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Né en 1958 dans la région de Charleroi, où il réside toujours,
Carino Bucciarelli
a été ouvrier métallurgiste avant de devenir
enseignant de pratique en mécanique productique dans l’enseignement technique et professionnel. Il se consacre aujourd’hui totalement à l’écriture.
Il fait partie du conseil d’administration de l’Association des Écrivains belges de Langue française.
Son œuvre comprend des recueils de poèmes, des romans et des nouvelles.
Il a obtenu en 2020 le prix Lucien Malpertuis de l'Académie royale de Langue et Littérature françaises de Belgique
pour l'ensemble de son œuvre.

Buciarelli

Nous et les oiseaux


NOUS ET LES OISEAUX

Roman, 2021
156 pages
16,00 EUR
ISBN : 978-2-8070-0267-8 (livre) – 978-2-8070-0268-5 (PDF) – 978-2-8070-0269-2 (EPUB)


Par une nuit de neige et de grand froid, Stéphane (ou Pierre ?) Delatour heurte une pierre sur l’autoroute. Laissant dans l’habitacle sa femme et ses deux enfants, il va téléphoner à une borne, suivi par l’étrange regard d’une corneille. Au retour, la voiture a disparu. Et dans le commissariat où il fait sa déposition, l’inspecteur semble bien solitaire. C’est l’amorce d’un chassé-croisé de personnages qui se substituent les uns aux autres, mêlés à des oiseaux et à un anorak rouge dans la neige.
À sa manière inimitable, Carino Bucciarelli revisite le réalisme fantastique cher à nos contrées septentrionales.




e-book
9,99 EUR
À partir du 15 février




Extrait


Une tache noire dans les branchages nus des arbres attira mon attention. C’était une corneille. Elle me regardait. Du moins j’eus cette impression. Une corneille regarde-t-elle les hommes dans les yeux ? Tout en progressant, je lui jetai des coups d’œil furtifs. Elle semblait toujours, elle aussi, me suivre du regard. Au moment où elle allait sortir de mon champ de vision, elle prit son envol pour venir se poser sur un arbre situé plus en avant, comme si elle voulait volontairement rester visible à mes yeux. Bientôt, je ne pus plus douter, l’oiseau suivait bel et bien ma progression. Chaque fois que j’avais accompli une centaine de mètres, il changeait de position, se perchant au sommet d’un arbre différent pour m’observer ; son attention, c’était clair maintenant, bien dirigée vers moi. Comme tous les oiseaux, il tournait la tête brutalement de côté pour mieux me surveiller, tour à tour de son œil droit, ensuite du gauche, puis l’immobilisait de nouveau bien face à moi, le bec pointé dans ma direction. J’avais déjà entendu parler de personnes agressées par des oiseaux réputés inoffensifs, comme des mouettes ou de simples passereaux qui fonçaient droit sur leur victime pour lui asséner des coups de bec violents. Je me tenais sur mes gardes, prêt à frapper du plat de la main s’il fondait sur moi.
Manifestement la corneille s’obstinait à me suivre. J’entendais le bruit régulier de ma respiration inquiète. Des panaches de vapeurs sortaient de ma bouche dans l’air glacé à chaque expiration. Le froid provoquait une sensation de brûlure dans mes cavités nasales. J’aurais aimé ramasser une pierre et la jeter au volatile, mais on n’en trouvait aucune sur cet accotement bien entretenu. Et d’ailleurs, si une pierre s’était présentée, j’aurais dû me baisser pour la prendre. La corneille ne risquait-elle pas de percevoir ce geste comme de la soumission ou de la fuite, et dès lors de véritablement attaquer ? Je m’immobilisai et lui fis face. Prêt à la lutte. de la fuite, et dès lors de véritablement attaquer ? Je m’immobilisai et lui fis face. Prêt à la lutte. Elle ne bougeait pas, là-haut sur son nouvel arbre. Je la voyais comme une ennemie et une détermination s’installa en moi. La peur avait disparu. Je me sentais assez fort pour vaincre quand elle s’élancerait. Elle me regardait toujours et je souhaitais à présent engager le combat. Nous ne pouvions plus nous fixer l’un l’autre éternellement. Elle devait se décider, elle ; moi j’étais incapable, cloué au sol, d’engager l’assaut. Je lui fis signe d’un mouvement du bras, pour l’appeler à moi. Il fallait en finir.




Ce qu'ils en ont dit


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Étrange ! Fascinant !
Delatour, « un patronyme bien banal ... simple coïncidence ne devrait te troubler en rien ... »
Raven, une Corneille qui a toute sa place tout au long de cette intrigue.
Tout s'embrouille… tout s'embrouille, le mystère s'épaissit au fil des pages.
Imaginez !
Mélangez de l'eau et du savon.
Faites des bulles multicolores qui s'échappent une à une.
Chaque bulle de couleur relate une histoire à chaque fois différente, à chaque fois similaire.
Le point commun des bulles reste le « savon » et ici dans cette fantastique et étrange histoire le point commun est le patronyme « Delatour ».
Des bulles qui partent dans toutes les directions pour finalement se rejoindre et finir par éclater.
Reste, un point d'interrogation ?
Je viens de refermer ce livre et il continue à m'intriguer !!!
marlene50, Babelio


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Une route, un accident, l’hiver glacial et un anorak rouge dans la neige. Il part chercher du secours. À son retour, la voiture a disparu et on glisse vers le fantastique. Qui est ce mystérieux commissaire passionné d’oiseaux ? Ou cette commissaire qui porte le même prénom que sa femme ? Les histoires se superposent, les personnages aussi. À moins que le narrateur (ou ses
doubles ?) ait tout inventé ? Ou bien est-il en train de rêver ? Et ces oiseaux qui sont toujours là à les observer…
Audrey Verbist, L’Avenir.


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Ce qui démarre comme un fait divers vire très tôt au jeu des confusions, avec des non-dits, des faux-semblants, des pistes qui n’en sont peut-être pas, un dédoublement de la personnalité, des troubles psychiques ou une sordide machination qui se met en place pour broyer un être dont on ne sait pas très bien qui il est. L’écriture induit l’étrangeté de la situation, manipule avec habileté le lecteur et se confond avec un labyrinthe qui exploite à la fois l’âme humaine, ses pulsions et la société qui l’entoure. Avec une plume qui maîtrise le sens de la narration, l’auteur revisite le réalisme fantastique cher à nos contrées septentrionales.
Sam Mas, Bruxelles Culture


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Les oiseaux et les dieux – Un coup de cœur du Carnet
La cohabitation pacifique ou terrible entre les oiseaux et des hommes a déjà été traitée depuis des millénaires dans la littérature, la poésie, la musique et, plus récemment, le cinéma… Les oiseaux sont des figures mythologiques, des formes de pythies annonçant des destins obscurs… Là où vont les oiseaux et les dieux ne peuvent aller les hommes, disaient les Grecs…
Les apparitions d’oiseaux annonciateurs de catastrophe ou de salvation sont une des dimensions fortes du dernier roman de Carino Bucciarelli, Nous et les oiseaux.
Disons-le tout de suite, c’est un coup de maître !
L’auteur, par ailleurs poète de haut vol,  est là dans la parfaite maîtrise de son art,  celui des jeux de transfuges d’un univers à l’autre, d’une parallèle à l’autre dans une logique magique de permutation de réalités. Les évaporations de perception, les glissements d’un apparent réel à un autre font de ce roman véritablement une sorte d’acmé de la matière même au cœur de l’écriture et des obsessions de l’auteur : la loi secrète des labyrinthes, les transgressions d’apparitions-disparitions et tout ce qui constitue une sorte d’incertitude du monde et probablement de ce leitmotiv du temps, l’identité, ou, plutôt les identités successives des êtres.
Tout l’art de Carino Bucciarelli est de mettre en valeur des éléments d’un réel supposé, puis soudain, de le soustraire à la logique narrative et, l’air de rien,  tout en tendant ce même fil narratif, à le remplacer par une autre réfraction éclairante.
Carino Bucciarelli est, comme il le rappelle lui-même, un écrivain du labyrinthe, un tresseur de récits qui laisse apparaître à chaque instant du livre les déperditions de ce que nous appelons le réel et notre sentiment d’être là.
Nous et les oiseaux, dès les premières pages, met en place le malaise de la connivence du lecteur avec le personnage de monsieur ou madame Delatour…
Nous sommes sur une route enneigée la nuit en pleine forêt, une famille en voiture avance dans cette nuit quand soudain l’accident (une pierre sur la route, un roue faussée) et voilà le père qui part à pied – ils ont tous oublié leur téléphone portable – rejoindre une borne téléphonique le long de l’autoroute.
Une voiture passe, une femme impassible à bord, elle avance, ne détourne pas la tête et disparaît au loin, un oiseau observe tout ça, une corneille. On le sait, cet animal à la sinistre réputation est en fait un des oiseaux les plus intelligents de l’espèce.  Cette corneille, de borne en borne, d’arbre en arbre, inquiète le protagoniste égaré.
L’oiseau et l’homme se scrutent. Puis la corneille s’envole, comme pour précéder le protagoniste égaré dans son destin que l’auteur met en scène. On pourrait croire que cette corneille sait ce qui va se passer, est en train de se passer ou ne se passera pas… Elle connaît la suite mais, comme les dieux antiques, elle ne peut, ou ne veut rien changer du misérable destin de celui qui s’agite, là, en bas.
Des rencontres avec un policier, une policière et la présence en permanence des oiseaux, des photos d’oiseaux dans le récit donnent au lecteur des indices qui vite se dissipent pour être chassés par d’autres signes. C’est passionnant.
Carino Bucciarelli sait presser les apparences comme un fruit généreux et l’éditeur n’hésite pas, très légitimement, à le présenter comme un jongleur scintillant du réalisme magique…
Carino Bucciarelli prend plaisir à extraire de chaque événement du récit ce qui pourrait le conduire au désastre, à une forme silencieuse de l’horreur. Ce serait peu de chose de dire que l’auteur est un conteur, il est aussi un observateur minutieux des glissements que chaque jour accueille en nous. L’enfer ce n’est pas les autres, pas besoin, ils sont en nous et nous les emportons vaille que vaille dans notre errance sans fin.
Carino Bucciarelli délie ainsi les arborescences de toutes ces présences au monde qui sont le cristal de notre humanité multiple et emmène le lecteur là où il rêve d’aller confusément, dans le domaine des dieux…
Daniel Simon, Le Carnet et les Instants

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Étrange roman que celui-là… Comme disait l’autre, pour qu’il y ait roman, il faut qu’il y ait un début, un milieu et une fin (cela peut se dire d’ailleurs de n’importe quoi). Ici, il y a bien un début – une voiture, Volkswagen en l’occurrence, bloquée dans la neige, après avoir heurté un roc. Le père, la mère, un garçon et une fille. Impossible de redémarrer, voilà le père parti à pied, à la recherche d’une borne téléphonique. Il aperçoit, dans la neige, un anorak rouge. Une voiture le croise, sans s’arrêter, conduite par une belle indifférente et dédaigneuse, au profil aquilin. Il finit par atteindre la borne, appelle une dépanneuse. La voici qui se pointe, et le prend en charge jusqu’au point où il a quitté sa voiture. Jusque-là, rien que de très normal. Cela arrive à tout le monde tous les jours. Ou presque.
Mais voilà le hic : arrivé à cet endroit – du récit ou de la route, comme vous voudrez, eh bien, il n’y a plus rien… Juste quelques traces de pneus qui ont tôt fait de se perdre dans la neige. Que s’est-il passé ? Quelqu’un d’autre les aura dépannés ? Sans doute. Le voilà reparti en sens inverse, avec son dépanneur, jusqu’à la petite ville la plus proche, où il se précipite au poste de police. Un commissaire solitaire l’y attend, et compulse ses documents. Conclusion : notre héros, Delatour, car il a un nom, qu’il n’est pas le seul à porter, n’est pas marié, n’a pas d’enfants, n’a pas de voiture. Et puis, n’est-ce pas, les gendarmes, ils vont toujours deux par deux, et ce policier, il est seul dans son bureau. J’oubliais, seul à part une corneille. Car c’est un passionné d’ornithologie.
Alors quoi, Delatour ? A poor lonely cow-boy? Un héros sorti tout droit de chez Kafka ? Non, vous n’y êtes pas, car femme et enfants, il en aura bientôt tout un magasin. Ils vont se reproduire comme des golems, en série. Comme des clones, si vous préférez. Et les corneilles, itou. Avec un hibou de temps en temps. Et mine de rien, les allusions littéraires sont nombreuses, elles aussi : le corbeau, d’Edgar Poe, et son Nevermore. Corbeau ou corneille, on les confond souvent. Une phrase qui revient souvent, exprimée ou sous-entendue, et qui est, elle, d’Oscar Wilde, dans la Ballade de la geôle de Reading : Et chacun tue la chose qu’il aime. Kafka, La métamorphose, bien entendu. Et Les oiseaux de Hitchcock.
Un polar ? Le livre n’est pas annoncé comme tel. Et puis, si vous arrivez à découvrir l’auteur du crime – car il y a eu crime, je vous invite à dîner au Comme chez soi, quand l’épidémie sera finie.
Et la fin ? me direz-vous. La voici :
Elle dit ensuite : – Il est bien tard, rentrons chez nous maintenant. (p.152)
Mais ce n’est pas vraiment une fin. Conclusion : ce n’est pas vraiment un roman. Ce sont des choses qui arrivent tous les jours. La vie est un roman.
Joseph Bodson, Reflets Wallonie-Bruxelles


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Romancier, l'auteur reste poète et trouve dans l'œil des oiseaux un regard lucide sur notre pauvre  condition humaine.
Après une scène d'ouverture où la neige, sur l'autoroute, appelle un monde inquiétant, les  personnages se superposent les uns aux autres dans une confusion que renforce un patronyme commun (dans tous les sens du mot). Presque tous s'appellent Delatour.
Il y a aussi plusieurs Olga. Mais un seul anorak rouge pour un cadavre.
Pierre Maury, Le Soir


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La 4e de couverture l'annonce "A sa manière inimitable, Carino Bucciarelli revisite le réalisme fantastique...". Mais c'est quoi du réalisme fantastique? Deux mots qui, pour moi, s'opposent.
J'ai lu ce livre très vite tant j'étais impatient de lire la suite et de comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Et, finalement, arrivé au bout des 150 pages, mon cerveau se trouve enfermé dans une brume dont il n'arrive pas à s'extirper.
Tout d'abord, plusieurs narrateurs prennent la parole et on ne sait pas toujours qui ils sont. Puis, ils ont tous soit le même patronyme soit le même prénom. Impossible de savoir qui est qui... Attendez, vous allez comprendre...
Monsieur Delatour (est-ce Pierre ou Stéphane?) heurte une pierre sur l'autoroute. Pour appeler les secours, il brave le froid de l'hiver et part à la recherche du borne qui lui permettra de téléphoner. Une corneille le suit, semble même le surveiller. Sur la route, il découvre un cadavre mais ne s'en retourne pas !
Il appelle les secours et revient à sa voiture dans laquelle il a laissé sa femme, Olga, et ses enfants. Oui, mais voilà, plus de famille et plus de voiture !
M. Delatour se rend au commissariat le plus proche afin de signaler la disparition de sa famille. Le policier se renseigne sur l'homme qui lui fait face : celui-ci n'est pas marié, n'a pas d'enfants, même pas de voiture ni de permis, et même pas de boulot !
Pas mal, hein, comme entrée en matière? Le lecteur s'accroche au récit.
Mais ensuite, c'est la désillusion, un embrouillamini pas possible ! Impossible de savoir de combien de personnages se compose ce récit ! Qui est cet homme sur l'autoroute? Est-ce le même que celui qui a tué sa femme? le même qui est chef d'entreprise? Et qui cette Olga multiple? La morte? La femme de cet homme? La commissaire? Un témoin de l'incident sur l'autoroute? Un peu tout à la fois sans doute !
Et ces oiseaux omniprésents, qu'ont-ils à faire dans l'histoire finalement?
Un livre qui m'a tourneboulé, que j'ai aimé lire, mais qui me laisse dubitatif.
Philippe Desterbecq, Cdubelge


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Je me souviens d’avoir lu un précédent livre de Carino et d’avoir déjà rencontré cette façon qu’il a d’inventer des histoires insolites, fantastiques, impossibles, irréelles qui déstabilisent le lecteur, l’embarquent dans une dimension qu’il ne peut pas appréhender avec sa logique cartésienne. Après cette lecture, j’avais écrit : « Avec ce texte, Carino Bucciarelli bouscule toutes les règles de l’écriture conventionnelle, son narrateur descend dans le roman pour rencontrer les personnages qu’il met en scène ou peut-être que ce sont les personnages qui s’incarnent pour rencontrer celui qui leur a donné une existence plus ou moins réelle, plus ou moins imaginée ». Dans ce nouveau roman, Carino égare sans cesse le lecteur en l’entraînant là où il y a toujours un Delatour, Stéphane ou Pierre, une Delatour qui se prénomme toujours Olga, ou des enfants Delatour, Gabriel et Irina. Mais chaque épisode de l’histoire est raconté par un narrateur différent qui rapporte une version différente des faits connus du lecteur ou une version non compatible avec ce que le lecteur sait déjà. Chaque personnage est multiple, chaque événement a plusieurs dimensions, plusieurs versions, plusieurs vérités…
Par une soirée d’hiver glaciale sur une autoroute difficilement praticable Stéphane, ou Pierre, Delatour roule prudemment avec à bord de sa voiture sa femme Olga et ses enfants Irina et Gabriel quand il percute une pierre qui détruit sa roue avant droite. Tous les deux, ils ont oublié leur portable, le mari décide donc de rejoindre à pied la prochaine borne téléphonique sous le regard insistant d’une corneille qui le suit pendant un certain temps. Avant de rejoindre, la borne, il remarque, sur le bord de la route, un anorak rouge qui recouvre peut-être un corps. Il appelle une dépanneuse qui ne trouve pas sa voiture ni sa famille. Le chauffeur l’accompagne au commissariat où les policiers lui disent qu’il n’est qu’un affabulateur, il n’a ni voiture ni famille… Alors commence la valse des Delatour sous le regard toujours aussi curieux de la corneille… Et l’anorak rouge revient lui aussi régulièrement dans le récit…, tout comme la conductrice de la petite voiture qui a tout vu… L’intrigue se complique, l’anorak rouge, fil rouge de cette histoire, pourrait indiquer qu’il y a eu un meurtre mais l’imbroglio est tel que le lecteur devra rester très attentif.
L’éditeur, sur la quatrième de couverture, indique qu’il s’agit d’un roman appartenant au genre du « réalisme fantastique », même si je ne fréquente pas assidûment ce genre littéraire, je partagerais volontiers cette opinion mais je voudrais ajouter que, pour ma part, il m’a fait penser à l’école des « illusionnistes », ceux qui, comme Georges Rodenbach, Villiers de L’Isle-Adam ou encore Robert-Louis Stevenson, dans « Le Dynamiteur » notamment, inventent une autre réalité pour donner corps à leurs histoires. Et, montrer ainsi qu’il n’y a pas une vérité unique, que la vérité peut-être perçue différemment selon la vision, l’intention, la faculté de restituer du lecteur. La vérité peut ainsi être quelque chose qu’on manipule, pas forcément toujours à des fins les plus louables.
Une histoire qui interroge sur un sujet qui lui aussi interroge beaucoup ! Un exercice littéraire sur le classique thème du double mais aussi un véritable essai sur le thème de la vérité.
Denis Billamboz, mesimpressionsdelecture.unblog + critiqueslibres.com


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Quand j’ai refermé le bouquin, ma première réaction a été : mais quelle prise de tête, mes amis, mais quelle prise de tête ! Mais le pire dans cette histoire est que j’en redemande et que je recommande ! Parce qu’être bluffée à ce niveau-là, tout déconstruire, tout rassembler pour tout reconstruire… il faut un sacré talent littéraire pour amener le lecteur à une telle expérience intellectuelle. Et visiblement, Carino Bucciarelli en a à revendre !
C’est l’histoire d’un homme, Stéphane Delatour, qui embarque sa petite famille (Olga sa femme et ses deux enfants Irina et Gabriel) sous une route enneigée. Et pas de bol : la voiture dévisse. Résultat : Stéphane Delatour va chercher des secours et là sur le chemin, où il n’y a pas âme qui vive, il croise un anorak rouge et se dépêche de s’en éloigner pour contacter au plus vite une dépanneuse qui arrive, le récupère… Sauf que la voiture avec femme et enfants à bord entre temps a disparu.
Et là on embarque dans un univers complètement barré de chez barré. Comme je l’ai déjà dit, résumer Nous et les oiseaux n’est pas simple. Pourtant je vous conseille cette lecture étonnante, qui sort des sentiers battus, précieuse, dont la forme de narration qui se veut linéaire mais ne l’est pas complètement, est suffisamment rare pour être découverte.
Dans Nous et les oiseaux, j’ai trouvé d’énormes similitudes avec l’univers de David Lynch : le même côté barré, les mêmes éléments qui reviennent (l’anorak rouge, les mésanges, le côté obscur et sombre, le nom de famille qui se duplique à l’envi, l’espace-temps qui se construit en parallèle et se déconstruit, les silences et les personnages étranges souvent seuls : une commissaire suspicieuse, un dépanneur qui dépanne pas uniquement les voitures, un inspecteur qui veut comprendre, une sœur spéciale et très complice).
Comme un scénario réussi lynchien, Nous et les oiseaux pose autant voire plus de questions après visionnage/lecture qu’avant : c’est ce qui fait la richesse et la prouesse de la création, sa longévité aussi.
En tout cas, chapeau bas à l’auteur, Carino Bucciarelli, qui a su m’embarquer complètement : Nous et les oiseaux était un pari littéraire très risqué qui a été relevé avec maestria ! J’espère qu’il y trouvera son public parce qu’il le mérite vraiment.
Philisine Cave, jemelivre.blogspot.


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Panne sur l’autoroute, en plein hiver. Vous partez chercher les secours. Lorsque vous revenez, avec une dépanneuse, votre voiture a disparu ainsi que votre femme et vos deux enfants. Nous et les oiseaux, de Carino BUCCIARELLI (dont on avait apprécié Mon hôte s’appelait Mal Waldron), commence comme un roman policier… où les oiseaux jouent un rôle, de révélateur, d’inquisiteur, de témoin… Rapidement, le narrateur est happé, comme par des sables mouvants, dans ses propres contradictions et sa difficulté à distinguer le réel et le fantasmé : est-il marié ou non ? a-t-il des enfants ? À chaque retournement de situation, l’auteur nous entraîne au-delà des certitudes et n’hésite pas à nous désarçonner… Jusqu’à la fin du livre, on nage dans le mystère et l’étrange. Ainsi, les personnages portent le même nom, sans se connaître, deviennent à leur tour narrateurs, ce qui ajoute à la confusion…
Guy Stuckens, Radio Air Libre


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Voilà un roman fantastique, où les oiseaux – des corneilles – déboulent à tout instant, où tout le monde s’appelle Delatour, où toutes les femmes s’appellent Olga.
Un hiver très neigeux, Stéphane Delatour appelle du secours sur l’autoroute, et laisse dans le véhicule sa femme Olga et ses deux enfants, Irina et Gabriel.
Un oiseau le suit jusqu’à la borne téléphonique. Au retour dans le remorqueur, sa voiture a disparu.
Le roman démarre ainsi, et le lecteur est happé par les coïncidences. Bertrand qui travaille dans l’entreprise de remorquage DELATOUR fait engager un Delatour.
Stéphane, au bureau de police, est reçu par un inspecteur qui, se renseignant sur lui, le découvre célibataire, sans enfant !
Une commissaire Delatour poursuit un assassin, Delatour, qui a une sœur. Les deux ont fait disparaître le cadavre d’une femme Olga. Delatour s’est débarrassé, torse nu, du corps de sa femme.
On est complètement perdu dans un univers kafkaïen, où deux enfants viennent voir à la fenêtre d’un certain monsieur Delatour la corneille qu’il a apprivoisée, Raven. Ces deux enfants croient voir leurs jumeaux au parc tout proche. Rêvent-ils ?
Il est aussi question d’une dame Delatour, qui a croisé Stéphane le jour de l’accident. Qui laisse ses enfants pour l’aider à retrouver des traces. Son mari, invisible à l’étage, surveille les enfants.
On est dans un univers sans fond, où de mêmes scènes se dupliquent pour affoler le lecteur.
Olga et ses enfants reçoivent un appel de Stéphane. Les enfants l’avaient oublié. Mais la rue qu’elle lui indique n’existe pas.
Un Pierre Delatour intervient et s’accuse du meurtre de sa femme Olga. Peut-on le croire ?
Bucciarelli s’en donne à cœur joie pour mêler et confondre les pistes. On ne le suit pas toujours. On sort du livre, désarçonné. Était-ce le but ?
Philippe Leuckx, Nos Lettres

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Par une nuit d’un hiver rude comme on n’en connaît plus guère dans nos régions, après que son véhicule a été immobilisé le long d’une autoroute, Stéphane Delatour laisse son épouse, prénommée Olga, et ses deux jeunes enfants dans l’habitacle pour partir en quête d’une borne téléphonique. En route, il aperçoit sur un bas-côté un anorak rouge qui recouvre vraisemblablement un cadavre. Après avoir appelé les services d’un dépanneur, il ne retrouve plus son véhicule ni ses passagers.
Après quelques minutes de marche dans la neige, il remarque une corneille qui l’observe et, lorsqu’il va ensuite déclarer à la police la disparition de ses proches, il observe la tête noire d’une corneille dans le cadre posé sur le bureau de l’inspecteur…
À partir de cette situation de départ, l’action se déploie comme en faisant des boucles ; les éléments de départ vont être redistribués d’une façon subtile. Les protagonistes de départ se découvrent des espèces de doubles ; les Delatour, les Olga se multiplient… Les identités sont pour le moins troublées, remises en cause ; les noms recouvrent plusieurs personnages qui semblent les marionnettes d’un démiurge, pris dans un rêve raisonné et fantomatique.
Très vite, les oiseaux (corneilles, mésanges, moineaux, chouettes hulottes), plus ou moins protecteurs, plus ou moins menaçants, apparaissent et agissent comme des reflets ou des référents des actions humaines. On peut même dire que les volatiles acquièrent au fil des pages plus de réalité que les personnages, déboussolés, qui, néanmoins, semblent manifester une espèce de déni par rapport à ce qui leur arrive, par mesure de protection mentale : pour ne pas sombrer définitivement.
À la lecture, on est plusieurs fois décontenancé, pris de vertige. Malgré les chausse-trapes, les diversions, les tentatives de faire perdre pied au lecteur, l’auteur maîtrise son sujet tout du long du roman. Et c’est un bonheur de lecteur, d’être ainsi malmené, conduit à se poser des questions essentielles et existentielles sur notre rapport à autrui, à notre devenir mortel de même qu’à ces drôles d’animaux que sont les oiseaux, sur le sentiment d’étrangeté et ce qui le provoque.
On peut penser qu’en autres choses Carino Bucciarelli adresse un clin d’œil à Olga… Tokarczuk, la Nobel de littérature de 2008, l’auteure de Sur les ossements des morts, dont il cite en exergue une phrase. L’autre citation est un aphorisme de Jodorowsky : «  Huit pattes sans araignée tissent une toile invisible. »
En 2000, après la lecture, notamment de Samuel est mort (L’Âge d’homme) de l’auteur, j’avais écrit : « Bucciarelli montre l’interchangeable de nos vies ; il montre les limites de notre identité, sur quoi elle bute, ce qui la fonde : presque rien. (…) »
Lecteur trop habitué à te laisser porter par les récits cousus de fil blanc, laisse-toi prendre au jeu de ce récit ; tente d’en dénouer les liens et mobilise à cette fin, comme rarement, toutes tes ressources mentales !
Éric Allard, Les Belles Phrases.


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Glacé, insolite, l’humour de Bucciarelli dérange, met en déroute nos idées reçues, nous emporte vers un ailleurs, en des paysages enneigés remplis de jeux d’apparences et de pièges.
Il y a des disparitions, des anoraks rouges trouvés dans la neige, des crimes, des confusions d’identités, et partout des oiseaux, on entend des images, celles de Murakami, ses estampes japonaises travesties en belgitudes.
Nos lourdes certitudes sont mises à mal, entre coïncidences et hasards inexplicables car inexpliqués, tout le monde s’égare, mais sans déplaisir, on s’y laisse prendre, suivant l’itinéraire incertain de Bucciarelli, escorté de la présence insolite des oiseaux planant au-dessus des pages.
Inquiétantes corneilles, cruels rapaces ou simple moineau mort, ils confirment nos inquiétudes.
Du début à la fin du livre plane une menace, un malaise diffus, tandis que le lecteur se perd dans un dédale absurde, il tente de se dégager du labyrinthe de Bucciarelli, se perd dans cette neige où les mystères abondent, se superposent, et c’est tout l’art de l’auteur que de nous rendre ce cauchemar si proche de la réalité.
Bucciarelli lui-même a-t-il résolu l’énigme ?
Le bout du périple mènera-t-il à l’apaisement ou à la folie ?
Un très beau livre truffé de questions sans réponse qui laisse le témoin anéanti au bout d’un chemin de neige et de nulle part.
Nous et les oiseaux, ou le réalisme fantastique réinventé.
Anne-Michèle Hamesse, Nos Lettres.



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Le pitch ? Éric Allard*, sur cette plateforme culturelle, l’a esquissé : « Par une nuit d’un hiver rude comme on n’en connaît plus guère dans nos régions, après que son véhicule a été immobilisé le long d’une autoroute, Stéphane Delatour laisse son épouse, prénommée Olga, et ses deux jeunes enfants dans l’habitacle pour partir en quête d’une borne téléphonique. En route, il aperçoit sur un bas-côté un anorak rouge qui recouvre vraisemblablement un cadavre. Après avoir appelé les services d’un dépanneur, il ne retrouve plus son véhicule ni ses passagers. »
La scène initiale est remarquablement cinématographique. La campagne et la neige, la tache de couleur et le no man’s land, la borne. La voiture à l’arrêt et les trois fragilisés en attente. Le héros, l’homme d’action bravant les éléments, s’insinuant progressivement Over the Rainbow, comme s’il glissait dans un autre monde. Par touches menues. De légères distorsions assénées au réel, à la normalité.
Comme dans cet extrait mis en ligne par l’éditeur :
« Une tache noire dans les branchages nus des arbres attira mon attention. C’était une corneille. Elle me regardait. Du moins j’eus cette impression. Une corneille regarde-t-elle les hommes dans les yeux ? Tout en progressant, je lui jetai des coups d’œil furtifs. Elle semblait toujours, elle aussi, me suivre du regard. Au moment où elle allait sortir de mon champ de vision, elle prit son envol pour venir se poser sur un arbre situé plus en avant, comme si elle voulait volontairement rester visible à mes yeux.
[…]
Manifestement la corneille s’obstinait à me suivre. J’entendais le bruit régulier de ma respiration inquiète. Des panaches de vapeurs sortaient de ma bouche dans l’air glacé à chaque expiration. Le froid provoquait une sensation de brûlure dans mes cavités nasales. J’aurais aimé ramasser une pierre et la jeter au volatile, mais on n’en trouvait aucune sur cet accotement bien entretenu. Et d’ailleurs, si une pierre s’était présentée, j’aurais dû me baisser pour la prendre. La corneille ne risquait-elle pas de percevoir ce geste comme de la soumission ou de la fuite, et dès lors de véritablement attaquer ? Je m’immobilisai et lui fis face. Prêt à la lutte. (…). »
Une langue fluide et des mots simples. Le mystère, le suspense, la peur ou le fantastique font irruption en douceur mais l’étreinte, d’un coup, est là. De nombreux thrillers ou romans policiers commencent par deux ou trois pages bien plantées qui déboulent, dans la foulée, sur un récit de plus en plus creux, poussif ou prévisible. Rien de tout cela ici ! Les pages tombent mais l’attention du lecteur ne se relâche pas, un vertige le saisit, qui grandit, grandit, grandit… Devant les signes ou les indices (mais de quoi ?) : les traces laissées par la voiture semblent indiquer un ramassage par un dépanneur mais celui-ci se trouve au côté du père de famille ; ce dernier, lors de la déclaration de la disparition, tombe nez à nez avec une photo de corneille sur le bureau de l’inspecteur ; la police se retourne contre notre héros (ou anti-héros) qui, selon leur banque de données, ne possède pas de permis de conduire ni de femme, ni d’enfants ; etc.
La suite ? Le lecteur poursuit sa quête du sens avec appétit, sinon frénésie. De plus en plus hébété. Car les chapitres ouvrent de nouvelles perspectives sur l’affaire. Et si Stéphane Delatour avait rêvé la scène initiale au sortir d’un traumatisme ? Et s’il y avait décomposition et recomposition d’un réel insoutenable, mise en fiction pour résoudre les impasses d’une vie ? On croit commencer à saisir le sens de l’intrigue, le fil nous glisse entre les doigts. Quand apparaît la sœur de Stéphane, qui pourrait s’appeler Pierre. Ou une automobiliste témoin, qui porte le même prénom que la femme disparue. Olga ? Mais la commissaire en charge de l’affaire s’appelle aussi Olga. Et ne voilà-t-il pas qu’elle tombe amoureuse de celui qu’elle soupçonne et traque ? Les doubles se multiplient, une ronde infernale s’esquisse…
Je lève la tête et songe à un roman de Rossani Rosi, De gré de force, où la réalité, là aussi, progressivement, se défilait. Ou à ce film américain, Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993), où un homme (joué par Bill Murray) revit sans cesse la même journée mais différemment. Que lit-on ? Un thriller fantastique halluciné ? Un jeu littéraire moderniste, où un auteur essaie de nouveaux assemblages narratifs à partir d’une poignée d’ingrédients ? Quel fil narratif ou quel personnage charrie la réalité, une bouée plongée dans la tempête et qui nous passe sous le nez, entre deux vagues, insaisissable ? Je rêve du Cabinet du docteur Caligari à présent, à ses récits emboîtés comme des matriochkas, à son final renversant.
Cette question encore, lancinante : que signifient les oiseaux ? Ils sont omniprésents, corneille ou faucon pèlerin, moineau ou mésange. Une métaphorisation du remords, de la conscience, du besoin d’adéquation, d’une âme envolée ? Mais n’y a-t-il là qu’une intrigue d’horloger fou ou faut-il entrevoir l’orchestration de thématiques graves ? Les limites de l’identité et la fragilité des vies, des positions. La difficulté à nouer des connexions et leur besoin viscéral. Avec l’autre et le monde. L’autre décliné à tous les temps : conjoint ou ami, frère ou enfant, supérieur hiérarchique, etc.
Je n’en dévoilerai pas davantage pour préserver le suspense. Si ce n’est que le voyage s’avère inventif, déstabilisant et captivant jusqu’à la dernière ligne. Autrement dit ? Nous et les oiseaux est une réussite éclatante qui couronne le retour de Carino Bucciarelli (six livres publiés depuis 2018 !) après une éclipse de dix-sept ans. Un retour qui arrime fermement l’auteur au courant qui fonde l’âme belge, si j’ose asséner ces mots (mais le grand Jacques De Decker m’a précédé et légitime donc la démarche) : le réalisme magique ou fantastique. Qui nous vient de loin, des peintres Bosch et Breughel jusqu’aux auteurs Thomas Owen, Jean Ray ou Jean Muno…
À noter !
La revue trimestrielle Le Non-Dit (animée par Michel Joiret) a consacré une bonne partie de son numéro d’été à l’auteur évoqué supra : Carino Bucciarelli et l’écriture de l’étrange. Il y est commenté ou interviewé par Michel Joiret lui-même, Antonio Moyano, Joseph Bodson ou Françoise Houdart. En sus d’être soumis au questionnaire de Proust. Ou de livrer des extraits de sa prochaine parution.
Philippe Remy-Wilkin, Les Belles Phrases.


*

Les regards croisés d’Éric Allard, Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin sur un bijou du réalisme magique.

Pitch et entrée dans le récit…

ÉRIC :
Par une nuit d’un hiver rude comme on n’en connaît plus guère dans nos régions, après que son véhicule a été immobilisé le long d’une autoroute, Stéphane Delatour laisse son épouse, prénommée Olga, et ses deux jeunes enfants dans l’habitacle pour partir en quête d’une borne téléphonique.

JEAN-PIERRE :
Stéphane progresse dans un froid sibérien. Il est suivi d’une corneille qui le fixe étrangement. Sur le bas-côté de la route, une tache rouge troue la blancheur… un anorak ! Et, dessous, une forme… le cadavre d’une femme ?

ÉRIC :
Après avoir appelé les services d’un dépanneur, il ne retrouve plus son véhicule ni ses passagers. Lorsqu’il va ensuite déclarer à la police la disparition de ses proches…

JEAN-PIERRE :
… l’inspecteur qui le reçoit est catégorique : Stéphane n’a pas d’enfant, il n’a jamais été marié et n’a plus de véhicule immatriculé à son nom ni de permis de conduire !

ÉRIC :
Durant l’entretien, Stéphane observe la tête noire d’une corneille dans le cadre posé sur le bureau de l’inspecteur…

PHIL :
La scène initiale est remarquablement cinématographique. La campagne et la neige, la tache de couleur et le no man’s land, la borne. La voiture à l’arrêt et les trois fragilisés en attente. Le héros, l’homme d’action bravant les éléments, s’insinuant progressivement Over the Rainbow, comme s’il glissait dans un autre monde. Par touches menues. De légères distorsions assénées au réel, à la normalité.
Comme dans cet extrait mis en ligne par l’éditeur :
Une tache noire dans les branchages nus des arbres attira mon attention. C’était une corneille. Elle me regardait. Du moins j’eus cette impression. Une corneille regarde-t-elle les hommes dans les yeux ? Tout en progressant, je lui jetai des coups d’œil furtifs. Elle semblait toujours, elle aussi, me suivre du regard. Au moment où elle allait sortir de mon champ de vision, elle prit son envol pour venir se poser sur un arbre situé plus en avant, comme si elle voulait volontairement rester visible à mes yeux.
[…]
Manifestement la corneille s’obstinait à me suivre. J’entendais le bruit régulier de ma respiration inquiète. Des panaches de vapeurs sortaient de ma bouche dans l’air glacé à chaque expiration. Le froid provoquait une sensation de brûlure dans mes cavités nasales. J’aurais aimé ramasser une pierre et la jeter au volatile, mais on n’en trouvait aucune sur cet accotement bien entretenu. Et d’ailleurs, si une pierre s’était présentée, j’aurais dû me baisser pour la prendre. La corneille ne risquait-elle pas de percevoir ce geste comme de la soumission ou de la fuite, et dès lors de véritablement attaquer ? Je m’immobilisai et lui fis face. Prêt à la lutte. (…)
.

La suite d’une intrigue palpitante…

PHIL :
Le lecteur poursuit sa quête du sens avec appétit, sinon frénésie. De plus en plus hébété. Car les chapitres ouvrent de nouvelles perspectives sur l’affaire. Et si Stéphane Delatour avait rêvé la scène initiale au sortir d’un traumatisme ? Et s’il y avait décomposition et recomposition d’un réel insoutenable, mise en fiction pour résoudre les impasses d’une vie ? On croit commencer à saisir le sens de l’intrigue, le fil nous glisse entre les doigts. Quand apparaît la sœur de Stéphane, qui pourrait s’appeler Pierre. Ou une automobiliste témoin, qui porte le même prénom que la femme disparue. Olga ? Mais la commissaire en charge de l’affaire s’appelle aussi Olga. Et ne voilà-t-il pas qu’elle tombe amoureuse de celui qu’elle soupçonne et traque ?

ÉRIC :
L’action se déploie en faisant des boucles ; les éléments de départ vont être redistribués d’une façon subtile. Les protagonistes se découvrent des espèces de doubles. Les identités sont pour le moins troublées, remises en cause ; les noms recouvrent plusieurs personnages. Les marionnettes d’un démiurge, pris dans un rêve raisonné et fantomatique ?

L’art de l’auteur

JEAN-PIERRE :
Écrits d’une plume simple et vive, sans fioriture mais riche d’effets, Nous et les oiseaux revisite – nous dit la quatrième de couverture – « le réalisme fantastique cher à nos contrées septentrionales ». C’est en effet dans le quotidien le plus banal et par le biais d’un réalisme presque vétilleux que Carino Bucciarelli ouvre un chemin d’incertitude que nous ne quitterons plus.

PHIL :
Une langue fluide et des mots simples. Le mystère, le suspense, la peur ou le fantastique font irruption en douceur, mais l’étreinte, d’un coup, est là. De nombreux thrillers ou romans policiers commencent par deux ou trois pages bien plantées qui déboulent, dans la foulée, sur un récit de plus en plus creux, poussif ou prévisible. Rien de tout cela ici ! Les pages défilent, mais l’attention du lecteur ne se relâche pas, un vertige le saisit, qui grandit, grandit, grandit…

ÉRIC :
À la lecture, on est plusieurs fois décontenancé. Mais, malgré les chausse-trapes, les diversions, les tentatives de faire perdre pied au lecteur, l’auteur maîtrise son sujet tout du long du roman.

JEAN-PIERRE :
Comme l’explique T. Todorov (dans Introduction à la littérature fantastique, collection Points/Essais, 1976), citant V. Soloviov, « dans le véritable fantastique, on garde toujours la possibilité extérieure et formelle d’une explication simple des phénomènes, mais en même temps cette explication est complètement privée de probabilité interne ». Cette probabilité interne faiblit sans cesse chapitre après chapitre : qui est vraiment Stéphane Delatour ? Olga et ses enfants existent-ils vraiment ? Avec beaucoup de brio, Carino Bucciarelli multiplie les voix, les associations, les glissements de plans, les brouillages de toutes sortes. Que s’est-il passé ? Le personnage principal n’a-t-il pas tout halluciné depuis le début ?
Certaines récurrences et symétries (les mêmes réflexions proférées par des personnages différents, la réitération de certaines attitudes, l’omniprésence des oiseaux) suggèrent l’univers du rêve ou même de la psychose. On le sait depuis Freud, dans un rêve, c’est la personne même du rêveur qui apparaît dans chacune de ses scènes : il est à la fois tous les personnages, le scénariste et le réalisateur. Le rêve travaille par condensation (on peut le raconter en quelques phrases) et déplacement (il est le lieu de la métonymie et de la substitution). Il abonde en figures composites, une même personne pouvant tenir lieu de multiples autres individus. Parmi plusieurs possibilités – ce qui fait le charme du genre –, j’ai lu ce roman comme un rêve ou un cauchemar qui se déplierait en une temporalité improbable.
À mesure que l’identité de Stéphane Delatour se dilue dans l’incertain, son moi contamine les autres personnages, comme par coalescence. Tous ou presque s’appellent Delatour. Les uns se substituent aux autres, le masculin et le féminin s’échangent, les transgressions se métaphorisent, la réalité se fragmente et avec elle la vérité de tout ce qui la constitue. Et tout cela, même en plein jour, semble se dérouler dans un monde nocturne : les bureaux sont vides, le monde s’est comme contracté, raidi dans le froid d’une nuit sans fin.

Mais ces oiseaux… ?

PHIL :
Que signifient-ils, justement, ces oiseaux ? Ils sont omniprésents, corneille ou faucon pèlerin, moineau ou mésange. Une métaphorisation du remords, de la conscience, du besoin d’adéquation, d’une âme envolée ? Mais n’y a-t-il là qu’une intrigue d’horloger fou ou faut-il entrevoir l’orchestration de thématiques graves ? Les limites de l’identité et la fragilité des vies, des positions. La difficulté à nouer des connexions et leur besoin viscéral. Avec l’autre et le monde. L’autre décliné à tous les temps : conjoint ou ami, frère ou enfant, supérieur hiérarchique, etc.

ÉRIC :
Très vite, les oiseaux, plus ou moins protecteurs, plus ou moins menaçants, apparaissent et agissent comme des reflets ou des référents des actions humaines. On peut même dire que les volatiles acquièrent au fil des pages plus de réalité que les personnages, déboussolés, qui, néanmoins, semblent manifester une espèce de déni par rapport à ce qui leur arrive, par mesure de protection mentale : pour ne pas sombrer définitivement.

JEAN-PIERRE :
Une corneille vient se poser à chaque moment clef du roman. Dans notre culture, l’image du corbeau est ambivalente, mais relève plutôt d’une symbolique chtonienne : il représenterait notre part sombre et serait le messager des ténèbres et des âmes perdues. On peut se demander s’il ne se double ici d’une fantasmatique sexuelle voire d’une métaphorisation de l’interdit.
Au moment où je me retourne, j’assiste à la plus curieuse des scènes. Ma sœur me tourne le dos, elle a le bras tendu vers la corneille qu’elle caresse tendrement. Comment un animal sauvage peut-il se laisser toucher de la sorte ? Et est-il plausible que ma sœur ait surmonté sa frayeur pour se livrer à un tel rapprochement ? J’avais si peur des oiseaux autrefois, me dit-elle. »
La même scène revient deux fois avec d’autres femmes et une quatrième, de manière plus troublante encore :
« Dorénavant, chaque jour, le petit couple me rendit visite. Les enfants étaient d’une sérénité étrange. Jamais je n’avais vu des gosses aussi dénués de méfiance (…). Ils me regardaient caresser ma corneille du doigt, toujours en se tenant par la main sur le trottoir, sans se lasser. Quand je les invitai à monter faire la connaissance de Raven (le nom de la corneille) de plus près, en leur faisant comprendre qu’ils pourraient le caresser eux aussi, ils n’hésitèrent pas, et même me suivirent avec un empressement qui m’enthousiasma.


L’auteur et son background…

ÉRIC :
Carino Bucciarelli adresse-t-il un clin d’œil à Olga… Tokarczuk, la Nobel de littérature de 2008, l’auteure deSur les ossements des morts ? Il met en exergue une de ses phrases. L’autre citation est un aphorisme de Jodorowsky : « Huit pattes sans araignée tissent une toile invisible. » En 2000, après la lecture, notamment de Samuel est mort (L’Âge d’homme) de l’auteur, j’avais écrit : « Bucciarelli montre l’interchangeable de nos vies ; il montre les limites de notre identité, sur quoi elle bute, ce qui la fonde : presque rien. (…) »

PHIL :
Je songe à un roman de Rossani Rosi, De gré de force, où la réalité, là aussi, progressivement, se défilait. Ou à ce film américain, Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993), où un homme (joué par Bill Murray) revit sans cesse la même journée mais différemment. Que lit-on ? Un thriller fantastique halluciné ? Un jeu littéraire moderniste, où un auteur essaie de nouveaux assemblages narratifs à partir d’une poignée d’ingrédients ? Quel fil narratif ou quel personnage charrie la réalité, une bouée plongée dans la tempête et qui nous passe sous le nez, entre deux vagues, insaisissable ? Je rêve du Cabinet du docteur Caligari à présent, à ses récits emboîtés comme des matriochkas, à son final renversant.

Conclusions ?

ÉRIC :
Lecteur trop habitué à te laisser porter par les récits cousus de fil blanc, laisse-toi prendre au jeu de ce texte ; tente d’en dénouer les fils et mobilise à cette fin, comme rarement, toutes tes ressources mentales !

PHIL :
D’autant que le voyage s’avère inventif, déstabilisant et captivant jusqu’à la dernière ligne. Autrement dit ? Nous et les oiseaux est une réussite éclatante qui couronne le retour de Carino Bucciarelli (six livres publiés depuis 2018 !) après une éclipse de dix-sept ans. Un retour qui arrime fermement l’auteur au courant qui fonde l’âme belge, si j’ose asséner ces mots (mais le grand Jacques De Decker m’a précédé et légitime donc la démarche) : le réalisme magique ou fantastique. Qui nous vient de loin, des peintres Bosch et Breughel jusqu’aux auteurs Thomas Owen, Jean Ray ou Jean Muno…

JEAN-PIERRE :
Nous et les oiseaux est un roman envoûtant. Il ressemble à un vaste puzzle dont toutes les pièces s’emboîteraient parfaitement en une image aussi fragmentée qu’à l’instant où l’on a saisi la première d’entre elles entre le pouce et l’index.

Éric Allard, Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin, Les Belles Phrases


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Présentation par Philippe Remy-Wilkin et Jean-Pierre Legrand dans l'émission de Guy Stuckens "Les rencontres littéraires de Radio-Air-Libre".








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