J'ai trouvé le style de Jasna délicat, précis, en phase avec les événements, avec ses relations envers les intellectuels de tous bords.
Un bon livre.

zwijns, Babelio



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Sous une belle jaquette sépia, les éditions M.E.O. proposent l’un des nombreux ouvrages de Jasna Samic, née à Sarajevo et domiciliée aujourd’hui en France. A travers la plume de trois personnages distincts, l’auteure retrace l’histoire de son pays à l’aube des terribles événements qui ont secoué les Balkans au cours des années 90. Que faire face à une situation de crise ? Alors que certains choisissent l’engagement ou la résignation, d’autres empruntent la route de l’exil. Que restera-t-il de cette génération bafouée par le fracas des armes et la honte ? Autant qu’un récit initiatique, ce roman brandit un cri en forme d’avertissement à l’attention de toute l’Europe, qui lâche ses démons extrémistes en feignant ne pas les croire dangereux. La prose est fluide et, derrière cette apparente simplicité, se forge une réflexion solide sur le sens de la vie et l’avenir de notre société. On ne quitte pas ces feuillets sans se poser de questions. Et moi, que ferais-je ? Quelle est ma responsabilité de citoyen ?

Amélie Collard, Bruxelles-Culture



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Passionnément, faire entendre sa voix, ensevelie sous le givre et la cendre.
La confier à son journal qui seul, pourra, voudra l’entendre, l’accepter, car seul lieu de liberté.
Parce que le monde où évoluent les personnages n’a de cesse de faire taire la différence, de la moquer, de lui faire peur.
Ce roman est la quête indéfectible de trois personnages, du seul non-alignement authentique qui vaille, celui de l’esprit, dans une Yougoslavie qui, précisément au nom d’un non-alignement, politique celui-là, étouffe toute revendication d’être soi, dans son unicité.
C’est ainsi que les hommes, médiocres et rustres, qui s’arrogent le pouvoir – politique, littéraire, sexuel – font payer très cher à Višnja, indomptable et passionnée, ses refus de toute compromission, par des promesses d’édition, des engagements de rémunération, jamais tenus sous les prétextes les plus fallacieux. S’ils ne peuvent détruire son désir de vivre, d’aimer, d’écrire, ils peuvent l’empêcher de vivre matériellement.
Višnja ne peut que ressentir et dénoncer l’horreur de la guerre qui menace. Son journal et celui de son père, écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, montrent l’enchaînement implacable des conflits, de l’attentat de Sarajevo à la guerre des années 90, l’impossible alliance des civilisations et des peuples, les rêves fous de vengeance et de pureté ethnique des Serbes. La vérité que clame Višnja ne sera, là encore, pas entendue, pas publiée, et cela, dans le pays pourtant aimé, la France.
En réaction aux patriotismes meurtriers et mortifères, Višnja, comme auparavant son père, rêve d’un lieu qui l’accueillerait, qui mettrait un terme à son errance, errance de l’âme (ce qui sera le thème de son roman suivant Les contrées des âmes errantes), de l’amour (où/quel est l’homme qui comblera son désir??).
Paris est la ville mythique qu’elle invoque contre ceux qui violentent son corps et son esprit, même si, toujours, tel le château de Kafka, la prolongation de sa carte de séjour est différée. Et il y a aussi le lieu où le temps s’arrête, le lieu du ressourcement, pour Višnja comme pour son père avant elle, le Mont Trebevi
, qui surplombe la ville de Sarajevo, la ville originelle, aimée, malgré tout, pour sa beauté indivisible.
Dans Le givre et la cendre, Éros et Thanatos se juxtaposent, tels en ces deux moments où jouissance avec l’amant et mort du père sont évoquées quasi simultanément?; réalisme et poésie, humour et douleur, se mêlent inextricablement.
Si la guerre et l’exil forment la trame de ce livre, c’est la volonté d’exister en vérité qui s’écrit sans concessions.

Évelyne Morin, maître ès Lettres, poète, Babelio et FNAC.com.












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