Extrait Sandro
Gallarotti, j’avais fait sa connaissance au vénérable hôpital de B* où
j’effectuais un stage. Ce matin-là, quand j’ai pénétré pour les
perfusions dans la salle d’un autre âge, avec son carrelage fendillé,
ses murs d’un ocre terne, ses hautes fenêtres d’où sourdait une lumière
anémique et sa trentaine de lits alignés sur deux rangs, un rire
gargantuesque m’a cloué sur place. Dans une hilarité aussi générale que
singulière en ce lieu, une espèce d’ogre à la tignasse bouclée, vêtu
d’un pyjama rouge vif dont la veste s’ouvrait sur une toison de
gorille, s’est extrait de son armoire en hurlant « ¡ No pasaran ! » C’était Sandro. Quant au condisciple qu’en aucun cas ce vétéran de l’Èbre n’eût laissé passer, à tout le moins sur son corps, fils de notable d’une de nos bonnes cités, lui-même futur notable, il répondait au prénom de Fernand et traînait dans tout l’hôpital une paire de sandales avachies, une mâchoire éternellement crispée qui lui faisait la face pentagonale, une maladresse légendaire, ainsi qu’un ouvrage à la riche iconographie, « How to place a venous catheter ». Il avait réussi là où les phalanges franquistes avaient dû recourir aux chars et aux avions d’Hitler : après l’avoir vu à l’oeuvre sur un compagnon d’infortune, Sandro, son tour venu, s’était défilé en prétextant une urgence vésicale. Depuis lors, Fernand trouvait lit désert et pour cause : dès que les avant-postes annonçaient une blouse blanche, le héros des Brigades s’enfermait dans son armoire et son voisin, monsieur Wang, un vieux Chinois sec comme un bambou, avait pour mission de frapper trois coups pour annoncer le bourreau, deux s’il s’agissait d’un stagiaire anodin. Devenu le piqueur attitré de Sandro, j’ai passé les heures creuses de mes gardes au fumoir de la salle, à vibrer aux souvenirs de ses exploits et aux débats acharnés qui, dans leur sabir respectif, l’opposaient à monsieur Wang, ex-colonel de Tchang Kaï-Chek et donc ennemi de classe, qu’une longue pratique du taiji quan n’avait pu préserver d’une hypertension maligne. À leur commune sortie, ascite asséchée, pression stabilisée, les deux jouteurs étaient inséparables. Non seulement ils habitaient le même quartier, mais la nièce de monsieur Wang y tenait La Table du Mandarin, quand la belle-fille de Sandro y avait ouvert La Rosticceria Milanese. Leur premier soin a été de s’y lancer de gastronomiques défis requérant mon arbitrage. Si ce n’est l’indiscutable avantage du Barbera sur les prétendus vins de Chine, de Canard aux mille parfums en Vitello tonnato, de Crespelle alla comacina en Crabe fu hsong, je ne me suis jamais résolu à les départager ; d’ailleurs, je ne pense pas qu’ils y tenaient. Dans la nuit avancée, nous nous raccompagnions l’un chez l’autre, braillant « ¡ Ay Carmela ! », avec un accent dont je ne pouvais discerner s’il venait de Canton ou de Pékin, mais si désopilant que nous nous efforcions de l’imiter, les chants de marche du Kouo-min-tang restant hors de portée de gosiers wallons ou transalpins. Semblable folklore ne dure qu’une saison. Écoeuré par la grisaille wallonne et par ce que j’éprouvais comme une médiocrité ambiante, j’ai couru l’aventure sous d’autres latitudes, ensoleillées de préférence. Quand, des lustres plus tard, fatigué de tourner en rond sans jamais rien découvrir, je me suis résigné à revenir chez nous pour m’y embourgeoiser, poussant l’assimilation jusqu’à l’infarctus et le triple pontage, que j’ai voulu, nostalgique déjà, revoir le quartier de mes fredaines, on avait désaffecté l’hôpital, Table et Rosticceria s’étaient englouties dans les fondations d’un métro mégalomane qu’on finirait par reboucher. |
Ce qu'ils en ont dit | ||
Les nouvelles réunies par Gérard Adam sous ce titre aussi insolite que narquois sont sous-tendues par deux éléments : la mémoire qui se teinte de nostalgie (« trouver un sens à ma remémoration », écrit-il) et une ouverture à un multiculturalisme pacifiant à travers une « macédoine d’êtres et de pensées » en espérance « d’un monde polyphonique ». C’est dire que la tonalité de l’ouvrage sera, d’une part, une certaine hargne vis-à-vis des dysfonctionnements et paradoxes de notre actuelle société ; d’autre part, la tendresse lucide de l’humanisme ouvert de quelqu’un qui a « trop bourlingué pour être angélique ». Il s’agit de fictions, même si, proches par moments de l’autofiction, elles sont à l’évidence nourries par l’autobiographique. Leurs sujets sont puisés dans le quotidien ordinaire de la Belgique prospère même si elle est « acariâtre en instance de divorce », pays de Bob Morane et de Magritte ou de Zorglub autant que d’un curé jouant ‘L’Internationale’ à l’harmonium : celui des trajets en tram, celui de la Leffe brune, celui de l’Exposition universelle de 1958, celui des vieillissants en chemin vers la mort, celui des sans papiers parqués dans des centres plus ou moins fermés, celui de l’intégration de différentes générations d’immigrés. Mais aussi dans son quotidien dérangeant comme l’éventuelle scission du pays, l’évasion du sieur Dutroux, les petites corruptions cachant les grandes, les faillites bancaires ; quotidien aussi des chômeurs à l’ « univers ratatiné », celui d’enseignants encore animés malgré leur travail ingrat, celui du planton d’un président de conseil d’administration, celui du harcèlement des démarchages téléphoniques, celui d’un grand-père soucieux de sa petite-fille... En arrière-fond, les soubresauts du monde : guerre au Zaïre et en Bosnie, génocide au Rwanda, crise économique européenne en Grèce et ailleurs, mouvement des indignés de Stéphane Hessel, etc. Tout ceci ne mène cependant pas vers un livre voué à la grisaille du misérabilisme. L‘humour n’est jamais loin et sa causticité qu’elle soit du registre de l’ironie ou de la remarque acide est décapante. Gérard Adam a « toujours été contestatairement incorrect ». Il aime remettre en place (c’est-à-dire déplacer) les vérités toutes faites, qu’elles soient historiques ou politiques. Il cherche à retrouver et à prôner l’humain. Et cela fait du bien en dépit d’un certain pessimisme ! L’ensemble possède sa diversité. Et l’une des caractéristiques du style de l’auteur permet au lecteur de mieux cerner les êtres et les événements décrits : l’accumulation. En effet, comme une caméra qui explore, l’inventaire aide à la prise de conscience de la multiplicité des éléments constituant un réel que chacun n‘appréhende souvent que sous un seul angle de vision. Cela nous est donné avec « ce mélange de scepticisme et d’enthousiasme sans lequel il n’est rien d’authentique ». Michel Voiturier, Reflets Wallonie-Bruxelles * Gérard Adam trempe sa plume, dit-il, « aux sources de la vie, et donc de la souffrance et de la mort ». Mais, tandis qu'il trouve autour de lui matière à cette littérature engagée en faveur de l'homme (et de la femme), l'écriture l'en détourne parfois et il se débat dans les interstices. Son expérience de médecin, qui l'a entraîné à l'étranger et dans les questions plus proches de nous, devient matière à un questionnement fondamental. De quoi écrire des nouvelles puissantes, à lire sans précipitation. une à la fois. Elles bousculent quand même notre petit confort. Pierre Maury, Le Soir * Doute, mon beau souci... Écrivain, traducteur, éditeur et médecin aujourd'hui retraité, Gérard Adam rassemble dans son dernier recueil des nouvelles parues pour la plupart dans la revue Marginales dans le droit fil de son thème trimestriel. Des nouvelles où la fiction se nourrit amplement d'une réalité vécue et d'un engagement dans la vie qui ne relève en rien d'une obédience quelconque, mais d'une attention constance et active qui autorise un regard critique sur le monde d'aujourd'hui. Engagement qui passe tant par le quotidien le plus banal en apparence que par la pratique humanitaire en tant que médecin lors d'interventions militaires dans des régions traversées par les turbulences, comme Ia Bosnie ou le Congo. Avec, en appui, une profession de foi clairement énoncée dans ce recueil, médecine préventive souveraine contre la connerie : « Tout qui est sûr d'avoir raison est certain d'avoir tort. Ma seule certitude est le doute, j'en ai fait mon credo. » Ici, comme dans ['ensemble d'une œuvre diverse et abondante, il conspue les extrémismes de tout bord, dissèque les idées convenues et ne confond pas générosité avec angélisme benêt ni sécurité avec protectionnisme hautain. Tout cela faufilant des récits vivants, d'une écriture à la fois directe, familière et imagée, où l'excipient d'un humour omniprésent apporte son élégance sans altérer la densité humaine. Ils s inspirent aussi bien de souvenirs d'enfance et de jeunesse que des compagnonnages dans les merdiers du monde, de l'absurdité et de l'injustice de certaines pratiques déshumanisantes de la vie moderne, de prospections hautes en couleur dans le futur de la Belgique, de l'art d'être grand-père ou encore d'une théologie perplexe, mais ouverte, prêchée par le coude à coude multiculturel des dieux à bord du tram 56. Ghislain Cotton, Le Carnet et les Instants * Le
16 juin 2013, présentation par Daniel Simon à la librairie 100
papiers de Schaerbeek (en même temps que Jean Jauniaux pour L'Année dernière à Saint-Idesbald) * La nouvelle qui donne le sens de la marche… Entre émotion, action, colère et empathie Gérard Adam est né le 1er janvier 1946 à Onhaye, un petit village près de Dinant, dans la province de Namur. Dans un autre monde, un jour aussi festif aurait pu augurer d’une existence légère ; un autre monde sans doute mais pas celui qui lui est proposé et dont il dénoncera inlassablement les iniquités, la violence gratuite, les mécanismes d’exclusion et les dérives comportementales. Devenu médecin par vocation, Gérard Adam s’est trouvé une identité dans l’écriture (la sienne et celle des autres). On notera la publication d’une quinzaine de romans, de nouvelles, de documents, parmi lesquels : L’arbre blanc dans la forêt noire (prix N.C.R. 1989), et La lumière de l’archange (finaliste du prix Victor Rossel 1992). En 1994, en tant que médecin de la FORPRONU, il a participé à l’intervention de Kolwezi et a séjourné plusieurs mois en Bosnie Herzégovine. Cette dernière expérience – plus humaine que militaire – lui a fourni la matière de deux livres : La chronique de Santici et La route est claire sur la Bosnie (éditions Luce Wilquin). Gérard Adam tire de tous ses moments d’être, des leçons de vie et de partage. Confronté à ce qu’on appelle « les réalités du terrain », il pose autant de regards pénétrants sur le monde, sur ses contemporains, sur leur histoire. Devenu traducteur à partir des littératures croate et bosniaque, il enchaîne également les ouvrages inspirés par une évidente nécessité intérieure. Parmi ceux-ci : Le mess des officiers, nouvelles, La Longue-Vue, Bruxelles, 1991 ; Mama-la-Mort et Monsieur X, roman, Luce Wilquin, Avin, 1994 ; Marco et Ngalula, roman, Luce Wilquin, Avin, 1996 (réédition aux Éditions Labor, collection Espace Nord Junior, Bruxelles, 1999) ; L’impasse de la Renaissance, roman, Luce Wilquin, Avin, 2001 ; Qôta-Nîh, roman, M.E.O., Bruxelles, 2009, Le saint et l’autoroute, roman, M.E.O., Bruxelles, 2011, et enfin, De l’existence de dieu(x) dans le tram 56, nouvelles, M.E.O., Bruxelles, 2013. L’indigné Ces oeuvres apparaissent comme les pièces maîtresses d’une pensée en mouvement. L’habit d’indigné sied au voyageur qui privilégie l’humain et n’en finit plus de dénoncer les dégradations morales et sociales d’une Europe vieillissante. Ouvert aux autres comme il l’est aux autres littératures, Gérard Adam décide de concrétiser son engagement en fondant les éditions Mode Est Ouest (M.E.O.) et de développer ses collections dans l’espace numérique. Pour ce faire, il n’oublie pas que l’éditeur est par-dessus tout un créateur d’empathie et que le binôme écrire-éditer est aussi évident pour lui que l’emboîtement des poupées russes. La nouvelle, noyau de sa production Les définitions pullulent et les ramifications sont nombreuses. De fait, la nouvelle ramène Gérard Adam au réel, à l’actualité, à la question ponctuellement posée par Jacques De Decker pour Marginales. Chacune d’elles est véhiculée par une interrogation sociale ou politique (le racisme, la diversité philosophique, l’âge de la retraite, les médias, le conflit des générations, le monde de l’argent, etc.). Toutes appellent une réponse fictionnelle et un travail d’écriture. Pour un perfectionniste comme Gérard Adam, la forme se cherchera dans la suggestion, la narration vivante et la part dialogale. De l’existence de dieu(x) dans le tram 56 (M.E.O.) Le titre n’est pas sans révéler le contenu philosophique des scènes populaires (empruntées à la vie quotidienne) que Gérard Adam détaille avec une faconde incomparable. Le fondement multiculturel, inhérent à Bruxelles, y est malicieusement et plus que vivement approché. Ni la Belgique ni l’Europe ne sortent grandies à la lumière des petits affrontements burlesques où « l’étrange » et « l’étranger » passent par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ! Voilà donc un tableau vivant de type « commedia dell’arte » qui ne peut que sensibiliser le lecteur à la chatchouka loufoque et humaine des grandes villes ! Fidèle à la vérité de son reportage, l’écrivain s’introduit sur le plateau de tournage et nous interpelle d’autant plus qu’il y devient tout à la fois l’acteur, le scénariste, le témoin et le faux Candide … Sans oublier un seul instant que si la fiction peut être une fin et un moyen, elle apparaît surtout comme une oeuvre en soi qui doit rester propos d’artiste, de créateur… Revenons au tram 56 … qui n’existe plus, déclare l’auteur, assuré que d’autres trams serviront de plateau pour d’autres drames, d’autres comédies … Insensiblement, on se rend compte, à la lecture des différents récits, que l’argument propulse à l’avant-scène un auteur « indigné », passablement désenchanté, pour qui l’écriture demeure le fondement de toute une vie. Presque malgré lui, Adam laisse poindre à travers le propos roboratif un effritement du modèle social qui est nôtre. À maintes reprises, l’individu se voit confronté à un Big Brother vieilli mais cependant menaçant. La redondance de cette réalité-là inonde les vingt nouvelles du volume et instruit les différentes intrigues. L’auteur prête volontiers la parole à sa propre colère et recourt ici et là à des procédures qui ne sont pas sans rappeler l’écriture automatique des auteurs surréalistes (démesure, accélération brutale du récit, amplification, formulation paradoxale …). Par ailleurs, il recourt volontiers à l’antiphrase, à l’ironie, voire au sarcasme. Mes confrères, accrocs de la bagnole, ne me voient jamais partir sans me souhaiter avec des trémolos, bonne chance et bon courage comme si je m’enfonçais en diligence dans les territoires d’Apaches sur le sentier de la guerre. Dans la foulée, la provocation (face cachée de la tristesse) lui inspire des propos sulfureux sur la mise en commun des cultures, le cousinage intellectuel des peuples de Bruxelles. L’auteur excelle dans la nouvelle picaresque où la pensée morale ou philosophique s’invite au coeur même de l’action. … je me veux agnostique, c’est-à-dire athée pas trop sûr de son coup, la cervelle embourbée de sédiments catholiques charriés par mon éducation … Adam ne fait pas l’économie du questionnement fondamental qui traverse sa vie de part en part : Comment, pourquoi la vie ? Et l’injustice ? Et la souffrance ? Toutes les qualités de la nouvelle On appréciera la couleur des personnes (des personnages), qui font des individus serrés sur la plate-forme d’un tram, des figures de roman. La plupart du temps, ce petit peuple hétérogène et familier se distingue des « manipulateurs » qui nous gouvernent, par le rejet des interdits, la mobilisation instantanée devant l’impromptu hostile, le comportement inadéquat, le rejet irrationnel de l’autre … L’hostilité serait-elle une faille de l’entendement ? On isolera des personnages singuliers comme la Cucaracha, l’asperge à la barbe intégriste, la blondinette au museau de souris ; on relèvera l’option complaisamment orale de la langue et l’autodérision qui y affleure : les méninges en capilotade et les yeux brûlants m’interdisent toute concentration. Une procédure poétique Outre l’usage pertinent de la métaphore : Quel événement de la veille avait lancé le tourniquet ?, une épilepsie de cymbales, la chantilly des nues, le Far West de la place Bara, on retiendra le recours aux adjectifs significatifs : Aussi, vanné, grincheux, atrabilaire … ainsi qu’un don d’observation particulièrement pointu : la jeune Maghrébine se retrousse le voile pour dégager l’oreille … et un goût prononcé pour l’antithèse : … (L’intégriste) fait de son maigre poitrail un rempart à sa femme rondouillarde … Toujours en mouvement, la phrase verbale pour marquer le tour plus grave de la pensée : Et de me demander où est la destinée, où est la liberté. La concision, le pouvoir de suggestion, l’efficacité de la figure, la force thématique, allument les mèches d’une attention toujours en éveil … L’oeil visite les paysages et revisite la réflexion qui fait partie commune d’une même découverte sensible. Deux exemples illustrent le propos : Nous sommes trois à descendre quand le quai d’en face grouille de monde, quotidienne transhumance vers Bruxelles. Peu avant, nous avons longé des friches industrielles, et ce qui fut jadis fleuron de l’ingéniosité wallonne dresse face à la gare son squelette incrusté de suie. La femme agite les doigts pour en sécher le vernis. On dirait qu’elle manipule des marionnettes. Un narrateur intrusif Offert en pâture à son lecteur, avec ses manques, ses faiblesses, ses hésitations et son humour, l’auteur privilégie l’action et plus encore, l’interaction. Mais que ce soit dans l’intention ou dans l’élaboration textuelle, Gérard Adam se révèle un écrivain accompli. Sans aucun doute, la pratique du récit plus long, le roman-fleuve, lui confère-t-elle une assurance dans les moyens expressifs, ce qui ne l’empêche pas de céder à l’explicite quand il affiche la part sensible de son désenchantement : Ce qui différencie ma génération de celle que je rencontre dans les écoles, n’est-ce pas l’estompement de ces interrogations essentielles pour moi ? La mort de l’enthousiasme, la perte du désir, aussi utopique soit-il, de saisir le monde, l’avenir à bras le corps et l’esprit ? Rien n’est jamais acquis et je crains que cette indifférence, à moins qu’elle ne soit plus feinte que réelle, enlise notre Europe vieillie, élaborée par la technocratie qui jamais n’a mobilisé ses populations pour un projet de société… Un récit entre tensions et débordements Un appel implicite à l’éveil confère à l’ensemble des récits une impression de vie permanente. À la découverte d’un « moi » déboussolé : Moi … qui ai l’outrecuidance de me lamenter sur le peu de cas fait de mes oeuvres ? répond une colère mesurée et alimentée par les virevoltes contradictoires de nos cultures entremêlées. Gérard Adam cultive, non sans maîtrise, le paradoxe social et politique d’un citoyen de 2013. Mais si l’esprit fixe et stigmatise le vieux désert européen, le coeur se tourne plus volontiers vers les déshérités, les exclus du système économique qui sont peut-être les lampes dont nous avons besoin pour éclairer nos propres enseignes. Le Prix Emma Martin est décerné à un écrivain complet qui trouve son épanouissement dans un genre, la nouvelle, et qui par son passé d’écriture et de vie, s’inscrit dans la longue tradition des polémistes sensibles. En cela, il est dans de bonnes mains. Michel JOIRET, Nos Lettres * Je
me sens vraiment mal dans ma peau de n'avoir lu qu'un seul livre de
Gérard Adam, le mari écrivain de notre amie Monique Thomassettie, dont
je parle tant avec bonheur. J'ai l'impression d'avoir manqué ce qui
aurait pu devenir un de mes auteurs favoris, tant les nouvelles (mais
sont-ce des nouvelles et non des souvenirs très réels, sauf deux vers
la fin? ) titrées d'un des textes : De l'existence de dieu(x)
dans le tram 56. Des dieux? Non, des histoires très vécues. Il faut
préciser que l'auteur fut médecin militaire, en particulier engagé (au sens fort du terme) dans des opérations humanitaires en Afrique et en Europe. Dans un style vif, quotidien, il raconte des expériences plus qu'humaines. Cet infirmier congolais qu'en médecin il a assisté dans des opérations difficiles, tant il était plus habile que lui médecin. Au plan belge aussi. L'auteur n'hésite pas à exprimer ses doutes et ses regrets, mais il le fait toujours avec une telle touche d'humour que ses remarques ne vexeront que bien peu d'autorités. Pas plus que lorsqu'il aborde les drames du siècle dernier, Rwanda, Congo, et même d'ailleurs, comme avec ce mot terminant la liste des horreurs de l'Histoire majuscule : "À propos, où sont donc les Iroquois?" Évoquant une séance de poésie en Bosnie, devant un public nombreux et attentif, il revient à nos séances belges, pleines de vide et d'indifférence. "Je rêve à des poètes de chez nous déclamant sur la Grand-Place." Autres amabilités pour nous : parlant d'un ingénieur bosniaque récitant de mémoire un poème, il ne s'épargne pas lui-même : "... on ne trouve peut-être pas dans toute la Belgique un seul ingénieur connaissant trois vers de Norge ou de Verhaeren. D'ailleurs, moi-même... !" Il s'indigne aussi, comme Hessel, en évoquant les réactions racistes de l'ex-directeur général de l'Office des Étrangers et constatant que chez ses confrères médecins les réactions sont semblables. Il rentre encore en lui-même parfois à l'occasion de notre petit monde littéraire. Peut-être un peu excessif en parlant du "monopole médiatique des écrivains belges d'expression parisienne". Ce qui, me semble-t-il, correspond parfaitement au ressenti des écrivains français de province, tout aussi rejetés dans des ténèbres même pas extérieures. Enfin il murmure ne pas regretter "l'outrecuidance de (se) lamenter sur le peu de cas fait de (ses) œuvres". Ce en quoi il a bien tort, car il subit le lot commun des bonnes volontés qui restent isolés et ne tentent pas de se montrer dans les couloirs administratifs en léchant les bottes et passant sous les portes... Comme je préfère ma bibliothèque très choisie au lieu des monceaux de bestsellers rapidement voués au pilon, sinon pire, les bacs des bouquinistes ! Paul VAN MELLE, Inédit Nouveau * Le
recueil de vingt nouvelles porte le titre de la troisième. Il s'en
trouve, du reste, de toutes natures. Comme lien, le témoignage d'un
écrivain instruit par la vie et les aléas de la médecine, de l'armée, d
l'Afrique, du monde. On y ressent un altruisme délibéré, honoré, quel
que soit le mode d'écriture : celui de la mémoire ou de la fiction. Luc Moës, La Lettre de Maredsous. Interview par Marie-Ève Stévenne sur les ondes de RCF Bruxelles * |