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Née à Sarajevo, mais vivant à Paris depuis de nombreuses années
Jasna Samic
 
est spécialiste des langues, littératures et civilisations orientales.
Elle a enseigné aux universités de Sarajevo et de Strasbourg, a été directeur de recherche associé au CNRS, a collaboré à France-Culture et à Radio-France Internationale.
Lauréate du programme Missions Stendahl, elle dirige actuellement la revue littéraire Književna Sehara, publiée en serbo-croate, français et anglais.
 Elle est auteur de nombreux ouvrages scientifiques sur le soufisme et l’Histoire des Balkans ainsi que d' essais, de romans, de nouvelles, de poésie et de  théâtre. Elle a réalisé de nombreux films documentaires sur ces mêmes thèmes.
Elle écrit aussi bien en français qu'en bosnien ("serbo-croate").


Son roman "Portrait de Balthazar" (éditions M.E.O., 2012) a obtenu le
PRIX GAUCHEZ-PHILIPPOT

Suite à ses prises de position en faveur de la laïcité dans une Bosnie de plus en plus dominée par les mafias politico-religieuses et une vision wahabite de l’islam importée à grands renforts de pétrodollars, Jasna Samic est violemment prise à partie par les intégristes bosniaques, traînée dans la boue et même menacée de mort. Un appel à fatwa à son encontre a été adressé au grand mufti de Sarajevo, qui jusqu’ici n’y a pas donné suite.

Jasna Samic


Dane le lit d'un rêve


Tableau de couverture:
© Monique Thomassettie
"Visage d'ailleurs" (imaginaire), huile, 1996.

Dans le lit d'un rêve

Poèmes, 2017

224 pages.
ISBN : 978-2-8070-0114-5 (livre)
 978-2-8070-0115-2 (PDF)
978-2-8070-0116-9 (ePub)

17,00 EUR

Dans un rêve éveillé, Jasna Samic convoque la poésie, la peinture, la danse, le vin, les dieux des religions et des mythologies, les mystiques orientales et toutes les villes aimées (Paris, Sarajevo, Istanbul, New York, Alexandrie, Venise…) pour chanter les voluptés du corps, de l’esprit et de l’âme exaltées par l’Art, mais aussi la nostalgie mélancolique du temps qui fuit, avec en filigrane la désolation de la guerre.

« Une rutilance d’images fusionne ici profane et sacré.
« À l’écoute d’une baroque foison qui pétrit l’âme humaine au risque de l’éclater. »
(Monique Thomassettie, extrait de la préface)







e-book
10,99 EUR




Extrait


Paris parfois rappelle
Un invisible gibet
Dissimulé derrière le voile
Des sens tumultueux
Et du rire fragile

Mon âme est-elle
Condamnée à lui ?

Tantôt c’est une prison
Aux portes grandes ouvertes
Vers la solitude
Vers les vents aux langues
Sifflant comme des chacals
Et les pluies qui soufflent comme le vent
Tandis qu’un mot féroce
Compose l’ode à l’amertume

Passent les spectres de mes morts
Par des mers fantomatiques
Devant les paupières closes
Tels des voiliers
Noirs et puants
Chargés d’espérances vaines
Évoquant mes anciennes villes
Et mes vies anciennes

Qu’y a-t-il de plus triste que le souvenir de la joie ?

Aux images de la gaieté se mêlent
Celles d’un enfant au cou tranché
D’une femme au corps déchiqueté
D’un homme qui tel un bœuf rumine
Ses excréments

La Planète
Ce bateau de monstres
Psalmodie des chants funèbres
Et s’égosille comme un oiseau rapace

Mes villes sont en deuil

Paris est tantôt une prison
Tantôt une fête
Qui brise les chaînes du corps
Et le fait exulter

Parfois c’est un rêve
Où gémissent des cloches
Comme une horde de chats trempés dans un fleuve
Empli d’excréments



Ce qu'ils en ont dit



*
Quelle joie que de recevoir ce livre, moi qui aime lire la poésie, je ne pouvais que me ravir de cette nouvelle découverte venue de Sarajevo. Car oui Jasna est née très loin, bien que vivant à Paris.
Chacun de ses poèmes est emprunt de nostalgie, de souvenirs, d’émotions parfois très fortes. Certains ont été jusqu’à faire perler une larme aux coin de mes yeux tellement on peut y ressentir de choses.
Certains courts, certains assez longs, mais chaque fois cette même émotion qui me touchait à différent degré selon le poème. Jasna utilise des mots parfois très prenant, mais toujours à la portée de tous et de tout les âges, pas trop jeunes quand même mais je suis certaine qu’à partir de 15 ou 16 ans tout le monde est capable de comprendre toute cette émotion que les poèmes de Jasna véhicule magnifiquement bien.
Si vous êtes amateurs de poésie, celui-ci devrait vous ravir, tout comme il l’a fait avec moi.
Je serai ravie de découvrir une autre oeuvre de cette auteure dont la plume m’a touchée avec ses poèmes
.
Alouqua, Le Monde enchanté de mes lectures.


*
DANS LE LIT D’UN RÊVE
La poésie est trop souvent considérée comme étant le parent pauvre de la littérature, car mal aimée, mal comprise et mal vendue. Pourtant, il s’agit d’un exercice qui convoque la sensibilité plus que toute autre discipline. Comment poser une impression en quelques mots, en veillant aux rimes et sans se renier ? Jasna Samic est une esthète dans le domaine et, mieux que quiconque, fait chanter la beauté de la langue pour encenser les élans des corps, la volupté des désirs et l’exaltation de l’esprit. Née à Sarajavo, elle vit aujourd’hui à Paris et écrit à la fois en bosniaque et en français. Son oeuvre comprend évidemment des ouvrages poétiques, mais aussi des romans, des essais et du théâtre. En mêlant profane et sacré, elle convoque tous les arts qui lui sont chers et ne regimbe jamais lorsqu’il s’agit de se référer à ses passions. Suite à ses prises de position en faveur de la laïcité dans une Bosnie de plus en plus en butte avec le fanatisme religieux, elle a compris qu’il était temps d’émigrer pour poursuivre son combat loin des poings levés à son encontre et de clamer haut et fort que chacun est libre de croire ou non sans subir de pressions et sans chercher à imposer une quelconque doctrine. Lire
« Dans le lit d’un rêve » est un ravissement, dont on aurait tort de se priver !

Daniel Bastié, Bruxelles Culture

*
Je viens de terminer la lecture du dernier recueil de poésie de Jasna Samic « Dans le lit d’un rêve ». J’ai pris tout mon temps, savourant presque chaque vers, revenant à certains poèmes à plusieurs reprises. Et chaque fois, il me semblait que le plaisir était encore plus grand. C'est ainsi qu'on lit toute grande poésie, me suis-je dit.
Comme nous laissent entendre les critiques élogieuses publiées jusqu'ici, la poésie de Jasna est riche à tout point de vue et je dois avouer que mes impressions sont pratiquement identiques à celles que d'autres lecteurs ont déjà décrites : oui, il s'agit là d'un « ravissement dont on aurait tort de se priver » (Daniel Bastié), oui, « c'est une joie pour tous ceux qui aiment la poésie », alors que certains poèmes font même « perler une larme au coin de nos yeux » (Brigitte Alouqua).
Cette poésie a suscité en moi un grand plaisir et une grande joie, car elle porte des parfums des dieux et des mystères de la Grèce antique, ainsi que ceux du soufisme et du zoroastrisme. En plus, certains vers s'accompagnent merveilleusement d'une musique. Cette poésie a aussi suscité en moi une curiosité chatouillante et le désir de rafraîchir mes connaissances, de me replonger dans la richesse que les vers de Jasna nous font découvrir ou redécouvrir.
Cette poésie nous permet de nous promener autant à travers les villes aimées par Jasna qu'à travers ses rêves, qui deviennent les nôtres. Elle nous fait voir et revoir de très grands peintres et de très belles toiles, qui deviennent rêves, tout en nous faisant admirer les mêmes recoins de Paris méconnus encore des « grands vagabonds avec but ». Toutes ces beautés sont à la fois vraies et fantomatiques, alors que son fantôme, à qui Jasna dédie son Lit de rêve, est bien vivant. C'est lui qui a mû la plume de l'auteur, lui aussi qui éveille en nous tant d'émotions.
Après les continents visités, nous voici imprégnés de spleens baudelairiens et plongés dans la sensualité. À l'instar du poète des Fleurs du mal, nous sommes ivres, et la lecture de ces vers nous rend presque mystiques :
« En flânant dans un Paris désert / Tard la nuit sous les lanternes de publicités clignotantes / Où on tua plusieurs personnes / Hier / Tandis que le printemps et la verdure de la ville / Humilient ton cœur / Et cette ardente soirée d'avril / Écrase ta poitrine par une lame de souvenir / Rêvassant les yeux ouverts / Tu pensas au brûlant désir / du poète / Et eus envie que surgisse / Comme de ses Spleens de l'obscurité et du silence / Ton amant lointain / Qu'il accoste à tes portes // Et chassant le silence de la nuit / Enflamme tes membres endormis / Par sa bouche muette remplie de jouissance / Puis grimpe tel un intrus / Sur tes trésors verrouillés / Et doucement comme un aveugle qui erre de ses doigts / Vagabond vaurien voleur / – Quand les cloches de la volupté sonnent – / Ouvre la plaie profonde / Et verse / Comme dans un précipice / Son poison magique / En toi »
Enfin, à l'instar de Jasna, pouvons-nous aussi nous demander : « le poète soufi ne dit-il pas que le rêve est une réalité, et la réalité – un rêve ? »
Ces poèmes sont notre miroir où se reflètent aussi bien nos rêves que nos amours, nos désirs que nos errances, nos amours que nos gémissements…, bref, notre vie et la mort.

Babelio.

*


Née à Sarajevo en 1949, Jasna Samic vit depuis de nombreuses années  entre Paris et sa ville natale. Spécialiste des langues, littératures et civilisations orientales, notamment du soufisme, elle a enseigné aux universités de Sarajevo et de Strasbourg, a été directeur de recherche associée au CNRS ainsi que collaboratrice de Radio France internationale et de France culture. Ecrivant en français et en bosnien, elle a publié des essais, des romans, des nouvelles, de la poésie et du théâtre. En outre,  pour avoir  dénoncé l’émergence de l’islam radical qui se développe en Bosnie sur les ruines d’un conflit ethnique qui divise toujours une population fragilisée, elle est actuellement dans le collimateur des nationalistes musulmans. Dans ce recueil, où elle convoque la poésie, la peinture, les dieux des religions et des mythologies(j’en ai assez des mortels/Seuls les dieux sont mes amoureux/Depuis bien longtemps) et les villes aimées(Paris, Sarajevo, New York, Venise…), elle partage ses extases, ses doutes, ses peines et ses interrogations face à la fuite du temps et aux dérives du monde comme il va (La Planète/Ce bateau de monstres/Psalmodie des chants funèbres/Et s’égosille comme un oiseau rapace). D’une certaine manière, ce livre initie une série de questions sur le rôle que peut jouer l’art en général et la poésie en particulier dans nos sociétés consensuelles rongées par les réseaux sociaux, les nationalismes exacerbés et l’exclusion sociale. Ainsi, pour l’auteure, la poésie est à la fois recherche de l’ici et de l’ailleurs ; elle va bien au-delà du temps, des nations, des espaces voire du bon sens et du sens commun ; à l’image de la vie, elle n’a ni frontières, ni lieux où se retirer ; mieux, elle circule sans cesse et constitue un acte de libération intérieure visant à authentifier notre présence au monde. Bref, dans un style simple et direct, Samic évoque ici les blessures du temps et du cœur, la mort vivante qui se représente à nous quotidiennement, l’intolérance et la bêtise de ceux qui ne veulent concevoir les autres et le monde qu’à leur image, la condition féminine (Pourquoi geignait-elle/De sa voix saccadée en syncopes/La malheureuse femme/Dans cette piteuse chambre d’hôtel ?/Comme une vierge molestée/Dans une étable), la solitude qui hante les artères des grandes villes déshumanisées, les dérives de nos sociétés industrialisées à l’extrême et l’enfance perdue… Pourtant, malgré toute la colère, la tristesse voire la nostalgie que l’on peut percevoir au détour de chaque page, on peut  affirmer, et c’est là tout le paradoxe de ce livre, que derrière l’apparent désenchantement  se cache une quête d’amour et d’absolu au sens noble du terme, tant  Samic  fait la preuve ici de son extrême sensibilité (Le ver luisant aveugle/Ne te reconnaît pas/Dis-tu/Mais il éclaire tes cheveux/D’où s’envolent des baisers/En brûlant l’obscurité/Profonde) , de son sens de l’empathie pour les plus démunis, de sa soif de beauté  voire de  son impatience d’aimer. Dans le lit d’un rêve est un livre déroutant et envoutant qui, envers et contre tout, signe la fuite d’un temps qui ne s’approche que par une transe et ne tire son plein épanouissement que de l’amour… 

ÉPILOGUE
Sans doute le Fantôme fit-il bouger ma plume.
Le rêve est mon lit, la lumière de l’obscurité mon seigneur.
Le poème est ma prière, et demeure du fantôme.
La ville est un souvenir de songes. Le rêve, un pont fin comme
           un cheveu :
Celui qu’on traverse pour atteindre l’autre rive du rêve,
L’éternité.

 Pierre Schroven, Revue Traversées

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Jasna Samic, originaire de Sarajevo, écrit également en français et vit à Paris où elle a exercé des fonctions au CNRS et à RFI en collaboration avec France Culture. Ses deux pays sont présents dans ce volume comme le sont la mort et l’amour de la vie, la réalité et le rêve ou plutôt le rêve au cœur de la réalité. Dans ce volume, ses tout premiers poèmes sont dédiés à Sarajevo devenue « Ville Tristesse »« Avant d’avoir réduit les livres / En suie / Une époque tout entière fut engloutie / Par le jour / Plus noir que le goudron » avec « Ce qui reste de la salle de lecture : / L’odeur de cendre des anciens manuscrits et / un souvenir lointain de la plume ». Elle-même a été menacée de mort, elle qui à travers ses nombreux voyages chante la vie, l’amour des humains, de l’art et de la nature.
Après New York, Venise, Namur… elle célèbre Paris, son fleuve et sa lumière, un Paris modeste qui échappe encore aux touristes et permet de rêver : « Dans le parc Brassens/ Le cerisier du Japon a fleuri / Plus somptueux qu’une houri »… Le Paris de Baudelaire aussi avec ses petites vieilles, ses bistrots, ses quais… Un rythme baudelairien anime sa prose libre musicalement découpée par des élans suivis de chutes brusques, rythmant une joie de vivre qui échappe au métronome. Elle vit avec élan le Paris des arts, des rencontres avec des peintres et de poètes, tant ceux du passé inscrits dans leur quartier que des poètes et des artistes dont elle partage la nécessité créatrice.
Pour elle « la vérité est dans l’ivresse », dans une ambiance de « Cantique des Cantiques » et quand elle s’attire le cri inattendu : « Tu es le bonheur de ma vie », elle traduit l’atmosphère qui imprègne beaucoup de ses poèmes, qu’elle nous fait partager, également par l’intermédiaire d’images où se rejoignent l’humain et le cosmique : « Nue sur un rocher lisse / Tu t’abandonnes aux luxurieux mouvements de la mer / Tandis qu’une brise / Telle une douce main d’amant / Se promène par la galaxie de ta peau somnolente / Allaitant tes lèvres déployées et embrasant / Les criques de ton corps »

Michèle Duclos, Temporel.

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Oui, la Bosnie et la Croatie sont des espaces culturels d’où émergent des voix singulières, littéraires ou poétiques. Celle de Jasma Samic est l’une d’elles. Rebelle, cette poétesse bosniaque a su dénoncer le port du hidjab et les dérives islamistes. Narquoise et provocatrice, elle a osé terminer une conférence littéraire par un fougueux « Baudelaire a’ahbar » ! La fatwa islamiste qui pèse désormais sur elle impose de l’écouter autrement.
Jasma Samic se situe dans la pensée d’Omar Khayyâm, ce poète persan qui sollicitait le bonheur un instant, celui de notre vie. L’auteure qui fait ainsi de son « lit » un rêve (titre d’un des poèmes), cherche dans le réel – de New-York à Istanbul en passant par Paris – un monde à sa mesure. Dans notre monde où tant de livres risquent d’être réduits en « suie », elle marche « à travers la tristesse » et entend « les hurlements des morts » (Srebenica). Certaines villes traversées émergent tantôt hantées par leurs célèbres visiteurs (Agatha Christie et Loti à Istanbul), tantôt par leurs divinités (Ahura Mazda, dieu perse de la lumière, Dieu du Soleil ou d’ivresse, Isis et Ra à Gizeh) qui côtoient la Vierge, les Anges. Paris lui est plus qu’une simple escale : ici Saint-Germain-des-Prés, là le Lucernaire, ici le musée des Tuileries (sans doute du jeu de Paume), là le parc Georges Brassens dont l’âne tire une charrette fleurie, ici les puces de la Porte de Vanves, etc. Sa prédilection pour les quais de la Seine semble dire que le flux de l’eau (fleuve ou mer) lui est un apaisement. Elle convie çà et là des écrivains dans sa quête poétique (Osti, Tzvétaeva, Camus, Chateaubriand, etc.) en les mêlant à ses souvenirs personnels.
Cette errante estime que quel que soit le lieu où nous allions, « nous sommes des étrangers surtout dans notre ville natale ». Une vision politique de l’humain qui prend sens avec les mouvements migratoires actuels ! Se plaçant dans la lignée soufie, elle s’entoure de divinités protectrices. Au demeurant, le poème lui est « une prière ».

Revue "Recours au poème"


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Des villes, des amants, des dieux, la mort, un fantôme...
Dans le lit d'un rêve n'est peut-être pas un livre de voyages, ce serait plutôt le livre du non-attachement. D'un impossible et peu souhaitable repos : quand Tout est figé, c'est que les forces obscurantistes ont l'avantage. Jasna Sarnic le sait, elle qui s'est engagée à faire entendre une voix libre, critique, contre ceux qui voudraient que les enfants ne grandissent pas. Ses adversaires, et assurément ce sont les nôtres aussi, font passer le non-attachement du poète, ce principe même de création et de culture, pour de la pornographie. Les fanatiques, avec leur violence, ont bien sûr intérêt à tout figer, surtout leur domination, leur art retors de la confiscation. Dans le lit d'un rêve est donc un livre de combat.
Où qu'on aille / Nous sommes des étrangers. Notamment en ville, sans doute parce que les points de vue s'y multiplient infiniment. À New York par exemple, les tours ont cette puissance, à Istanbul ce seront les rives. Les cités brassent, elles finissent même par se mêler les unes aux autres, se répondant musicalement, formant ainsi une matière parfaite pour l'idéalisation onirique où recomposer les espaces et conjuguer les temps. La poétesse se heurte à ses souvenirs, la mémoire ou le futur font écho à l'instant, le font devenir ritournelle, refrain, chanson. Elle rencontre les beautés diverses de l'humanité, aussi bien dans les œuvres d'art contemporain que dans les anciens dieux, à commencer par le sage et lumineux Ahura Mazda, double et amant. Le livre de poésie est le livre des appartenances multiples, toujours aimées, jamais crispées, le livre de l'éclat vif du sensible : Jamais la terre n'a brillé/D'un tel rose. Ce feu du vin, du désir, c'est la vision depuis l'autre rive du rêve / l'Éternité. Sa lumière est d'autant plus brillante qu'elle est un pont vers la mort, un passage pour le Fantôme qui résiste.

T.D., Le Journal des Poètes


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Vie et mort entremêlées comme une chaîne qui rouille et cèdera à on ne sait quel endroit pour ouvrir le maillon de l’Eternité, Dans le lit d’un rêve mène Jasna à travers ce brouillard à fantômes qu’on appelle Vie malgré l’affleurement du cauchemar : « La vie n’est que Ténèbres qui miroitent Par les corps éteints Des étoiles mortes ».
« Sarajevo », ce mot au nom de ville qui sonne comme tout ce qui devrait faire le souci d’une vraie Humanité, a laissé chez cet auteur qui écrit aussi en serbo-croate des traces indélébiles qui, en quelque sorte, « visionnent » la tragédie à travers le film de sa vie : « Heureux de nous revoir, nous sommes allés dans un café Tout près des sculptures de fœtus Alignés comme des soldats Collés à la poitrine De leur mère en plastique ».
Le titre du recueil paraît porteur de rêves mais quand l’auteur se réveille, elle précise sa réalité qui n’en devient que plus forte : « Ceci est un souvenir, pas un rêve » précise-t-elle alors, un peu comme si on s’asseyait à Hiroshima sur un banc devant le dôme brûlé et qu’on se disait : « ceci n’est pas une carte postale » car, en effet, la ville martyre que fut Sarajevo lors d’une guerre sanglante, cruelle, a rejoint, dans notre conscience collective, et notamment à travers les images de sa bibliothèque réduite en cendres, les évocations hélas éternelles de la ville japonaise atomisée.
Evoquant des rencontres soi-disant rêvées avec des artistes dont elle ne donne pas le nom, Jasna redonne de la couleur et surtout de la consistance matérielle au sens premier (matériaux, plâtre) à une reconstruction de son rêve qui ainsi refaçonne la réalité de ce qui aurait dû être : « Le monde n’est qu’un rêve Mais toi l’endormi tu imagines qu’il est Réel » poursuivant par : « Elle n’entend pas ces mots La Pénitente et, Muette, caresse La tête du mort sur ses genoux ».
Ces textes de la douleur empreints d’une douce rêverie pour éviter de parler d’un cauchemar direct sont la mémoire de Sarajevo, de Srebrenica. C’est une œuvre qu’on souhaite aussi forte que l’image de la bibliothèque brûlée de Sarajevo : « Soudain on entend le rire Rire d’un étranger Trempé dans les larmes Des égorgés » et le texte semble signé « Srebrenica » en italique.
Un texte de guerres, de fosses communes pour dénoncer.
La poète est aussi voyageuse, exilée de partout, en quelque sorte, citant là un souvenir à Paris au café de Flore ou encore d’étonnantes évocations de tableaux de Félicien Rops à Namur, cherchant peut-être les filons de la poésie, de la beauté en se souhaitant européenne, voire universelle avec un bonheur, un rêve sans doute mais toujours caressé au moins d’un soupçon d’épreuve : « Je pense aussi à la femme-ombre Qui glisse lentement à travers les poèmes Comme les gouttes de pluie ce dimanche A Namur ».
Un témoignage. Un vrai. Une poète. Une vraie. Immense. Merci Madame, vous qui « venez de la ville où vous étiez reine des ombres pleurant les jours heureux ».
Superbe photo de couverture à partir d’une huile de Monique Thomassetie, écrivaine elle-même et aussi préfacière de l’œuvre.


Patrick Devaux, La cause littéraire






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