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Poète, dramaturge et metteur en scène, professeur d’Histoire et de philosophie du théâtre, pionnier  et théoricien des ateliers d’écriture qu’il pratique en de nombreux pays, directeur de la compagnie Traverse et de la Collection – Revue « Je » aux éditions Couleur Livres, auteur d'une quinzaine d'ouvrages,
Daniel Simon
affectionne le texte bref et le poème en prose, qui lui permettent de vouer à l’étrangeté du monde son regard perplexe de faux naïf.

Daniel Simon


Dans le Parc
Photo de couverture :
© Dragan Marković
"Dissoudre citoyen n° 2"

DANS LE PARC

Textes brefs, 2011

148 pages.
ISBN: 978-2-930333-38-0
16 EUR


"Il se fait que j’habite près du parc Josaphat, un lieu magnifique, et que j’y croise été comme hivers des promeneurs de tous les horizons. De ce parc est née l’idée d’un parc plus large : le Parc humain. J’ai donc mis en chantier – une tâche qui s’est étendue sur quatre années – ces textes brefs, la plupart écrits dans une distance que permet la poésie.

J’écris sur un monde qui me dérange, un monde qui me met à mal, me rudoie par sa violence, la dégradation de sa culture (de ses cultures évidemment), la rudesse des rapports qui frise le déni permanent. J’écris à propos de ce monde qui est celui auquel je collabore, je l’habite, le vis, l’observe, je tente de le comprendre mais il n’est pas certain que je l’aime à chaque fois.

Cependant, il me faut reconnaître à quel point le paysage n’existe pour moi que s’il est habité par cette dégradation. Et ce paysage est piqué ça et là de beauté, de grandeur. Il faut bien observer mais elles sont là : beauté, grandeur, des efforts de chaque corps pour tenir debout ; beauté, grandeur, des modestes se faufilant comme ils peuvent dans les plis de plus en plus serrés d’un tissu social qui choisit le vulgaire au nom du populaire.

Dans le Parc a été aussi l’occasion de tenir une sorte de Journal de bord d’un homme qui a largement franchi les frontières naturelles de ses croyances. Pas de désillusion pourtant mais l’abordage poétique d’un réel rugissant, où la littérature essaye de tenir le vivant au centre de ce qui semble se défaire.

Que ce soit des poèmes, de petites proses, des récits poétiques, des monologues, les textes de Dans le Parc est aussi le Journal de voyage d’un homme qui vit dans une Belgique, lieu idéal pour comprendre le monde."

Daniel Simon, janvier 2011




e-book
9,99 EUR




Extraits


Je travaille à ma table, il y a des fleurs au-delà, dans le parc où je vais trop rarement, des avions passent dans l’illusion du bleu, je les entends à peine que déjà le glissement de toutes ces choses arrive en moi, dans un ordre précis, les fleurs avant le ciel et l’avion sans le bleu, le parc tout autour de ma table et de la durée un instant, un furtif accord entre ma respiration, les arbres qui m’entourent et une tache de lumière sur le sol entre deux racines, sur le plancher encombré de livres et de dossiers à terminer, une goutte à peine, une piqûre par laquelle passent toutes les autres taches de ma chambre d’enfant, de l’hôpital où j’ai perdu les amygdales, du grenier quand Robinson se prépare à attendre, du livre où il se tapit, de la Semois, du Douro qui trempent leurs lumières dans l’eau verte, toutes les taches passent par cette pointe d’où fuit et se remplit le monde.

*

C'est peu de choses ce vent, la pluie, les nuages qui dévalent dans le cœur des hommes et leur hésitation sur le pas de la porte à franchir la frontière qui les disperse soudain un peu plus en dehors d'eux, ils quittent la chambre ou le salon où ils déposent leurs questions, des choses simples, comment vivre jusqu'à ce soir et que manger ou qui aimer pour tenir jusqu'à l'aube, ils marchent alors tout guillerets d'être portés par une sourdine qui traîne dans les rues et ne sera jamais le son de leur étourdissement d'être dans le vent, la pluie et les nuages qui s'éloignent sans qu'ils s'en aperçoivent tout employés qu'ils sont à redresser leur corps dans la lumière qui mord l'œil, le front, le peu de peau qu'ils livrent à l'emballement du jour et des hommes qui passent en emportant chacun un morceau de cette joie d'être embrassés par des souffles qui les rendent légers.

*

Il n’y a rien à faire cette nuit, le vent, la pluie et toutes ces choses qui font trembler la maison qui est le début de tout vocabulaire, il n’y a rien à faire, cette nuit s’est inclinée dans le souvenir récent de ceux qui n’ont plus que la nuit pour commencer l’apprentissage de leur abécédaire, il n’y a rien à faire cette nuit le ramadan tombait comme un voile sur des yeux tout empêchés de cette beauté terrible, dans le tissu le sang, le vice et la vertu, dans le tissu la faim, le sucre et la durée, dans le tissu le songe et le mensonge, dans le tissu des chaînes aux pieds des écoliers, dans le tissu des saisons qui ne comptent pas leurs heures, dans le tissu des femmes qui marchent dans le souvenir inquiet des noces à venir, il n’y a rien à faire cette nuit à peine les écrans, les danses et les chants ont-ils cessé de faire tourner leur cuiller dans la bouche des premiers que déjà le bonheur pose son front sur la table et attend le vigoureux tranché du boucher orphelin.




Ce qu'ils en ont dit


Le 15/02/2011, lecture d'un extrait par Guy Stuckens sur les ondes de Radio-Air Libre


Les mots pour dire le beau à travers le laid ou l'inverse

Superbe ouvrage composé de textes brefs écrits par Daniel Simon, poète, dramaturge, metteur en scène... qui excelle véritablement dans ce domaine. Je suis tombée sous le charme dès les premières pages, tant par la pertinence du propos que par l'élégance de plume des textes proposés. En quelques mots, Daniel Simon dit l'essentiel. Il ouvre également les portes d'univers tantôt grandioses tantôt plus démunis, entrées par lesquelles le lecteur pourrait s'engouffrer si il n'existait cette réserve de déflorer un monde mystérieux. Un réticence qui dure un temps, le temps nécessaire à la méditation, à la dégustation gourmande des perles qui émaillent le livre. Puis cet instant passé, c'est l'immersion en terre humaine, inconnue certes, mais familière par la justesse des émotions décrites et ressenties.
On y parle d'hommes, de coeur, de terre, de pluie, d'amour, d'absence... autant d'éléments qui composent nos vies.
Ces textes ressemblent à des tableaux ou à des moments fixés à jamais sur pellicule. Que disent ces regards, que font ces gens, où vont-ils, que regarde le soleil... autant d'interrogations qui nous entraînent loin et ça, c'est tout de même fantastique à vivre.

"Dans le parc", c'est un lieu où l'on croise toutes sortes de gens, on observe et on imagine, on invente des histoires à ces gens (on a tous fait cela un jour ou l'autre), alors ça devient un vaste parc humain, un terreau de visages et de destinées dans lequel nous nous plongeons avec délice. Un délice qui peut se transformer en peur, car ce monde qui abrite justement tous ces gens que nous croisons n'est pas dénué de laideur et de brutalité. Les mots se transforment pour dire cela, pour créer un abri, pour décrire l'indicible. Ce monde, il a beau être parfois très moche, c'est tout de même celui dans lequel nous vivons. Le dépeindre, c'est aussi une manière de l'apprivoiser.
Retour alors à la beauté, à la grandeur des âmes et des choses. Pour le plus grand plaisir du lecteur !

Sahkti,
critiqueslibres.com


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Instants fragiles

« Ce ne sont parfois que des larmes l'on cache dans des flux de paroles et qui logent si longtemps dans le vide à remplir, ce ne sont que ces choses soudaines qui relèvent le jour accroupi sous la langue, ce ne sont que des poses parfois si étrangères aux muscles et aux os qui tendent des arcades avant de s'effondrer dans les poussières du vocabulaire, ce ne sont, dites-moi, que des lumières qui passent en traînant dans la sombre chambre des mémoires, ces larmes qui vous viennent un jour. »
Larmes invisibles, connivences furtives, émotions légères, aspirations rêveuses, nostalgies floues : c'est un recueil d'impressions que nous propose Daniel Simon, sous le titre Dans le parc.
Mouvements du cœur, parfois si ténus que la plume, à vouloir les capter, n'en garde que le reflet. Avec, au détour d'une page, un petit tableau d'une précision presque douloureuse. « Elle a posé ses mains sur le front de cet homme appuyé au banc dans l'ombre des arbres de l'allée. des oiseaux se sont envolés de ses veux fatigués. Dans le silence   vide cet effleurement ont disparu les portes qui n'ouvrent plus sur rien, les matins qui se brouillent encore de nuit, les raideurs toutes occupées à croire, les espérances vendues à la sauvette, les enfances déliées dans des corps de vieillards. Elle a posé ses mains et un rien de vocabulaire a retrouvé sa place dans le vol des oiseaux qui reviennent. »
Du poème en prose, sensible et court, « le bref est une éternité posée sur une lame ».

Francine Ghysen, Le carnet et les instants.

Le carnet et les instants 166

Le carnet et les instants 166


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Interview par Marilena Di Stasi sur les ondes de Radio-Alma Brussellando



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“Une belle surprise que ces textes en prose, comme une traversée de notre aujourd’hui.

Qu’il parle d’hommes, d’oiseaux, de gestes, de ciel, le poète construit son univers dans une rythmique fluide, où les mots s’appellent, rejaillissent, s’inventent :

« Ce bruit dans la poitrine, comme un cheval qui frappe l’horizon de l’enfance, l’entends-tu se perdre dans le battement du sang ? »
Les reprises anaphoriques créent une familiarité du texte et nombre de passages questionnent le réel sans jamais le réduire à la portion congrue.
L’auteur a un regard pour repérer l’insignifiant, le hasardeux, l’unique, et ses phrases coulent de source et de nécessité :

« Dans cette vitesse je ne peux plus aller sans le goût des haltes dans les sombres allées. Je marche dans les traces des promenades à faire et me plais à me perdre au détour de vifs éblouissements. »

Un lent et long apprentissage mène l’auteur à d’incessantes découvertes sur lui et le monde. Aussi sort-on de ces pages, mûri par l’écriture de son auteur, apte à saisir, dans le défilé des jours et des impressions, une matière qui soit comme un « livre ouvert », comme une « armoire (qui) libère des odeurs qui se bousculent et flottent dans la pièce, là du plomb fondu et des fumées de soufre, les pirates activent le feu, au-dessus des vols d’oiseaux sombres ».
Il faudrait citer tant de pages, qui offrent lucidité et ampleur, qui jouent d’expériences profondes, comme quand il s’agit de se retourner pour lire ce qui s’est offert à nous, même dans le doute, même dans la douleur.
L’homme qui parle dans ces pages sait de quoi il retourne et c’est tout l’intérêt de ces pages écrites comme au jour le jour.
Petite question, toutefois : pourquoi la page 126 reproduit-elle à l’identique la page 62 ?”

Philippe Leuckx, in “Bleu d’encre”


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Présentation par Jean-Pierre Doppagne à la Soirée des Lettres mensuelle de l'Association des Écrivains belges de Langue française le 20 avril 2011.


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Il est faux de croire que tout un chacun se sente bien à sa place sur un plateau de télévision malgré cette sorte de notoriété que ce passage lui confère (J’vous ai vu à la télé), malgré cette petite titillation orgueilleuse – qui parfois donne la chair de poule, après coup, lorsque l’on revoit l’enregistrement (Tout le monde a droit à son quart d’heure de gloire).
Voilà quelques mois, j’étais invité à l’émission Mille-Feuilles (Thierry Bellefroid, RTBF) dont le thème était « Le souci du détail ». J’y présentais « un petit machin écrit » qui relate l’ascension d’un fameux pilier rocheux dans les Alpes, qui avait eu l’heur de plaire aux décisionnaires de cette émission.
L’autre invité « en plateau » était Philippe Delerm, qui présentait son dernier livre, paru chez Gallimard « Un trottoir au soleil ». Cet ouvrage décrit par le menu les impressions ressenties, au goutte à goutte, lors de rencontres ou d’éclats d’âme : du pointillisme intellectuel tout autant que matériel. Je l’avais lu, bien entendu, puisque, dans cette émission, chaque invité doit livrer l’émotion qu’il ressent à le lecture du bouquin de son « adversaire » littéraire.
Tout de suite, je me suis senti mal à l’aise car, la veille, j’avais reçu et lu le dernier livre de Daniel Simon, Dans le parc. Je me disais, perturbé par cette lecture, stressé aussi sans doute de cette apparition télévisée qu’il aurait mieux valu que Daniel soit à ma place, pour diverses raisons.
La première : il habite Bruxelles et l’émission s’enregistrait à Charleroi. J’habite Aywaille. Le trajet était beaucoup plus court pour lui.
La deuxième : il parle beaucoup mieux que moi, est à l’aise dans le monde médiatique puisque dramaturge, metteur en scène, poète, nouvelliste, critique littéraire, animateur d’ateliers d’écriture (et bien d’autres choses dont la moindre, pour moi, n’est pas celle de penseur ou, plus précisément d’ homme de réflexion. Voulant affiner mon propos, je dirais « homme qui réfléchit » ou, mieux encore, « homme qui, par expérience et par instinct, trouve la beauté et les travers du monde, parvient à les identifier, à les nommer, à en faire surgir les singularités »).
La troisième : ses gestes sont précis; son verbe est fort.
La quatrième – et la plus importante - : son texte, Dans le parc, me semblait correspondre beaucoup mieux que le mien au thème de l’émission : Le souci du détail.
Je le connais, ce Daniel Simon, depuis près de quarante ans. Depuis certaines soirées poétiques, sous la houlette de Jacques Izoard, dans la librairie « Le Quai », en Roture, à Liège.
Il ne se passe pas une semaine sans que nous ne nous donnions de nos nouvelles . Une chose (entre autres délires verbaux, téléphoniques et « de vie »), qui correspond à ces textes brefs que l’on trouve dans son dernier ouvrage, m’a marqué. Nous nous étions donné rendez-vous dans une brasserie de Hannut. J’étais en avance, déjà attablé. Je l’ai vu arriver. Sorti de sa voiture, il a regardé la place, a parcouru le site, en a humé l’air, en a supputé l’atmosphère, s’en est imprégné, l’a mise en lui…puis s’est dirigé vers l’endroit de rendez-vous après s’être empli de l’ambiance du lieu. Il en est de même lorsque je me rends chez lui et que nous errons à la recherche d’un café, d’une brasserie, d’un restaurant : il regarde, happe l’instant, empoigne l’émotion qu’il traduira en mots.
Dans le parc, c’est cela : des respirations, des échos d’âme, des bribes de vie qui s’échangent et se percutent, des coups et des douceurs, des surgissements comme des sources de ce qui pourrait être des vies, des transmissions d’états d’âme, des cœurs et des cris. Des vies, somme toute, qui ne se dévoilent pas mais qui se soupçonnent. Qui s’inventent, sans doute ou, en tout cas, qui ont la faculté de se laisser deviner par un simple regard, un geste…voire même un rien du tout. Comme si le banal était un fanal vers lequel il fallait se diriger. Comme si la simplicité était la règle du bonheur.
Dans le parc, c’est aussi : l’énigme du zéro qui fait le tout ; la loi du rien qui englobe la vie ; le petit plus vivant que l’énorme…
Daniel Simon nous donne, dans ce livre, des chemins de (oserais-je l’écrire ?) sagesse, car il nous donne, dans ses mots, la faculté de nous dire que le bonheur est dans une perception immédiate de ce que l’on croit, à chaque moment et qui s’avère faux, pour peu que l’on respire par d’autres narines et que l’on n’entende par d’autres oreilles.
Dans le parc, un texte comme un micro tendu vers l’autre. Des larmes que l’on crache. Des bonheurs d’écriture. Des petits plaisirs de lecture… comme des bonbons que l’on suce, en regrettant qu’ils fondent si vite.
Quand je vous écrivais, en début de texte, qu’il avait mieux que moi sa place dans cette émission. J’avais raison, hein !

J-C Legros, in Le Non-Dit

Non-Dit 93

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Des pensées qui passent, des sensations prises au filet des mots, qui viennent se poser sur les pages comme les gouttes d’une pluie serrée formant flaque au sol, surface lisse compacte, où les gouttes ne forment plus qu’un miroir unique, où chacun finalement perçoit le reflet de ce qu’il veut voir.
Le sens est fluctuant, pas toujours précisé, et les mots se succèdent sans interruption, souvent sans ponctuation, à en perdre le souffle. On plonge en apnée dans les tréfonds de la pensée et on se laisse souler aux confins du réel et du rêvé. Impossible à lire sans respirer, on étouffe, il faut se laisser couler dans la poésie sans les repères rassurants de phrases structurées, méthodiquement découpées. Accepter de se  noyer.
L’auteur semble privilégier le flou, le vague, le non-vraiment-dit pour nous donner des impressions grâce à des images fortes. Littérature impressionniste-expressionniste ?
[…] le son des os qui machinent le temps et l’espace de ce jour, des brèves et des longues dans les SOS des âmes fatiguées, du fer et des chairs assemblées pour un long trajet, des silences soudains où la journée hésite à se remettre en marche […]
Ne cherchons pas la précision dans l’eau, il suffit de mettre le pied dans la flaque pour que change et frémisse l’eau dérangée par nos pas. Mieux vaut accepter la mouvance des mots et se laisser flotter à leur surface sans chercher de direction précise, se laisser aller à des impressions.
Des vagues, des ressacs, du silence, la nuit pique l’œil dans le soleil, ça repart d’un coup, sans nous, le livre est ouvert à la dernière page un chagrin vif nous prend, on lisse la couverture d’une main légère en regardant ailleurs tandis que s’éparpillent des phrases mises dans le bout à bout des chimères nocturnes.
 
Isabelle Fable, in : Reflets Wallonie-Bruxelles

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Je n'ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique. Nord ! La vie s'y tord en arbres forts,
et tors. La vie y mord, la mort à belles dents quand bruit le vent.
Apollinaire.

Est-ce la Belgique qui imprègne tant Daniel Simon et ses textes brefs évoquant un quotidien nuageux comme autant d’escales à vivre, à fuir, appellent au souvenir ? Cette terre semble être un tremplin vers un monde ouvert (dé)voilé, où le bruit des voitures, le claquement des portières, la bousculade des fantômes — d’amours perdus ou de chers disparus — éclaire soudain la brume qui emprisonne un monde cosmopolite, rassemblé dans un doux crépitement mélancolique. À pas lents, Daniel Simon marche en rêvant sur la crête des connivences, le poids des kilomètres n’allégeant en rien sa peine ni son désir d’appartenir, d’être pleinement vivant. Il nous invite à un voyage assis à sa table de travail pour un voyage debout dans les allées du mal et de la beauté, celles d'une humanité trop souvent bafouée, qu’il aime, malgré.
L’homme a décidé un jour « de rater sa vie pour mieux pouvoir l’écrire, décidant de ne plus grandir mais d’écrire pour tenter d’arrêter "l’agrandissement", l’indifférence du monde à la morale des enfants ». Dans son parc, sur le théâtre des petits gestes, des corps empêchés ou des mots échappés, beaucoup de pluie de vent de ciel, de goutte-à-goutte du temps de silence consolant de douceur de l’enfance, de lumière de détresse de chambre des mémoires et d’intenses instants de bonheur. Le ciel est bleu comme une chaîne de liens dans ces chansons d’amour d’une justesse émouvante que chante en sourdine ce poète lesté de solitude, au cœur d’une foule violentée, aux élans souvent freinés.
Dans la salle d’attente du monde, tel un douanier qui se tient aux frontières comme un ange, Daniel Simon regarde une foule d’innocents et de guerriers aux cris éblouissants ou meurtriers, une multitude d’anonymes qu’il saisit dans le prisme d’une lumière intime, braquant l’objectif sur ce qui l’indigne, l’émeut, le fatigue, le scandalise, le fait aimer, grandir, laissant la lentille faire les derniers réglages poétiques : « Je voudrais tant entrer dans le ciel et me hisser jusqu’au seuil des silences, ne plus apercevoir du monde qu’une lointaine image et j’irai dans les taillis de souvenirs, de rencontres parfaites et de désirs perdus. J’aimerais vivre cette espèce d’oubli qui fait d’un accident une vague ponctuation dans des flux de présent. J’aimerais signer ce bail avec le vague et l’indécis pour connaître le doux ennui des enfants sans avenir. »
Sans pitié chaste et l’œil sévère, tout en poursuivant une belle ombre passagère — tandis que sur sa feuille le jour s’exténue ou s’emporte dans un coup de sang — il mêle grâce au courage lucide car on a poussé trop loin l'art de l'invisibilité et des abus communs, ces passants devenus ordinaires qu’il dénonce et débusque dans les coulisses de ces vies croisées. La franchise et la compassion pour bagage, la recherche furtive d’un accord majeur comme passeport, le peintre esquisse le portrait fugace de quelques étoiles fuyantes adossées au souvenir. Le souvenir, une lanterne de repérage qui sert à pointer la nuit du jour, un véritable cor de chasse qui résonne dans ce journal poétique chantant le voyage d’une géographie humaine campée dans un présent où l’ombre du temps précède et poursuit l’avenir en une belle ritournelle.
Le mystère en fleurs s’offrant à qui veut le cueillir, la beauté s’offre comme en écho à l’éphémère avant de s’évanouir dans le silence de ces pages pleines de chuchotis émouvants : « La lumière s’est éteinte au milieu d’une phrase et le mot coquelicot m’est resté en travers du clavier, il n’y avait que la nuit et les pétales rouges qui fanaient et que je ne parvenais à cueillir tant le noir était vacillant dans cette teinte sonore comme un coq qui a raté l’aube et s’en va dans la paille et le renoncement du chant. » Le lecteur assiste à un festin éclairé  a giorno où les yeux sont des feux mal éteints, où les cœurs bougent comme les portes, où l’on mesure l’écart en soi et le temps de nos urgences, où l’on tente d’apprivoiser l’absence, ne sachant s’il faut se défaire de la colère qui nourrit (« peinant à vivre dans ce temps qui se moque des doutes, des vagues et des fantômes ») autant que le centre d’un sourire — le lecteur devinant la paix désirée qui tapisse un front pensif d’enfant heureux devenu grand malgré lui.
Dans le labyrinthe des énigmes existentielles et comportementales où Daniel Simon nous entraîne, une certitude demeure : sa prose poétique rend plus dense la houle des matins sombres, plus riche les cailloux blancs abandonnés sur la berge par le ressac de ses pensées. Elle ralentit superbement le bruit du temps car même si l’écume des jours nous glisse entre les doigts, son image floue, encombrée de tant de promesses, de tant de vœux et de tant d’espoirs bricolés, est source de bien des émois. La veilleuse de l’adulte un brin consumée, l’âme peut-être apaisée comme un midi d’été, Daniel Simon marche probablement vers d’autres horizons, nous rendant à nous-mêmes, à nos vastes interrogations qui continueront d’errer dans les allées de son parc peuplé d’une ribambelle de mains tendues, violentes, brutales ou désirantes, les mains d’une humanité fragile et complexe qui, tel le silence parfois, semblent hors de portée mais demeurent bien souvent pleine de charme et d’espérance : « de la lumière et un cœur plus léger suffisent à soulever le monde à hauteur des miracles ».
Pascale Arguedas
http://calounet.pagesperso-orange.fr/resumes_livres/simon_resume/simon_parc.htm

Parc-Arguedas

Présentation de "Dans le Parc" par Gwendoline Menassa sur les ondes de Radio-Campus le 24 janvier 2012.




Dans le Parc (…) annonce des textes brefs. Plus ou moins courts, du reste. Les uns se déroulent en une seule phrase secouée de mots percutants. D’autres s’offrent une respiration différente. Certains y sont jetés en manière d’aphorisme. Mais toujours, semble-t-il, sont écrits d’un seul jet, dans une sorte d’urgence qui n’autorise pas les haltes, ni pour l’auteur, ni pour le lecteur.

Ce parc, zone de nature domestiquée, aménagée par l’homme, avec ses massifs taillés et ses allées aux arbres remarquables. Ce parc est aussi un lieu dans lequel piaillent les enfants, un enclos où, en grappes ou solitaires, se déplacent hommes et femmes. Il y a ceux qui s’y hasardent pour une bouffée d’air semi-frais, ceux qui, quasi, y demeurent, selon les possibilités qu’offrent les saisons.

Lucien Van de Walle, in : "Entre les Lignes".


*

« Dans le parc», sous-titré « textes brefs », comporte cinq parties. La première, « Dans le parc » est une succession de notations assez courtes. Chacune d'elles constitue un moment de vie. La plupart possèdent cette particularité d'aligner des phrases séparées seulement par une virgule avant d'aboutir au point final. Sa description comporte essentiellement des verbes d'action.
Les composants n'appartiennent pas qu'à l'ordre unique du visuel. Les autres sens sont sollicités. C'est dire qu'il ne s'agit pas seulement de photos témoignant d'un instant. La préhension du réel se veut à la fois immédiate et sous-tendue par une réflexion sur l'existence. Elle prend appui sur des détails du quotidien avant de s'ouvrir au monde environnant, à des éléments naturels omniprésents.
Le « je » se préoccupe d'une présence aux autres qui se sait éphémère mais aussi lucide, aiguë, parfois désillusionné, mélancolique ou pessimiste. Il constate qu'il est indispensable d'agir pour être. L'humain, il le perçoit dans sa solitude, sa fragilité, écartelé entre positif et négatif, espoir et désespérance.
« Étonnements » est une perception très peu touristique de Marrakech. L'amour, et son corollaire la rupture, s'y devine en filigrane de ce qui prend tour à tour des allures de fable et de poème, avant de se prolonger dans « Frottements » dont une phrase définit bien la sensualité : (« Elle porte ses seins comme une chronique du bonheu ». Mais outre la présence de la chair, les textes se penchent sur la difficulté à éviter l'éphémère en amour.
Les « Variations clownesques » ne sont pas vraiment drôles. Elles s'attachent à une certaine misère, au chômage, aux licenciements, à la vie des quartiers multiculturels, la difficulté d'exprimer ses difficultés d'exister.
Ce livre aux écritures hétérogènes, exigeant comme tout bouquin qui ne prend pas la trame narrative comme matière première mais peut, du coup, se lire un texte à la fois et dans le désordre, se clôt sur un « Coup de sang ». Lieu où le langage se débonde pour explorer la nécessité, les limites, les vertus, les pulsions, les remords de la colère contre ce qui fonctionne si mal en notre prétendue humanité, contre la résignation. Car il y a de la peine « à vivre dans ce temps qui se moque des doutes, des vagues et des fantômes ».
Michel Voiturier, Le Non-Dit.









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