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Née en 1947 à Passau d’un père russe et d’une mère polonaise, tous deux rescapés des camps,
Isabelle Bielecki
reçoit la nationalité belge en 1963, obtient une licence en traduction puis un diplôme de courtière en assurances, et consacre sa carrière au monde nippon des affaires tout en s’adonnant à sa passion de l’écriture.
Elle a publié deux romans dont le premier,
La maison du Belges, a obtenu le prix des Amis des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles, plusieurs pièces de théâtre, des nouvelles et de nombreux recueils de poésie. Elle a créé un nouveau genre de poème court, le stichou, qui fait l’objet de nombreux ateliers d’écriture.


Isabelle Bielecki
Les tulipes du Japon
Photo de couverture et de l'auteur :
© Pierre Moreau

LA MAISON DU BELGE


Roman
Parution 15 février 2021
232 pages
978-2-8070-0270-8 (livre) – 978-2-8070-0271-5 (PDF) – 978-2-8070-0272-2 (EPUB)
18,00 EUR


Après Les mots de Russie et Les tulipes du Japon, La Maison du Belge clôture la reconquête de sa mémoire par Élisabeth, fille d’un couple d’émigrés russo-polonais et personnage central de cette trilogie qui s’échelonne sur plus d’un demi-siècle. Ce troisième volet revient sur l’élaboration du premier. L’auteure livre les coulisses de ce livre qu’elle arrache aux contraintes, tant intérieures – briser l’amnésie, se réapproprier son passé, tenir la promesse faite à son père d’écrire sur lui, sur sa mère, sur leur huis clos de cauchemar – qu’extérieures – exprimer sa nature d’artiste et d’écrivain en dépit des manipulations d’un riche amant narcissique dont elle s’est follement éprise.
Comme l’écrit l’académicienne Myriam Watthee-Delmotte, cet amant, « initialement vampirique, perd son combat contre son imparable concurrent qu’est l’écriture littéraire […] ».



e-book
11,99 EUR
À partir du 15 février



Extrait


Le soir du rendez-vous, l’escalier du théâtre est noir de monde. Agrippée à la rampe, je ne quitte pas des yeux la porte d’entrée. Le temps s’affole. J’hésite. Peut-être vaudrait-il mieux rentrer pour ne pas me retrouver seule sur ces marches, à la première sonnerie ? Mon malaise grandit. Trop de gens montent, me bousculent avec leurs airs mondains, leurs parfums qui s’accrochent à mon manteau. Ce public des premières n’est pas mon monde.
Enfin je le vois. Grand, beau, un trench clair noué à la taille. L’air maussade. Il serre des mains à gauche, à droite. Plein d’hommes viennent à lui. Il salue encore en montant me rejoindre. Arrivé à ma hauteur, il me prend par le bras sans entendre mon timide « salut ! » et me pousse dans la foule. Devant une telle popularité, l’idée me traverse que je n’ai pas saisi toute la portée de mon geste en l’appelant. Sans quitter mes pieds des yeux, par peur de trébucher, je me répète : dans quoi t’es-tu encore fourrée !
La grande salle est bondée. Installée d’une fesse sur un fauteuil, je l’entends derrière moi passer entre les rangs, saluer encore. Une pensée me souffle : ce type n’est pas fait pour toi. Et tout de suite après vient une autre : j’y suis, je me fais plaisir, et puis je disparais.
Durant le premier acte, que je n’entends pas tant je suis tendue, ma manche glisse, par à-coups, sur l’accoudoir, vers la veste de mon voisin. Je mets longtemps à oser la toucher d’un fil. Et rester ainsi, toute moite de bonheur.
À l’entracte, je le suis dans la foule. Collée à lui par peur de le perdre, je sirote mon vin. Pas une fois, il ne m’adresse la parole. Tous viennent à lui et pour tous il a un mot aimable ou drôle alors que j’attends mon tour. En vain. Je suis furieuse.
Au retour, dans le froid, alors qu’il se dirige vers le parking souterrain, j’attaque.
– Vous allez vraiment m’abandonner dans ce quartier pourri où je risque de me faire agresser ? Et d’ailleurs, pourquoi m’avez-vous invitée ? Vous auriez pu me parler ! Vous avez été grossier avec moi.
[…]
– Alors ?
– Mais je ne sais pas, moi, c’est vous qui m’avez invitée ! Faites quelque chose !
– Appelez-moi.




Ce qu'ils en ont dit


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L'amour chez les seniors
Dans ce troisième tome d’une trilogie qui comporte « Les mots de Russie », évoquant les origines russes de son père, et « Les tulipes du Japon », racontant l’époque où elle travaillait dans une société nippone, Isabelle Bielecki raconte la vie d’Elisabeth, une femme qui lui ressemble étrangement, quand elle est tombée amoureuse d’un homme riche exerçant de nombreux mandats dans la sphère économique et financière bruxelloise. Un soir, en revenant chez elle, elle entre dans le logement de sa voisine et amie décédée, prise de nostalgie, elle lui rappelle la vie qu’elle menait quand elle vivait encore et la vie qu’elle mène maintenant qu’elle n’est plus là pour la soutenir et la conseiller.
La vie d’Elisabeth est bien compliquée, elle a déjà vécu avec deux hommes, elle est mère de famille, elle a la cinquantaine mais elle vit seule, elle n’en peut plus, son corps demande de l’amour et son cœur de l’affection. Elle a besoin d’une présence, il lui faut un homme qui l’aime et la fasse vibrer. Un jour, un bel homme distingué, Ludo, l’accroche, il est riche et puissant, il s’intéresse à elle, Cupidon les réunit, leur histoire commence par de folles étreintes. Désormais la vie d’Elisabeth déborde, elle doit composer avec ses activités professionnelles de plus en plus accaparantes, son irrépressible besoin d’écrire et sa vie amoureuse et mondaine avec Ludo.
Elisabeth sort d’un burn-out et d’une longue période d’amnésie provoqués par un patron nippon très méprisant. Sa vie professionnelle dans cette société a été compliquée, elle l’a racontée dans l’opus précédent. Dans celui-ci, elle parle peu de son emploi si ce n’est pour dire qu’il devient de plus en plus accaparant et qu’il empiète de plus en plus sur le temps qu’elle pourrait consacrer à ses écrits ou réserver à son amant.
Sa vie littéraire est beaucoup plus importante, pour elle c’est une activité nécessaire à sa reconstruction, un devoir envers on père décédé qui lui avait demandé d’écrire ses mémoires pour qu’il puisse donner sa version de ce dont on l’accusait, des relations qu’il aurait eues, pendant la guerre, avec les Allemands alors que lui était encore citoyen russe. Elle n’a pas pu écrire ce texte, elle était trop jeune pour comprendre toutes les révélations qu’on lui proposait d’écrire. Et, depuis, elle culpabilise. Elle s’est lancée dans l’écriture d’un roman pour rendre justice à son père et étouffer cette culpabilité qui l’étouffe. Elle écrit aussi de la poésie et du théâtre qu’elle s’efforce de faire jouer sans grand succès.
Mais, c’est Ludo qui occupe la place principale dans ce livre, Ludo qui la sort dans les premières, l’invite au spectacle et au restaurant, l’emmène en vacances, en week-end, en croisière dans des résidence de luxe. Ludo qui la comble physiquement. Ludo avec qui elle partage de véritables orgies bachiques. Ludo dont elle est le complément parfait. Mais, Ludo qui est aussi un grand manipulateur, lui laissant espérer le mariage sans jamais lui proposer, lui promettant son soutien éditorial sans ne jamais rien faire, lui proposant un prêt dont elle ne verra pas le premier sou, etc…. Ludo qu’elle voudrait quitter mais elle ne le peut pas et il ne le veut pas. Ludo qui vieillit et qui décline irrésistiblement.
Dans ce texte d’une grande densité, écrit comme dans l’urgence, Isabelle embarque le lecteur dans son histoire d’amour qui remonte à la surface son enfance malheureuse avec une mère violente et méprisante. Avec une écriture fébrile, passionnée, une écriture évoquant le tempérament slave avec tous les excès qu’il peut générer : sentiments débordants, réactions impulsives, passions exubérantes, amours subversifs, cuites phénoménales. Elisabeth est sortie de son angoisse et de son amnésie mais elle est tombée sous la coupe de son tempérament et dans les rets de son amant. Son amour peut mourir, sa carrière littéraire peut décoller, sa vie peut prendre un autre tour. Elle se raconte à Marina, son amie décédée qui ne peut, hélas, plus entendre ses confidences et lui proférer des conseils pleins de bon sens et surtout lui demander d’écrire, d’écrire encore et encore…
Débézed, critiqueslibres.com et mesimpressionsdelecture.unblog

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Il manquait à Isabelle/Elisabeth la publication de « La Maison du Belge » pour alléger sinon guérir les blessures du passé. Une troisième autofiction qui fait suite aux deux précédentes, « Les mots de Russie » et « Les tulipes du Japon ».
Ce livre-ci ressemble à un journal intime, écrit a posteriori : Elisabeth, plongeant au fond de sa mémoire, raconte minutieusement, au présent, le cheminement d’une relation amoureuse qui s’est étirée sur près de dix années, avec ses exaltations, ses doutes, ses désillusions et ses fissures. Une histoire d’amour sensuel intense qui renvoie un peu à la première partie du roman « Les tulipes du Japon » (dont les faits remontent à une quinzaine d’années par rapport au début de cette liaison-ci), sauf que cette fois, l’on a affaire à Ludo, un homme extrêmement manipulateur et qu’Elisabeth se débat dans une situation de dépendance tant affective que physique.
En réalité, le vrai thème de « La Maison du Belge » est celui d’un combat, de plusieurs combats. Combat contre l’emprise asservissante d’un homme dangereux ; combat contre elle-même, entre ce que la raison lui dicte et… le corps qui a ses raisons ; combat contre les fameuses ombres du passé (les manques et les drames de son enfance et de son adolescence, l’écartèlement qu’elle subissait entre ses parents) ; combat encore entre la tentation d’une vie de plaisirs, de luxe, de voyages,  une « vie facile » que Ludo lui offre , et la réalisation de sa profonde et très ancienne aspiration (celle que son amant contrarie sans cesse / celle vers laquelle la poussait son père, dont la voix revient l’habiter et dont la figure se superpose étrangement à celle de Ludo) : l’écriture.
L’un des intérêts de ce roman, c’est d’ailleurs de pénétrer les coulisses de la rédaction et de la publication du premier récit de la trilogie, « Les mots de Russie ».
Elisabeth s’est en fait vite rendu compte (tout en le refoulant) de la personnalité pernicieuse de son amant. Ludo ne lui avait-t-il d’ailleurs pas déclaré lui-même, dès le début de leur relation, « Tu n’as pas à m’envahir. Je suis un solitaire. Je n’ai pas l’intention de te faire souffrir, mais je pourrais ». Pourquoi est-elle restée si longtemps avec cet homme, jusqu’à espérer l’épouser, comment a-t-elle accepté d’être le jouet de manœuvres qui cherchaient à broyer sa personnalité à elle ? Parce qu’elle était devenue dépendante de cette relation douce-toxique. Parce que malgré tout elle l’a réellement aimé presque jusqu’au bout et a voulu le soutenir le plus possible quand il l’a fallu.  Mais cela n’explique pas tout.
Au fond l’on a l’impression d’assister à un jeu d’échecs, à un véritable rapport de force. Les mots victoire/gagner/revanche reviennent souvent. Car si Ludo la manipule, se sert d’elle, s’il souffle le chaud et le froid pour mieux se l’attacher et la retenir, Elisabeth sait aussi ce qu’elle veut. Elle veut écrire et elle veut le succès, elle veut que ses pièces soient jouées, elle veut une reconnaissance, elle veut que soient publiés « Les mots de Russie ». Elle veut se libérer du poids du passé. Elle est partagée entre l’espoir que son amant pourrait l’aider et son ambition d’y arriver par elle-même.
« En une fraction de seconde, toute ma vie défile devant moi, la misère, les fugues, les coups, les humiliations, le rejet, les affres de l’écriture pendant des années. Et voilà que je me retrouve aux pieds d’un homme qui me promet la gloire ».
Elisabeth se sentait prisonnière de sa relation, mais elle était lucide. Même si elle se réfugiait dans une sorte de déni, elle entendait les réticences et les mises en garde faites par Marina, son amie complice et confidente. Aujourd’hui, les mots de cette dernière prennent leur vraie résonance dans l’esprit d’Elisabeth. L’on notera à ce propos la construction subtile du roman. C’est dans l’appartement de Marina récemment décédée que les souvenirs d’Elisabeth ressurgissent un à un, qu’ils sont écrits comme dans l’instant, au présent. Le dialogue intime qui se noue entre elle et la disparue, fil conducteur du roman, constitue pour Elisabeth le prétexte du retour sur elle-même et aux allers-retours dans le passé.
Comme les livres précédents d’Isabelle, celui-ci est le livre de la lutte d’une femme qui toujours tient bon et avance en dépit de tout, prête à payer cher le prix de sa liberté. Liberté par rapport à ses fantômes, liberté d’aimer et de désaimer, d’écrire, d’être enfin elle-même. Libre d’être apaisée, sans remords.
Et la Maison du Belge, dans tout ça ? Parmi les nombreux séjours en compagnie de Ludo en des lieux enchanteurs, Elisabeth eut un coup de cœur pour une résidence secondaire de son amant située dans le sud de la France, « vieille maison sur la colline, ses tuiles rouges à remplacer et sa demi-douzaine de portes qui toutes laissaient passer les courants d’air » qui correspondait à l’idée qu’elle se faisait d’une datcha russe. « (…) un symbole. La cristallisation de mes espoirs de faire partie d’une maison. Une famille qui m’accepterait telle que je suis. Avec ma marotte d’écrivain ». Un autre mirage…
Martine Rouhart, Reflets Wallonie-Bruxelles.


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Sous son emprise
Poétesse, nouvelliste, dramaturge, Isabelle Bielecki est aussi romancière et elle a obtenu le Prix des amis des bibliothèques de Bruxelles pour Les mots de Russie, paru en 2005. Largement nourri de son expérience personnelle, La maison du Belge, son nouvel opus, revient précisément sur les conditions dans lesquelles a été écrit ce roman primé.
L’essentiel du récit s’articule sur l’activité littéraire et surtout sur la relation d’Elisabeth, personnage central et double de papier, avec Ludo, un homme plus âgé qu’elle dont le charme l’a conquise. Elisabeth n’a pas fait de l’écriture son activité professionnelle principale. De formation économique, elle exerce un métier lucratif dans une société où elle côtoie avec assurance les chiffres alors que tout en elle la porte vers les mots, même si le doute s’empare d’elle dès qu’il est question de sa reconnaissance comme écrivaine. Ludo est un homme d’affaires aux activités nébuleuses, une forme de passion les unit, entrecoupée d’absences de cet homme qui sait se faire désirer et qui se montre tantôt distant, tantôt pressant. Il aime afficher son aisance matérielle, multipliant les invitations de dernière minute au restaurant, les séjours à l’hôtel, les voyages de rêve. Sa relation avec Elisabeth est placée sous le signe de l’inégalité qu’il ne manque pas d’entretenir sournoisement par ces cadeaux. Le pouvoir qu’il prend sur elle passe aussi par l’entremise qu’il prétend assurer auprès des acteurs culturels dont il est le mécène. Mais il est absent aux premières de ses pièces de théâtre ou vit mal toute mise en avant de sa compagne. Il faut cependant constater que ses promesses rarement suivies d’effets ont surtout pour résultat de maintenir Elizabeth dans une attente perpétuelle propice à alimenter ses doutes. D’autant que Ludo, tout en la traitant comme une princesse intermittente, passe rapidement de la séduction aux propos condescendants. Il n’en faut pas plus pour ajouter au malaise de sa compagne que taraude un passé avec lequel elle a encore des comptes à régler. Les quelques amies auxquelles elle se confie la mettent en garde, l’incitant à prendre ses distances vis-à-vis de cet homme qui souffle le chaud et le froid.
Isabelle Bielecki a consigné les étapes de cette relation toxique en séquences successives qui permettent de bien suivre le parcours d’Elizabeth. Elle parvient à nous faire partager la vie en dents de scie d’une femme sous dépendance, confrontée à sa propre solitude, portée par les bons moments avec Ludo, détruite par d’autres, pointant son incapacité à lui opposer un refus lorsqu’il l’invite brusquement après une longue absence, selon son bon vouloir, l’obligeant à lâcher l’écriture.  Portée par l’amitié désintéressée, par l’écriture et par la vie professionnelle qu’elle a maintenue envers et contre tout, Elizabeth se fortifie peu à peu et part à la reconquête de la vie.
Il n’est guère aisé d’expliquer les rouages minuscules de la maltraitance psychologique et c’est le mérite certain de ce roman qui contribue assurément à en comprendre les mécanismes pervers. Il met aussi utilement en lumière la fragilité du ressort qui permet à des femmes et à des hommes de prendre la plume, de peaufiner un texte et, un jour, de soumettre leur œuvre au regard des autres.  Dans ce parcours incertain,  la bienveillance des conjoints et amis est souvent déterminante comme le confirment les dédicaces et remerciements dont sont assorties la plupart des œuvres, même lorsqu’elles sont signées des plus grands noms de la littérature.
Thierry Detienne, le Carnet et les Instants
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Nous avions interviewé déjà Isabelle Bielecki au moment de la publication d’un recueil de poèmes (Les jalousies d’Aphrodite, un recueil dont Éric Brogniet a magnifiquement analysé la puissance d’évocation : «  des poèmes maîtrisés, aboutis, évocateurs et célébrant les noces du sensible, du violent et du bel amour ! ») paru peu après le premier tome de ce qui est aujourd’hui un triptyque romanesque achevé. Les mots de Russie ouvraient ce cycle autobiographique, dont l’écriture romanesque permettait à l’auteure d’explorer les origines et de répondre à une promesse ancienne faite au père de la romancière-protagoniste romanesque. Le personnage de cette autofiction, Élisabeth, apparaîtra ensuite dans le deuxième volume du cycle dont le titre Les tulipes du Japon évoque un des jalons de la vie « civile » de l’auteure. Il restait à écrire la victoire de l’écriture, c’est-à-dire la réappropriation de l’identité et de la mémoire : c’est chose faite avec La maison du Belge, un roman dont les miroirs multiples reflètent à la fois les protagonistes de ces décennies de combat, mais aussi les lumières dont certains balisent un cheminement créatif d’un courage et d’une obstination hors du commun, l’écriture comme seule voie de salut. Naguère et aujourd’hui.
Il y a aussi, en la personne d’une mère de substitution, Marina, une des belles figures de « tutrices de résilience » dont la littérature nous donne parfois d’émouvantes figures. Le roman s’ouvre sur son évocation et s’achève sur les mots que lui attribue, à son décès, la narratrice : « Surtout continue d’écrire, Élisabeth ! »
À lire ce roman, on décèle aussi les différentes écritures auxquelles Isabelle Bielecki s’est depuis toujours consacrée en plus de la fiction romanesque : le théâtre et la poésie. Sans doute y a-t-il dans ces deux genres le sillage souterrain de la langue originelle, le russe. Peut-être est-ce de là aussi que sont venues les constructions poétiques singulières dont la poète a littéralement créé le genre : les stichous.
Le roman La maison du Belge est paru aux Éditions M.E.O. et vient ainsi enrichir le catalogue de cette maison créée et dirigée avec une infatigable énergie par le romancier Gérard Adam, dont on ne dira jamais assez la générosité et l’attention à l’œuvre « des autres ». Nous l’avons interviewé à plusieurs reprises, que ce soit en tant que romancier ou éditeur. Le livre est précédé d’une préface éclairante de Myriam Watthee-Delmotte. Académicienne, auteure (ne citons que le mémorable livret de l’opéra Verlaine au secret) et essayiste littéraire (spécialiste de Henri Bauchau, elle est l’auteure d’un récent essai bouleversant – Dépasser la mort, paru chez Actes Sud – qui décrit en quoi, sur le chemin escarpé et solitaire du deuil, l’expérience littéraire permet de « réélaborer du sens face à la mort de l’un des siens »). Myriam Watthee-Delmotte scrute ici la force de l’écriture littéraire dans les combats pour l’identité.
Jean Jauniaux, L’ivresse des livres.

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Elisabeth est à un tournant de sa vie. Ce n'est pas le premier, mais peut-être celui qui va clore la série. Libérée de deux mariages malheureux, elle n'est pas, malheureusement pour elle, encore dépêtrée de son histoire familiale. Fille unique d'un couple d'émigrés russo-polonais, elle porte en elle les stigmates du vécu dramatique de ses parents et prisonnière des conséquences relationnelles filiales résultantes. Dans sa quête éperdue d'attention et d'amour, elle va croiser le chemin d'un homme qui va bouleverser sa vie : Ludo.
Les histoires d'amour finissent mal en général… L'originalité de celle-ci est qu'elle commence mal. Très rapidement, beaucoup trop vite, quelque chose cloche entre ces deux-là. Est-ce le côté manipulateur de cet homme charismatique qui empêche cette relation de se développer, ou bien est-ce plutôt ce qu'Élisabeth transfère sur cet homme ? Elle l'écrit d'ailleurs très clairement, Ludo lui rappelle à la fois son père et sa mère, dans leurs violences, leurs sécheresses affectives, leurs duretés.
Et pourtant, elle s'accroche, contre toute raison apparente, si ce n'est que l'issue de cette histoire, dont la fin est inéluctablement inscrite, va peut-être lui permettre de s'épanouir enfin, de dire au-revoir aux fantômes de son passé pour s'accomplir elle-même. Elle trouvera ainsi la force et les ressources pour se consacrer à son rêve de toujours : l'écriture.
La Maison du Belge est un livre troublant. Ce qui apparaît présenté comme un roman se révèle être très autobiographique, axé sur la vie de l'auteure, déjà déclinée sur deux livres d'une trilogie dont celui-ci se trouve être le dernier volet. Pourtant, il n'est pas besoin d'avoir lu les deux autres pour aborder ce tome, il contient en lui la genèse des deux autres.
D'un point de vue psychologique, il fut pour moi déroutant de me poser la question de « qui manipule qui », tout au long de ma lecture. Cet homme est-il vraiment le vampire décrit dès la préface ? Elisabeth ne l'utilise-t-elle pas à son tour, inconsciemment, pour franchir une étape de sa vie qu'elle ne pourrait pas seule ?
Un livre sur les mystères de la psyché humaine…
Zora-la-Rousse, Babelio

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Un style d'écriture agréable à lire et un rythme intéressant. J'ai eu un peu de mal à me mettre dans l'histoire au début puis j'ai fini par me laisser porter par l'autrice qui nous raconte ses états d'âmes, ses joies, ses peurs son travail d'écriture.
WoolAndRamon, Babelio



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Marina, la confidente, détient les clés du mystère d’Elisabeth du fait même de l’écoute car c’est grâce à elle qu’elle ne renoncera ni à écrire son histoire personnelle, ni à la poésie, importante pour cette slave aux origines russes lointaines mais prenantes, quand son amant, Ludo, l’invite en week-end à Moscou, conditionnée, in fine dans une sorte de faux bonheur entretenu comparativement à une enfance très négative : « Tout le week-end, je poursuis ma reconquête. Au bois oui, je vis enfin une enfance heureuse, aux côtés d’un adulte bienveillant, inconsciente de ma métamorphose ». De la même façon, il y a ainsi cette retenue par rapport à la douleur d’enfance : « Il est hors de question de ternir mon image de conquérante en confessant un statut d’enfant martyr ».
Ces éléments ayant trait à l’enfance s’avèreront en effet prépondérants pour le roman en vue d’écriture avec, en parallèle, un carnet confident dans lequel Elisabeth trace le sillage du vécu en cours. La prouesse de l’auteur consistera à mener ensemble le carnet, le roman et l’explication conceptuelle d’un roman précédent d’Isabelle Bielecki, « Les mots de Russie ».
Elisabeth n’est-elle pas dans une situation de dépendance affective quand son père, après lui avoir demandé de « le sauver à son tour pour que là-bas au pays ils sachent qu’il n’a pas failli à son devoir et resté fidèle à sa patrie », renvoyant l’image de l’homme parfait et beau en filigrane vers son amant avec aussi cette importante précision que c’est pour échapper à sa mère violente qu’Elisabeth « se fondait dans son père » ?
En perpétuel rappel d’enfance et recherche d’idéal jusqu’à comparer une maison de campagne du Sud de la France à une datcha idéalisée dans son âme russe, Elisabeth sera sauvée par ce roman pour lequel Ludo, son amant, ne manifeste pas le moindre intérêt : « Ce que mon amant ignorera toujours, c’est que le choc de sa remarque provoquera en moi une avalanche de nouveaux souvenirs, des phrases entières qui se déverseront dans mon cahier le même soir ».
Progressivement, le schéma ancré pour se laisser faire se fissure :
« Le lendemain, samedi, je travaille, mais il me propose une promenade au bois. La veille, je me suis exhortée. Tu dois résister. Tu dois refuser ! Ou tu vas y laisser ta peau ».
L’amie confidente écoute sans doute mais c’est bien le carnet tenu au jour le jour qui sauve une imparable réalité quotidienne évolutive.
Plusieurs fois, dans ce roman, et à plusieurs niveaux, c’est à mon sens bien l’acte d’écrire qui est mis en cause ou plutôt mis « à raison » : ces écritures multiples (carnet, roman, allusions au théâtre) et mêlées sont les vraies poupées russes de cette histoire avec les emboitements serrés qu’on leur connait. Séparée, la poupée russe est ce creux à remplir : elle ne réfléchit jamais mieux qu’avec la tête séparée du corps et donc aussi de la part active de la passion et de la sexualité (« Ma tête veut partir, mon corps refuse », les creux à remplir étant peut-être eux-mêmes dissociés en deux parties lesquelles pourraient suggérer la tête du père et le corps de la mère de la protagoniste partagée en sentiments familiaux très préoccupants.
C’est un roman intriguant avec des traces psychologiques imbriquées dans la complexité d’une relation où les milieux sociaux et d’affaires truqués par le pouvoir de l’argent jouent également leurs rôles.
De ci de là surgit l’esprit de la poète dans la prose d’observation avec, par exemple, « j’écoute les flammes raconter l’éphémère » ou encore quand l’auteure rappelle cette belle expression russe : « Mieux vaut avoir une mésange dans la main qu’une grue dans le ciel ».
Une brillante préface de Myriam Watthee-Delmotte, écrivaine elle-même, annonce brillamment le roman.
Outre l’intrigue conceptuelle d’une écriture en marche et réactive à l’emprise, le personnage de Marina me paraît également intéressant pouvant devenir, dans l’esprit du lecteur cette fois, tout autre chose qu’une personne physiquement révélée : et si elle n’était pas…la résilience personnifiée d’Elisabeth elle-même ? Qui sait !

Patrick Devaux, blog.


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Elisabeth, une héroïne émouvante, passionnée en quête de sa vérité.
Ludo, son amant, riche, égoïste arrogant, il joue avec elle comme avec une poupée russe.
Une matriochka éparpillée qui se rassemble au fil des pages.
Des pages de passion amoureuse, de questionnements...
L'enfance, la famille, le bouleversement de l'histoire avec un grand H.
L'amnésie, les pièces d'un puzzle qui la hantent...
Le besoin vital d'écrire mal perçu par l'amant
L'air conditionné répète en sourdine le dernier refrain de ce mois d'août qui écrase la ville. Sous le lustre de Murano, j'aligne ces quelques impressions. Mon amant ne s'en formalise pas. Ce n'est plus que la marotte d'un écrivain raté.
Mais imperceptiblement les choses vont changer...

Nous avons glissé. D'abord Ludo, qui n'est pas parvenu à se relever, puis moi en essayant de l'aider. Je me suis vue mourir avec un terrible goût salé en bouche. Sans avoir rien réalisé de ma vie.
C'est à ce moment que commence le revirement...

Un beau moment de lecture !
Marcelle Pâques.

Marcelle Paques, blog,


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Voilà une auteure, Isabelle BIELECKI, qui est dans la ligne d’Hubert Nyssen. Je lui souhaite l’Académie royale des Sciences, des Lettres de Belgique et, un beau succès pour ce dernier volume d’une trilogie : Les mots de Russie et Les tulipes du Japon.
En la lisant ce roman : La maison du Belge, je comprends mieux son évocation à Amélie Nothomb : Stupeur et tremblements, dans l’expérience qu’elle fait d’une entreprise nipponne. Et comment, plus avant ne pas penser à ce titre : Le Parfum, roman de Patrick Süskind.
Dans ce triangle d’Amour, de désamour, de sentiments et d’empathie, les personnages du livre : Élisabeth, Ludo et Marina « Maia dorogaia, bonne conseillère ».
Une autre amie, Caroline : « ces homme qui ont peur d’aimer » et ses mots de Ludo, l’homme d’affaires : « séduire, conquérir, asservir ». Cynisme et réalisme, hélas ! où nous pourrions tous nous retrouver si ce n’est à contre nature de notre cœur, de notre éducation. Ludo avait-il été aimé ?
Élisabeth et son roman : « je rature. Recommence. Recopie avec hargne. […] « pichi ! Pichi ! Pichi ! » : écrire, écrire, écrire…
Ce roman qui prend forme envers et contre tout ; un roman fort, qui aura l’écho qu’il mérite, ici où ailleurs, je le sens. Le temps s’apaise, même s’il en coûte, il ne fallait penser qu’à soi pour arracher la FIN.
Je suis sûr qu’Élisabeth aime toujours Ludo mais le deuil de cet amour est fait. Elle a eu peur, elle aussi, d’aimer trop : son père, Ludo et les hommes lui furent indispensables dans son combat pour la « simple » liberté d’exister mais, seule, elle a su vaincre.
Bravo à Isabelle BIELECKI qui a su conduire ces lignes sans concessions nous offrant un roman d’amour où ne manque aucun des ingrédients d’un très bon livre. Une écriture sur laquelle investir.

Philippe Brahy, Les Belles Phrases

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Par un dispositif narratif – analysé dans la préface par Myriam Watthee-Delmotte, fait d’ « emboîtements signifiants » – Isabelle Bielecki clôt en beauté son triptyque romanesque entamé en 2006 par Les Mots de Russie (E.M.E.) et poursuivi en 2017 avec Les Tulipes du Japon (M.E.O.).
Trois noms de pays associés à trois noms communs pour raconter une vie, celle de l’autrice mais aussi celle de ses parents, de même qu’un itinéraire, partant de Russie (Passau) pour arriver en Belgique où elle travaillera au service d’une entreprise nippone. C’est la seconde partie du XXème siècle qui défile, à la façon d’un bilan du siècle passé même si l’action évoquée dans ce récit se déroule au début du XXIème.
En 73 phrases-clés, Isabelle Bielecki ouvre les diverses portes de sa maison romanesque. Elisabeth, son double romanesque, se base sur le Journal qu’elle a tenu durant les faits pour raconter le récit chronologique d’une liaison sur une dizaine d’années.
Le dispositif, qui en épouse divers éléments, fait penser à celui d’une cure psychanalytique. Après chaque remémoration des épisodes, elle l’analyse dans le studio de Marina, une proche de sa mère. C’est de là qu’elle conte cette histoire d’un amour contrarié avec un amant ne pensant qu’à accroître son pouvoir au sein d’un holding financier et ne renoncera jamais à quitter son poste. De même, il ne voudra jamais vivre avec cette femme aux ressources financières plus modestes qui risquerait, à terme, de lui faire de l’ombre par son activité littéraire. La Maison du Belge, seconde résidence de l’amant en France, peut figurer ce pays qu’elle ne pourra vraiment investir qu’une fois devenue romancière.
L’histoire contrariée avec son amant fait écho à sa relation avec ses parents et nourrit les réminiscences propres à son travail littéraire en cours. Cette situation, aussi pénible à vivre soit-elle, va être le terreau nourricier de l’écriture du roman familial, celui que son père lui a commandé d’écrire. Tâche qu’elle mènera à terme en dépit d’une activité professionnelle prenante.
On assiste ainsi à la naissance d’un livre et d’une romancière (car la narratrice a déjà écrit des pièces de théâtre et de la poésie) dans le même temps où un autre texte se construit et se lit sous nos yeux.
Mais il ne faudrait pas n’y voir que les amours malheureuses d’une femme reproduisant un trauma issu de l’enfance. Ce roman dénonce subtilement la mainmise masculine sur le monde de l’entreprise mais aussi sur le celui du théâtre et les collusions existant entre les deux, qui plus est lorsqu’elle s’applique sur une femme issue de l’immigration qu’on ne maintient que dans des seconds rôles, de faire-valoir, ceux de secrétaire ou bien de maîtresse. 
De plus, le roman est narré dans un style alerte, limpide, jouant des diverses strates narratives, qu’on ne parvient pas à laisser avant la fin.

Éric Allard, Les Belles Phrases


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Une femme entre deux passions
L’affrontement entre un homme manipulateur et la femme amoureuse qui redoute de le perdre.
Avec La Maison du Belge, Isabelle Bielecki clôt une trilogie où elle revisite son passé et ce qui en a influé sur son rapport à l’écriture, à elle-même et aux autres. Elle y met en parallèle les liens entre ses histoires personnelles et celle d’un monde dont elle ressent les bouleversements, que ce soit des guerres, des attentats, de l’économie, de l’émigration… Mais, plus fortement encore, elle observe les rapports de force entre des hommes exerçant un pouvoir et les femmes qui se laissent prendre au piège de leur discours amoureux ou d’un magnétisme auquel elles résistent difficilement. Elle en traduit la réalité dans un affrontement entre la manipulation égoïste des uns et l’aliénation amoureuse des autres. Entre manipulateur – un mot très présent dans ses livres – et victime, y a-t-il un compromis possible ? Elle en parle à partir de son expérience. Le destin de son héroïne, proche du sien, y puise sa crédibilité.
Dans Les mots de Russie paru en 2006, elle explorait ses souvenirs de parents dévastés par les horreurs des camps, à travers une mère brisée qui la détestait et un père tendrement aimé qui empiétait sur sa créativité par ses injonctions pressantes. Avec Les tulipes du Japon, elle rejoignait en 2018, le combat des femmes pour la liberté face à des hommes peu fiables et d’autant plus insaisissables qu’ils appartenaient à une culture aussi spécifique que celle du Japon. Son troisième volet rejoint le premier, s’inscrivant dans les coulisses de son écriture et dans la passion amoureuse qui, l’ébranlant au même moment, découvrait les mécanismes d’une emprise psychologique.
Exister sous son regard
Elisabeth, son double romanesque, y raconte sa rencontre avec Ludo à Marina, sa proche amie russe toujours prête à l’écouter et la conseiller. Il est beau, grand, séducteur. Homme de pouvoir et de finances plus âgé qu’elle, il n’est pas de son monde. Elle éprouve pourtant un étrange bien-être en sa présence. Sortant beaucoup, il l’invite à une Première de théâtre sans trop lui accorder d’attention. Mais elle veut exister sous son regard. Il l’invite chez lui. Leurs ébats sont intenses. Chacun vit toutefois chez soi. Soit il part seul en vacances. Soit il la sollicite pour une promenade au Bois de la Cambre à Bruxelles, un dîner à la Brasserie Georges, un voyage à Knokke, en Russie, au Portugal ou dans sa maison de Bormes-les-Mimosas qui, appelée la maison du Belge, souligne sa non-appartenance au village. Elle s’extasie de tout. Il veut la modeler à sa façon, s’intéressant peu à ses préoccupations : écrire. Elle a un irrépressible besoin d’écriture qu’entre sa vie professionnelle et les exigences abruptes de son amant incontrôlable, elle ne parvient à satisfaire que de stratagèmes en instants volés. Elle sait devoir lui résister. Elle finit toujours par céder. Elle se rend indispensable, lui reprochant de n’être pas conscient de ce qu’elle fait pour lui. On a envie de la secouer.
Le livre est fait de ces deux passions qui déchirent une femme cherchant maladroitement la place qu’on ne lui accorde pas, ne s’évadant que lentement de l’équation répétitive jusqu’à la lassitude : Il insiste. Je résiste. Il gagne. C’est comme un jeu d’échecs dont les coups finiront pourtant par porter. Qui gagne à la fin ? Il est d’autant moins évident de trancher nettement qu’Isabelle Bielecki ne parvient pas à rendre son narcissique amant vraiment antipathique. Comme si elle n’en avait pas complètement évacué les attraits et les redditions. La mémoire serait-elle, elle aussi, manipulatrice ?

Monique Verdussen, Le Libre Belgique



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Marina, la confidente, détient les clés du mystère d’Élisabeth du fait même de l’écoute, car c’est grâce à elle qu’elle ne renoncera ni à écrire son histoire personnelle, ni à la poésie, importante pour cette Slave aux origines russes lointaines mais prenantes, quand son amant, Ludo, l’invite en week-end à Moscou, conditionnée, in fine dans une sorte de faux bonheur entretenu comparativement à une enfance très négative : « Tout le week-end, je poursuis ma reconquête. Au bois oui, je vis enfin une enfance heureuse, aux côtés d’un adulte bienveillant, inconsciente de ma métamorphose ». De la même façon, il y a ainsi cette retenue par rapport à la douleur d’enfance : « Il est hors de question de ternir mon image de conquérante en confessant un statut d’enfant martyr ».
Ces éléments ayant trait à l’enfance s’avéreront en effet prépondérants pour le roman en vue d’écriture avec, en parallèle, un carnet confident dans lequel Élisabeth trace le sillage du vécu en cours. La prouesse de l’auteur consistera à mener ensemble le carnet, le roman et l’explication conceptuelle d’un roman précédent d’Isabelle Bielecki, Les mots de Russie.
Élisabeth n’est-elle pas dans une situation de dépendance affective quand son père, après lui avoir demandé de « le sauver à son tour pour que là-bas au pays ils sachent qu’il n’a pas failli à son devoir et est resté fidèle à sa patrie », renvoyant l’image de l’homme parfait et beau en filigrane vers son amant avec aussi cette importante précision que c’est pour échapper à sa mère violente qu’Élisabeth « se fondait dans son père » ?
En perpétuel rappel d’enfance et recherche d’idéal jusqu’à comparer une maison de campagne du Sud de la France à une datcha idéalisée dans son âme russe, Élisabeth sera sauvée par ce roman pour lequel Ludo, son amant, ne manifeste pas le moindre intérêt : « Ce que mon amant ignorera toujours, c’est que le choc de sa remarque provoquera en moi une avalanche de nouveaux souvenirs, des phrases entières qui se déverseront dans mon cahier le même soir ».
Progressivement, le schéma ancré pour se laisser faire se fissure :
 « Le lendemain, samedi, je travaille, mais il me propose une promenade au bois. La veille, je me suis exhortée. Tu dois résister. Tu dois refuser ! Ou tu vas y laisser ta peau ».
L’amie confidente écoute sans doute mais c’est bien le carnet tenu au jour le jour qui sauve une imparable réalité quotidienne évolutive.
Plusieurs fois, dans ce roman, et à plusieurs niveaux, c’est à mon sens bien l’acte d’écrire qui est mis en cause ou plutôt mis « à raison » : ces écritures multiples (carnet, roman, allusions au théâtre) et mêlées sont les vraies poupées russes de cette histoire avec les emboîtements serrés qu’on leur connaît. Séparée, la poupée russe est ce creux à remplir : elle ne réfléchit jamais mieux qu’avec la tête séparée du corps et donc aussi de la part active de la passion et de la sexualité (« Ma tête veut partir, mon corps refuse »), les creux à remplir étant peut-être eux-mêmes dissociés en deux parties lesquelles pourraient suggérer la tête du père et le corps de la mère de la protagoniste partagée en sentiments familiaux très préoccupants.
C’est un roman intriguant avec des traces psychologiques imbriquées dans la complexité d’une relation où les milieux sociaux et d’affaires truqués par le pouvoir de l’argent jouent également leurs rôles.
De-ci de-là surgit l’esprit de la poète dans la prose d’observation avec, par exemple, « j’écoute les flammes raconter l’éphémère » ou encore quand l’auteure rappelle cette belle expression russe : « Mieux vaut avoir une mésange dans la main qu’une grue dans le ciel ».
Une préface de Myriam Watthee-Delmotte, écrivaine elle-même, annonce brillamment le roman.
Outre l’intrigue conceptuelle d’une écriture en marche et réactive à l’emprise, le personnage de Marina me paraît également intéressant pouvant devenir, dans l’esprit du lecteur cette fois, tout autre chose qu’une personne physiquement révélée : et si elle n’était pas… la résilience personnifiée d’Élisabeth elle-même ? Qui sait !

Patrick Devaux, La cause littéraire.

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Les doutes autour d’une relation amoureuse, pleine de fièvre. Ludo et Elisabeth se trouvent, se perdent, se retrouvent entre présent délirant et passé traumatisant dont l’héroïne se délivre peu à peu. La main épaisse de la mère est là qui broie encore, et le passé du père.
En phrases très courtes, l’histoire en devient haletante, prenante, décisive.
La passion slave ainsi revisitée.
Poète, romancière, Élisabeth, en pleine réécriture de son roman russe, vit cette passion entre avancées et retraits tranchants. Ludo joue de son charme, de son entregent, de ses faciles manœuvres, habitué à biaiser, il la laisse espérer, et, plus d’une fois elle cède à cette forme de domination dont il a les clés. Élisabeth, employée dans une firme japonaise qui lui donne beaucoup de travail, perdue dans ses doutes littéraires, dans cette relation amoureuse aléatoire, est en pleine déroute.
Parfois, certains voyages, à Lisbonne, certains séjours, à Bormes, où le Belge a une maison, servent de dérivatif. Mais quelque chose a commencé à se craqueler.
Le seul bonheur de la narratrice est de se confier à Marina, qui souvent l’a encouragée, aujourd’hui disparue.
Ludo, à la fin, n’est plus qu’un simple reflet de lui-même. Souvent, il est comparé au père de la narratrice, la même pression sur la narratrice.
Entre 1998 et 2008, le temps des grandes crises, terroriste et bancaire, un couple s’est noué, dénoué.
La narration, plus fluide que dans le roman précédent, tire de la réalité de la romancière son principal matériau, et la sensibilité prenante ajoute à la clarté de l’écriture une once d’émotion bienvenue.

Philippe Leuckx, blog.


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Fiction, autofiction ou chronique d’une œuvre annoncée, le troisième volet du « triptyque romanesque » d’Isabelle Bielecki oscille entre les genres narratifs. D’un part, les repères géographiques, chronologiques, culturels et biographiques sont clairement identifiables et d’autre part les évocations plus intimes ou les personnes ou institutions trop reconnaissables sont « floutées » habilement. Le lecteur choisira entre ces deux options : un récit de vie écrit avec une ardente générosité ou un roman, très proche d’un script cinématographique, alignant chapitres et scènes d’une « vie post conjugale » à la manière d’un scénariste-dialoguiste. Présenté par l’éditeur et la préfacière comme un roman, nous suivrons donc cette ligne de lecture. L’avantage qu’offre la fiction est que l’histoire s’appuie sur une ouverture, un dénouement, une structure et une cohérence sans failles ni temps morts. Elizabeth, le personnage central et Ludo, son amant âgé occupent tout l’espace romanesque et alimentent d’un bout à l’autre l’action. Comme il s’agit d’une « trilogie », on retrouve l’héroïne des deux livres précédents : la femme qui s’est défendue dans un milieu professionnel impitoyable et la jeune fille victime de la mésentente cruelle qui déchirait ses parents, des émigrés russo-polonais, ayant subi eux-mêmes de terribles épreuves durant la dernière guerre. L’enjeu du livre se situe entre ce passé cruel et le présent vécu sous l’emprise de la passion amoureuse. Car, si la dizaine d’années qu’ont vécues les deux amants ont été à la fois intenses et destructrices, la mémoire de l’auteur réclame avant tout et sans désemparer le retour aux sources, la promesse faite au père, le devoir filial d’écrire la vérité d’une enfance douloureuse entre deux parents désaxés. Les deux figures masculines finissent d’ailleurs par se ressembler étrangement : un père extrêmement autoritaire et malheureux, un amant tyrannique, enjôleur, manipulateur en diable mais dont le statut, les relations et le charme certain font d’Elizabeth une proie autant qu’une résistante. Les relations tumultueuses, suivies de moments délicieux, les dîners, sorties, voyages, vacances, sans oublier l’omniprésence d’un fil rouge, ce besoin fou d’écrire, de se voir publiée, de connaître le succès,  rythment la vie du couple et, comme celle-ci est narrée sous la forme de confidences à une amie, la boucle s’achèvera à la mort de l’interlocutrice. Une voix s’éteint au moment où l’autre se lève et s’exprime.  L’argument essentiel du roman  s’impose dans la lumière de la solitude et repose sur cette ambivalence : l’amour et le refus, l’aveuglement et la désillusion, l’érotisme et la déchirure, la dépendance et la liberté, duels doux et risqués qui vont constituer le riche terreau d’une réflexion, d’une profonde introspection, d’un retour essentiel sur soi-même. Non pas un repli dans La Maison du Belge - une retraite dans une jolie propriété du Sud, une sorte de symbole rassurant et confortable - mais dans une âpre reconstruction de mots et de souvenirs, une œuvre de reconnaissance de soi, des siens, de ses origines, de son idéal sans cesse exigeant : l’écriture.

Michel Ducobu, Nos Lettres.


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Les Russes se jettent dans tout avec toute leur âme alors que les Belges commencent à réfléchir.
Ce roman est le dernier volet d’une trilogie (Les mots de Russie, Les tulipes du Japon) évoquant la quête existentielle d’Élisabeth, la fille d’un couple russo-polonais installé en Belgique, qui aura fort à faire pour se libérer tant de la servitude de ses passions destructrices que du poids du passé (une famille divisée, liée à la guerre et à la déportation) ; en effet, instrumentalisée par un père au passé militaire trouble, brimée par sa mère et manipulée par un amant aussi égoïste que cynique, Élisabeth devra composer longtemps avec les manques vécus dans son enfance, les vieux schémas familiaux et les contraintes que lui imposent les « hommes de sa vie » avant de pouvoir revenir à elle, gagner son autonomie, assumer pleinement sa vocation littéraire et en définitive, se mettre au monde…
D’une manière générale, ce roman met au jour la destinée d’une femme qui, en dépit de ses multiples déceptions sentimentales et familiales, puisera au plus profond d’elle-même, la force nécessaire pour suivre son propre désir, pardonner à ses « bourreaux », exprimer sa nature d’artiste et enfin, restructurer sa personnalité dissociée par le temps, l’espace et les autres ; mieux, ce roman narre magistralement les péripéties amoureuses et existentielles d’une femme qui, refusant d’être admirée voire aimée pour ce qu’elle n’est pas, exprimera ses doutes quant à tout ce qui l’empêche d’être elle-même voire la force à vivre dans le devoir être, la peur et le ressentiment…
Parmi les thèmes majeurs évoqués, citons, entre autres, le pouvoir des mots, le soviétisme, la mondialisation, la révolte, le capital, la liberté (une conquête plutôt qu’un don du ciel), le couple, la passion amoureuse et le… taoïsme (Tu crées ta propre souffrance, car tu attends ce que tu imagines au lieu de prendre ce qui vient).
Éclairé par la judicieuse préface de Myriam Watthee-Delmotte, ce livre est une ode à l’amour sous toutes ses formes, une invocation à la sensualité libérée, un plébiscite pour l’écriture littéraire et enfin, une invitation à entrer en nous, à nous rapprocher du mouvement de la vie pour percevoir ce qui est et par là-même, ce que nous sommes vraiment. Avec La maison du Belge, Isabelle Bielecki signe un roman qui parle le langage du cœur, du corps et d’une forme de liberté basée sur l’accomplissement de soi. Une réussite à tout point de vue !
Quelques citations.
À nouveau tu m’as mise en garde : Fais attention ! La pitié est une chose affreuse. N’y succombe jamais car il va l’exploiter.
Malgré cet avertissement, malgré mes résolutions, je recommençais à attendre un coup de fil. C’était plus fort que moi. Quelque chose en moi refusait de mourir. La nuit, je faisais des cauchemars. En rêve, je faisais un bond dans mon passé, j’étais à nouveau avec lui, incapable de le quitter.
C’était le même scénario qu’avec mon père. Une enfance à l’aimer à la folie, et une vie entière pour m’en arracher. Car l’appel de Ludo que j’appréhendais était le même que celui de mon père, sombré dans la parano la plus noire après le suicide de ma mère. Combien de nuits ne m’avait-il pas harcelée ! Chaque fois, j’avais espéré entendre l’homme que j’avais idolâtré, celui qui allait me protéger contre le pire et chaque fois c’était lui. Et lui seul.
Dans les deux cas, « maia dorogaia », j’ai espéré le retour d’un homme qui n’existait plus. Qui me dirait, enfin, les mots que j’avais attendus pendant des années.


© Pierre Schroven, Traversées







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