Extrait Dans
le divan où elle s’installe au bord des coussins, puis plus
profondément, elle étale ses mains sur les genoux. Ferme les yeux. Elle
a toujours aimé le soleil, fait partie de ses adoratrices. Personne
comme lui n’est capable de chasser les pensées noires. Il les boit pour
les glisser ensuite, la nuit peut-être, dans des nuages de tempête.
Elle sourit à cette image. Elle n’a rien senti. C’est d’abord un frôlement, une caresse plus légère qu’un pétale de tulipe qui tombe. Quelque chose glisse sur sa peau, si doux que cela fait écran au soleil. Le vent, car c’est lui, qui d’autre, défait ses boutons un par un et le soleil se faufile, caresse, embrasse. C’et si doux, si bon, si étonnant qu’elle n’arrête pas de frissonner. Comment a-t-il fait pour enlever chaque vêtement, sans la heurter, sans qu’elle comprenne comment il s’y prend ? En jouant de ses baisers aussi agiles que ses doigts ? A-t-elle gémi ? Intérieurement sans aucun doute. Un étrange mécanisme s’enclenche en elle. Ou plutôt quelque chose se met en route, une sorte de fin rouage caché sous la peau, partout, même là, en ce lieu secret où il ne va pas, qu’il contourne savamment. Elle met un certain temps à réaliser que le petit bruit continu qu’elle entend est son propre ronronnement. Elle devient chatte sous le premier soleil de l’année. Et comme une chatte elle se déplie, s’étend, s’étale de tout son long, offre un maximum de peau à un tâtonnement qui sait où il va, qui volette de-ci de-là, jamais là où elle l’attend, où sa peau l’espère, mais sait qu’il reviendra à cet endroit-là où le bout de peau encore vierge attend son tour. Sa tête roule sur le côté, vers le soleil qui lui mordille l’oreille, pour ne rien voir, seulement sentir. Un soupir plus profond que les autres lui entrouvre les paupières. Malgré elle. Et c’est alors qu’elle les voit. Les tulipes sur la table. Les tulipes qui la regardent. |
Ce qu'ils en ont dit * Le
roman d’Isabelle Bielecki (très belle photo de couverture de Pierre
Moreau), comporte deux parties, l’une faite de liberté et de lumière,
l’autre remplie d’ombre et de la résurgence terrible du passé : Les
tulipes du Japon et Les chrysanthèmes. À toute première vue, deux
histoires très différentes (se plaçant à sept années d’intervalle),
presque deux romans distincts. Mais on verra que les deux parties sont
très intimement reliées. Chaque chapitre (séparés par quelques mois, voire quelques années), s’écoule sur une journée, heure par heure, ce qui donne au récit un rythme soutenu, et le lecteur se refuse à refermer le livre avant la dernière page ! La première partie relate l’histoire d’une relation passionnelle, mais pas seulement, c’est bien plus que cela. Le récit doit se lire en fonction du passé d’Élisabeth, de ce passé qui a fait d’elle ce qu’elle est, et qui conditionne son destin. « Les tulipes du Japon » fait d’ailleurs d’incessantes incursions dans ce passé obsédant et douloureux (ses deux parents, « rescapés » des camps de concentration, se sont donné la mort à quelques années d’intervalle ; les brimades dures de sa mère qui n’hésitait pas à la battre ; les relations amour-haine entre le couple…). Le roman se situe dans le temps avant le premier roman de l’auteure, « Les mots de Russie », paru en 2005 (Prix des Bibliothèques de la ville de Bruxelles) ou, plus exactement, il s’intercale dans ce roman, entre les années d’enfance de la narratrice et le moment – bien des années plus tard – où il vient enfin à Élisabeth la possibilité/le désir/la force/la nécessité d’écrire pour tenter de se souvenir. L’on sait à quel point les mots sont des exutoires, ils épurent, ordonnent, stylisent les blessures et les apprivoisent… un peu. Émile, son mari, a le mérite de l’avoir délivrée de la bulle familiale toxique où l’enfermaient ses parents, mais il se révèle vite un compagnon terne, une assez pâle figure se préoccupant peu des aspirations et du tempérament de sa femme. De cette relation naîtra (par une sorte de miracle ?) une fille. Élisabeth, cadre dans une entreprise japonaise, découvre alors l’extase dans les bras de son chef japonais, Miura. Dans une chambre de l’hôtel Hilton, lors de leur première vraie rencontre, « Les tulipes sur la table. Les tulipes qui la regardent. Multicolores et finement dentelées, elles retiennent leur respiration. Le cours de leur courte vie de tulipe (…) Elles contemplent cette femme allongée qui émet cet étrange bruit sans oser bouger ni un bras ni une jambe de peur de perdre ne fût-ce qu’une once du plaisir qui continue à courir sur sa peau. Un éclat de regard glisse entre ses paupières, vient se poser sur elles, les tulipes curieuses, rassurées à présent malgré le pétale tombé tout à l’heure, quand le couple est entré ». Ces tulipes, c’est le symbole d’une renaissance, sinon d’une naissance à la vie. Élisabeth découvre enfin le plaisir, la liberté de flâner, une sorte de sentiment de toute-puissance, les démesures de la passion. L’on comprend qu’à partir de ce moment, tout retour en arrière, à la médiocrité, est devenu impossible. La passion s’accompagne forcément de ses corollaires presque obligés, l’attente, les craintes que cela finisse et la peur de la solitude, même s’il est écrit depuis le début que cette histoire d’amour doit avoir une fin plus ou moins proche. Élisabeth n’en aura pourtant pas de regret. Elle le ressent intensément : lorsque l’on a aimé, il en reste toujours quelque chose, quoiqu’il advienne, et la vie peut continuer si l’on a été porté, aimé au moins une fois, une richesse jamais ni reprise ni perdue. Après, viennent ou reviennent les temps sombres, « Les chrysanthèmes ». « Il y avait eu Miura, le Japonais qui lui avait offert les portes du paradis, quand cet autre, Abe, avait poussé celles de l’enfer ». La deuxième partie du roman se centre sur la vie professionnelle d’Élisabeth comme courtière en assurance, au sein de l’entreprise japonaise, après le départ de son amant rappelé au Japon. Un nouveau chef débarque. C’est le jour et la nuit. Il est loin, le temps où travail pouvait rimer avec plaisir et qualité de vie, sorte de dolce vita au bureau. « Voilà, le tremblement devient une secousse incontrôlable (…) Parce qu’elle sait tout en résistant de toutes ses forces à l’idée qu’elle sait. Le cauchemar de son adolescence l’attend (…) Mais que chaque fois elle arrive à la même conclusion, qu’elle a eu raison, qu’il n’y a pas d’autre voie que celle de tenir. Confrontée depuis l’enfance à un danger permanent sous les traits de sa mère, elle a développé un sixième sens pour le débusquer partout ». Le passé l’a rattrapée et l’on assiste à une véritable descente aux enfers. Élisabeth, qui connaît successivement plusieurs relations amoureuses très décevantes, doit subir jour après jour, non seulement la pression de plus en plus intolérable d’une immense charge de travail, mais surtout, l’humiliation, le harcèlement moral de son nouveau chef (violent, névrosé et sans aucun doute jaloux de ses compétences à elle). L’on y apprend beaucoup sur la place de la femme et la culture du travail dans ces entreprises japonaises à partir des années 2000, sorte de rouleaux compresseurs sans égard pour ceux qui s’y tuent au travail ; et se tuer n’est pas un vain mot car les suicides n’y sont pas rares (préfiguration des dégâts humains que font aujourd’hui beaucoup d’autres entreprises…) Comme lorsqu’elle était enfant, face à sa mère, Élisabeth se bat, ne lâche rien et, grâce à sa volonté et son opiniâtreté, elle ne plie ni ne se laisse abattre. Un beau roman, puissant et émouvant. L’histoire d’une femme à la fois fragile et forte, née d’un père russe et d’une mère polonaise, qui se sent partout en exil et a hérité de son père de cette fameuse qualité russe qu’est le sens de l’honneur. Son existence a été constamment entravée mais, à aucun moment, elle ne se considère comme une victime. Elle est celle qui depuis toujours résiste, celle qui « doit tenir ». Celle qui tient bon. Martine Rouhart, AREAW *
NOTES DE LECTURE DANS BABELIOÉlisabeth aime les tulipes dans le jardin et aussi le Japon, son travail, son amant. Élisabeth est profondément marquée par ses parents, tous les deux alcooliques : son père Victor, ancien communiste russe a fui le régime de Staline et sa mère, d'origine polonaise, la bat, son père aussi d'ailleurs. Elle garde, de par son père, des préceptes où l'honneur doit être premier ; résister à l'entourage, tenir bon sans se soumettre et garder la tête haute : autant de bons principes qu'elle essaie de tenir, mais que c'est difficile dans son milieu professionnel géré par des Japonais. Sa mère, Eva, s'évade de son mari et cherche ailleurs l'amour. La vie sentimentale d'Élisabeth n'est pas des plus heureuses : son mari est rarement présent, elle trouve le bonheur avec Miura, son collègue professionnel, mais ce n'est que de trop courte durée puisque celui-ci est rappelé au Japon. La vie d'Élisabeth ? Plutôt galère ! Isabelle Bielecki arrive toujours à raviver l'attention du lecteur en amenant un nouvel élément au détour d'une prochaine rencontre. Originale aussi la découpe du roman : des journées avec un horaire précis et une envolée d'années inattendues. Note : **** D’Halluin, Babelio, FNAC.com, Furet du Nord, critiqueslibres.com. Un livre au moins printanier de par sa couverture : la photo magnifique d'un champ de tulipes. Le titre se réfère à la vue d'un vase de tulipes qui se trouve dans une chambre d'hôtel et qu'admire Élisabeth, l'héroïne de ce roman, pendant l'amour. Cette petite fille, née en Belgique de parents russe et polonais exilés,subit durant son enfance le mal-être de ses parents revenus des camps .Son père, un brave homme, un « rouge »se laisse aller dans l'alcool, sa mère elle, ne veut pas baisser les bras, bravache, à la limite du comportement indécent. Elle bat sa fille à la moindre occasion, et surtout exerce une surveillance très dure, elle ne veut pas que la petite pense à la sexualité, chose qui évidemment va s'exacerber chez Élisabeth et imprégner quasiment toutes les pages du roman. De la difficulté donc de se sentir fille d'immigrés, de gagner sa place au travail dans un consortium japonais, de s'adapter à la mentalité des chefs qui arrivent directement du Japon en y laissant leur famille, qui repartent quelques années plus tard, en ayant pour certains pris quelques maîtresses belges, souvent naïves. Élisabeth divorce, élève sa fille, se débat avec son métier et ses amours souvent éphémères. Son but est un jour d'écrire un livre sur sa vie. Que dire de plus ? je n'ai pas bien compris le besoin à chaque paragraphe de noter l'heure précise, comme s'il y avait un suspense haletant. La guerre des nerfs entre les japonais souvent arrogants et leurs collègues féminines est bien restituée, par contre le sexe prend une part très importante dans ce roman, après tout pourquoi pas, mais l'écriture pour mettre ces pages en valeur me semble un peu fade. C'est une agréable lecture, je ne connaissais pas du tout je l'avoue cet auteur. Note : *** Verdure 35 MAIS AUSSI… J'ai eu du mal à finir les Tulipes du Japon. Pourtant, on ne peut nier la qualité de l'ouvrage. Bien écrit, Isabelle Bielecki nous livre les 6 journées de combat d'Élisabeth travaillant au sein d'une société japonaise en Belgique. Il est agréable de lire des références à la vie bruxelloise / belge: Uccle, Bruxelles, la Première, etc. De même, il est toujours appréciable de découvrir une auteur belge ! La psychologie des personnages est également le gros point fort de ce roman. Les personnages ne sont pas seulement des êtres de papiers, ils prennent réellement vie. Le passé d'Élisabeth est véritablement creusé tout comme la vie son entourage. […]. Mais c'est dans le récit que le bât blesse. L'histoire semble pourtant à première vue bien ficelée. Divisées en plusieurs heures, les journées ainsi découpées se succèdent. L'une après l'autre, nous comprenons comment progressivement une femme tombe en décrépitude. Je le comprends vite, bien trop vite. Après ça, la détresse de cette femme se décline de mille et une manières. Elle sombre et resombre… Elle coule sans qu'apparaisse la moindre réelle lueur d'espoir. Et moi, lecteur, je me prends toute cette détresse dans la face, sans arme. Alors je tourne les pages dans l'espoir que les choses changent. Il n'est pas question de fraicheur dans ce roman. J'aurais pu avoir affaire à un roman à l'eau de rose. Mais tout ça part en eau de tulipe ! L'homme est à la fois bourreau et bouée. La femme est faite à la fois d'amour et de désir mais surtout de décrépitude. À moi, ce désespoir m'a paru sans fin. Les tulipes sont restées tulipes tout au long du roman. J'attendais les roses. Elles ne sont jamais arrivées. Je pense que ce roman ne correspondait malheureusement pas à mes goûts contrairement à ce que j'aurais pu penser au départ. En réalité, j'avais plutôt été attiré par la culture japonaise. L'esprit d'entreprise des japonais est prégnant dans l'œuvre, mais il s'agit plutôt d'en mesurer l'impact sur le personnage principal. Cela pourrait plaire à certains, peu à moi. Note : *** timis Note de l'éditeur. Curieuse lecture : Élisabeth ne tombe pas en décrépitude malgré le harcèlement professionnel dont elle est victime et les séquelles d'une enfance très dure. Comme le remarque très bien Dhalluin, conditionnée par la psychologie de son père, elle résiste et finit par l'emporter, non sans dégâts, mais la vie n'est-elle pas ainsi faite ? Évidemment, si on attend "un roman à l'eau de rose" – ce qui est tout à fait respectable –, on ne peut qu'être déçu par "Les tulipes du Japon". Un livre qui n'est ni à lire, ni à conseiller. Un fiasco du début jusqu'à à la fin. Je n'ai pas pour habitude de noter si sévèrement un livre […] mais les faits sont là. J'ai dû lutter de toutes mes forces pour le finir, c'était un calvaire. Je me demande encore comment un éditeur peut laisser passer un tel non-sens. L'histoire est incompréhensible. Aussi incompréhensible que la quatrième de couverture. Aussi incompréhensible que le titre lui-même. On dirait que l'auteure écrit tout ce qui lui passe par la tête et qu'il n'y a aucune ligne directrice dans son esprit. Elle ne fait que tout survoler : les évènements, les personnages (qui sont tellement nombreux qu'on finit par tous les oublier), les situations, les relations. Il n'y a pas de consistance. Je n'ai pas pris la peine de faire des annotations ni de repérer des citations car il n'y a rien d'intéressant. le style est trop saccadé et les points d'exclamation y sont trop nombreux. C'est repoussant à lire. L'histoire et le style de l'auteure m'ont laissé indifférents. Cette histoire d'entreprise japonaise n'est qu'un prétexte pour donner une dimension exotique au récit et de nous rabattre quelques clichés éculés sur le travail nippon. Elle mélange à ça des anecdotes sur la Russie qui reviennent sans cesse et qui n'ont pas lieu d'être, ce qui rend le livre incroyablement pompeux ! Histoire d'amour impossible ? Fossé des cultures ? Biographie d'une enfant battue hantée par son passé ? Décadente occidentale assoiffée de liberté ? C'est à la fois tout ça, et à la fois n'importe quoi. Il aurait fallu faire un choix. Note : une demi-* Mero Note de l'éditeur. En fait, c'est cette critique qui est du "n'importe quoi". Des affirmations sans le moindre argument. Ce "non sens" qu'a laissé passer l'éditeur est une autofiction, basée sur une expérience de vie authentique, ce que le "critique" n'a pas l'air d'avoir compris. "Ce prétexte pour donner une dimension exotique au récit" est l'expérience de toute une carrière professionnelle dans des entreprises japonaises. Quant aux "anecdotes sur la Russie qui n'ont pas lieu d'être", une lecture de la Quatrième aurait montré que l'auteure, fille d'un couple russo-polonais qui s'est rencontré dans les camps et en a traîné les séquelles jusqu'à un double suicide, a été longtemps apatride avant d'obtenir la nationalité belge. Mais peut-être cette quatrième était-elle incompréhensible. Peut-être aussi Mero devrait-il apprendre à lire. La clé de ce lynchage est est sans doute à chercher dans les autres opus du même "critiques". On n'y trouve que des auteurs japonais, de mangas principalement, c'est à dire véhiculant une image héroïque mais mythique de la civilisation nippone. "Les tulipes du Japon" ont dû fracasser l'image d'Épinal au pays du Soleil levant. Désolé ! *
Nous pouvons tous devenir des immigrés et nous
retrouver confrontés à une société inconnue, sans forcément tourner le
dos à nos racines et à notre culture. Isabelle Bielecki signe un roman
plein de vérité, qui prouve que rien n’est jamais acquis sans efforts
et que, malgré les avanies, la vie suit son cours. Il s’agit aussi
d’une histoire d’amour qui, forcément, ne peut pas mal finir, d’une
guerre des nerfs dans une entreprise japonaise où rien ne ressemble à
ce qui se pratique en Europe et d’une recherche du bonheur, véritable
boussole qui scande le quotidien de chacun. Forte de belles
descriptions, l’auteure nous plonge dans un univers exotique, loin de
nos certitudes et de nos règles. Au fil des pages, l’héroïne découvre
un monde implacable de rigueur et d’autorité, avec des codes très
éloignés des nôtres. En évitant les raccourcis, ce roman parle de
situations, d’abord hors de portée, et qui progressivement se laissent
apprivoiser. Si le but n’est pas de disséquer la société nippone, « Les
tulipes du Japon » offre un regard intériorisé sur une région en plein
essor économique et qui s’érige parmi les grandes puissances sur
l’échiquier mondial de la finance. Née en 1947 à Passau d’un père russe
et d’une mère polonaise, tous deux rescapés des camps, Isabelle
Bielecki a reçu la nationalité belge en 1963 et a obtenu une licence en
traduction, puis un diplôme de courtière en assurances, avant de
consacrer sa carrière au monde des affaires, tout en s’adonnant à sa
passion de l'écriture.Sam Mas, Bruxelles Culture. *
Comment vivre dans un milieu professionnel japonais au cœur de Bruxelles ?Isabelle Bielecki importe en Belgique quelques-unes des questions que se posait Amélie Nothomb dans Stupeur et tremblements. Le gouffre culturel est immense. Même la sensualité ne permet pas de le franchir complètement. C'est aussi l'histoire d'une femme qui se bat, comme tant d'autres, pour mériter sa place dans des cercles masculins. En outre, elle vient d'ailleurs. P.My, Le Soir. | ||
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Pour commencer, je dois dire que je suis fan de la couverture, c’est le genre de photos que j’adore, je ne m’en lasse pas.
Ce roman est divisé en deux parties, la deuxième est un peu plus sombre que la première, mais tout autant prenante à lire. L’auteure a des parents de deux nationalités différentes, et je trouve qu’elle a transmis de multiples valeurs à son récit, que ce soit émotionnellement, ou dans la manière de vivre. La narration est parfois un peu fouillis, comme si Élisabeth nous transmettait son mal-être directement par ce biais. Ce qui pour moi n’est pas du tout un point négatif, bien au contraire, je trouve que justement cela rend le récit et l’histoire plus profonde, on se prend d’affection pour elle tout en essayant de la comprendre pour l’aider au mieux à se trouver, à comprendre certaines situations dans lesquelles elle semble patauger. Élisabeth est une femme qui doit se faire une place dans un monde d’hommes, un parcours compliqué et pas de tout repos, comme vous vous doutez. Mais pour ma part, ce n’est pas tant l’histoire qui m’a tenue du début à la fin, c’est plutôt le travail fait sur chacun des personnages, ils sont hyper profonds, le côté psychologique est relativement approfondi, rien n’est laissé au hasard. Le lecteur n’a aucun mal à comprendre les motivations d’untel, ou encore pourquoi un autre ressent d’une manière et non autrement. Tout comme les descriptions de ce qui nous entoure, un vrai régal que l’on n’a pas envie de quitter. Alouqua, Le monde enchanté de mes lectures. *
Autant le dire d’emblée, ce deuxième roman d’Isabelle Bielecki est une réussite totale, forme et contenu. L’auteur nous emmène en plein cœur de Bruxelles dans le milieu japonais des affaires, milieu qu’elle connaît parfaitement pour y avoir œuvré durant des années. Les entreprises nipponnes ont pour habitude d’envoyer leurs cadres à l’étranger dans des bureaux qu’elles possèdent dans de nombreux pays. Bruxelles, capitale de l’Europe, n’échappe évidemment pas à la règle. Élisabeth, l’héroïne du roman, se retrouve confrontée aux us et coutumes du Pays du Soleil Levant, avec le côté face et le côté pile de la médaille. Les directeurs japonais peuvent se montrer courtois, ouverts, cultivés ou se comporter en rustres de la pire espèce. Mais « Les Tulipes du Japon », ce n’est pas seulement la peinture d’une microsociété, aussi originale soit-elle, c’est aussi un vrai roman avec tous les ingrédients qui peuvent emporter un lecteur : amour, malheur, désillusions, rêves… Pas le moindre temps mort dans ces presque 250 pages de pur plaisir. La biographie d’Isabelle Bielecki nous apprend qu’elle est née de père russe et de mère polonaise, tous deux rescapés des camps nazis, tout comme le personnage central de son roman. Et cela m’amène à évoquer la densité de ce roman. L’auteur ne se contente pas de raconter une histoire, elle analyse finement les influences du milieu familial sur le vécu d’une personne. Élisabeth n’a pas connu que des bons moments avec ses parents, notamment avec sa mère et elle en garde des séquelles qui parasitent sa vie adulte. Les moments d’introspection de l’héroïne sont vraiment d’une justesse remarquable, surtout que tout le texte est porté par une écriture lumineuse, où abondent les images et les tournures de phrase rythmées comme une partition musicale. Sans doute le fait qu’Isabelle Bielecki ait écrit des pièces de théâtre et des recueils de poésie n’est-il pas étranger à cette beauté stylistique, qui, il faut le souligner, ne rend pas le texte difficile d’accès. Au contraire, tout est fluide, simple, efficace et… beau. Je ne puis donc que vous recommander ce livre paru chez M.E.O. car il vous fera passer un moment très agréable et très dépaysant. Claude Donnay, revue Bleu d’Encre *
Ce roman est un cadeau, un bonheur pour ses lecteurs, en particulier pour ceux qui aiment les jardins, les fleurs, les arbres, leur voluptueuse caresse sur la peau, l’esprit et le cœur. Toute la vie d’Elisabeth en est semée, depuis le délicieux jardin du couvent où ses parents la déposent à l’âge de quatre ans jusqu’aux pâquerettes d’un parc de Bruxelles, capitale où elle mène sa vie de cadre. Une vie difficile qu’elle ne peut s’empêcher d’animer d’élans – comme celui d’embrasser Miura après l’offrande des pâquerettes – et parfois d’anecdotes savoureuses, de verres de vin, de rires. Les tulipes, elles, seront les complices de ses amours clandestines et si délectables avec le fameux Miura, son chef japonais. Il y aura aussi les chrysanthèmes déposés – pour elle ? – au bureau, et, plus tard, bien plus tard, le grand sapin qui l’observera à travers la fenêtre, quand elle craindra d’être licenciée. Les arbres et les fleurs sont cependant bien loin d’être le thème d’une histoire à l’eau de rose, car celle d’Elisabeth est rude. Ses parents, russo-polonais, rescapés des camps nazis, restent marqués par leur vécu : sa mère la bat violemment depuis sa petite enfance jusqu’à ce qu’elle fuie dans un mariage qui ne la comblera jamais ; son père la défend mollement ; tous deux ont une vie difficile de réfugiés, en porte-à-faux avec la communauté des Russes blancs exilés en Belgique – il est communiste. Son mari, Emile, ne lui apporte aucun bonheur. Seul, Miura, tout en retenue et discrétion, lui offre la joie merveilleuse de la volupté partagée, de la complicité sans parole, de la jouissance délicate d’une incroyable harmonie. Mais il est marié et elle sait qu’il sera un jour appelé à rentrer au Japon. Au moins, trouvera-t-elle la force de divorcer en partie grâce à ce qu’elle vit avec lui. Mais une fois Miura retourné définitivement dans son pays, le parcours sentimental de cette femme pleine d’une certaine rage de vivre et d’un immense besoin de sensuelle tendresse, ne sera pas exempt de pièges et de déceptions. Toutefois, sa fierté, sa force de caractère et son sens de la résistance l’aideront à tracer sa route. Et puis, il y aura sa fille devenue grande et leur dialogue plein d’amour et d’honnêteté : éclat de lumière au milieu de l’indifférence des uns et de la malveillance des autres. Tout cela avec, en toile de fond, la jungle du monde des affaires, un monde d’hommes où Elisabeth continuera de mener son combat de femme, diplômée et hyper compétente, mais est-ce suffisant pour que ses supérieurs hiérarchiques, nippons en exil provisoire, la respectent comme un être humain à part entière ? Sa confrontation avec son dernier chef notamment n’est pas sans rappeler certaine stupeur et certains tremblements. La fin pourrait être dramatique, mais Elisabeth a en elle une ressource cachée, quelque chose qui sourd comme une source claire : son goût pour les mots qui disent les choses, parfois au travers d’images et parfois sans détour, telles qu’elles sont. L’écriture, fût-ce celle d’un rapport pointilleux et exhaustif, peut sauver parfois… Pratellum, Babelio *
Les Tulipes du Japon (238 pages) nous projettent dans la vie d’une femme, Russe d’origine, qui trimbale sur le dos (qui finit cassé au sens premier) de trop lourdes valises : un vécu de déracinés, de rescapés aussi (les parents) des camps et des tragédies. Pourtant, notre héroïne se bat contre les obstacles avec talent et courage, creuse un sillon original, avec son travail au sein d’une entreprise japonaise. A le grand mérite de réagir face à une vie privée délavée, d’oser préférer l’aventure, au sens d’épisode de vie véritable, au confort. Souvent complexée mais ne renonçant jamais. Au-delà des premières impressions d’autofiction, très réductrices, on glisse progressivement vers la fable, c’est la femme, la condition de la femme quasi, qui nous heurte de plein fouet, et, en tant qu’homme, on est honteux d’observer le comportement de nos semblables, trop nombreux, sans doute majoritaires, tous ces écueils qu’on place sous le sol mouvant de nos compagnes ou collègues, employées (les divers types de harcèlement y passent, à commencer par le moins évoqué : l’absence du présent, le mari ou le père, l’amant qui ne vous écoute pas, ne vous comprend pas, ne participe en rien de votre réalisation). On se consolera en songeant que c’est la majorité de la gent humaine (femmes comprises donc) qui s’abîme dans l’abus de pouvoir, l’indifférence, la lâcheté, la superficialité. Sinon, notre monde, évidemment, ne serait pas celui des Trump et Poutine, Erdogan et autres tribuns… populaires. Écrit de manière fluide et raconté de manière alerte, nous révélant en sus les dessous d’une certaine émigration japonaise, le récit termine quasi en thriller soft : j’ai dévoré les dernières dizaines de pages en partageant les divers combats de l’héroïne, en espérant lui voir dénicher la parade, vaincre l’adversité et toucher à bon port… privé et professionnel. Nul doute que de nombreuses personnes seront touchées par un livre qui met en scène les difficultés de l’existence et promeut la résistance tout en ayant la grâce de ne pas nous offrir une super-héroïne mais un roseau, qui plie, rassemble ses forces menues, manque de rompre mais… Philippe Remy-Wilkin, Les Belles Phrases *
Se battre, toujours se battre Après un premier roman Les mots de Russie (éd. E.M.E.), remarqué par le prix des Amis des Bibliothèques de la Ville de Bruxelles, plusieurs recueils de poésie ainsi que des pièces de théâtre et des nouvelles, Isabelle Bielecki propose un deuxième roman, Les tulipes du Japon, aux éditions M.E.O. Le roman d’une femme au parcours étonnant à travers lequel le lecteur est en droit de lire des accents autobiographiques, à partir des éléments que lui fournit la quatrième de couverture. L’éditeur, l’écrivain Gérard Adam, nous informe en effet qu’Isabelle Bielecki est née en 1947 dans la ville bavaroise de Passau, d’un père russe et d’une mère polonaise, tous deux rescapés des camps, passé familial qu’elle partage avec l’héroïne de son roman, Élisabeth. Les victimes et fantômes de l’Histoire vont hanter l’enfance et la jeunesse de la gamine, confrontée à des parents porteurs de douleurs inguérissables. En 1963, Isabelle Bielecki obtient la nationalité belge. Le livre évoque de manière émouvante le combat quotidien d’une émigrée pour s’intégrer dans la société belge, alors qu’au handicap d’être une étrangère, s’ajoute celui d’appartenir à un milieu social modeste, son père n’ayant d’autre possibilité que d’offrir ses services comme domestique à une famille uccloise nantie. Après avoir obtenu une licence en traduction, puis un diplôme de courtière en assurances, Isabelle Bielecki consacre sa carrière au monde nippon des affaires, curriculum vitae qu’elle partage à peu de choses près avec la protagoniste des Tulipes du Japon. Elle nous offre une immersion inédite, bien sentie, dans les milieux professionnels japonais implantés dans certains quartiers de la capitale européenne. Elle détaille leurs codes très particuliers, parfois cruels, leurs manies, leurs jeux de pouvoir, comme Amélie Nothomb l’avait déjà esquissé dans Stupeurs et tremblements. Surtout, ce roman met en scène le combat d’une femme pour se réaliser en dehors des contraintes que bien des hommes lui imposent : son père Victor, au nom de l’honneur russe de l’émigré, son premier mari pour qui elle demeure transparente, son deuxième mari qui privilégie son boulot même quand elle l’appelle à l’aide, ses amants, le Belge qui ne fait que passer et le Japonais, Miura, le seul qui la comble mais qui retournera au pays. Le pire viendra avec un collègue toxique, dominateur, harcelant. Une série d’humiliations qu’elle avait inaugurée avec sa mère Eva qui la rabaissait quotidiennement par des châtiments corporels, sans que le père s’interpose. Dans sa quête d’un supplément d’existence, elle trouve des témoins inattendus et bien décrits comme un lilas, un sapin, une glycine et, bien sûr, des tulipes, ainsi que sa fille Ania. Celle-ci reflète d’une certaine façon l’aboutissement de tous les combats menés par sa mère pour exister pleinement. Michel Torrekens, Le Carnet et les Instants *
Le bonheur rougeoyait en dedans. « L'amour ! La passion ! Tout en elle vibre d'espoir. » Tel est le credo d'Élisabeth, mais c’est également le cri d'une femme jetée dans un labyrinthe aux improbables issues. Un passé russe, des parents confinés dans des rôles décalés, mais déjà l'interrogation majeure : passer de l’enfance à l'âge adulte suffit-il à moduler le cours du temps ? Et puis l’envie de ne pas y répondre... Mais comment fait-on pour réserver le premier âge comme une comptine quand les épisodes de violence et d'incommunicabilité altèrent le tissu relationnel ? Pour Élisabeth, l'histoire a balbutié. Le père communiste s’est perdu dans le tissu mou d'une société belge affectée elle-même par une ambivalence identitaire (p. 24). Que dire alors de l'intrusion du Japon dans un patchwork socio-économique singulier ! Et quel Japon ! Celui qui s'inscrit à Bruxelles dans la conduite de sociétés commerciales, où l’obsession de la performance prévaut et où de petits maîtres régulent une sorte d'ordre nouveau (très différent de la conduite des affaires en Belgique). Élisabeth tente d’opposer sa résilience à une culture autoritaire et pragmatique, comme elle l'a fait pour contourner les subtilités du monde de l’entreprise à Bruxelles et d'autres, plus ésotériques encore, qui déterminent la prééminence du génome masculin au sein du couple... Incarnation de la société soixante-huitarde, Élisabeth revendique tout simplement sa liberté d'être : « Faire éclater le carcan qui l'étouffe depuis des années, cette peur d'un changement radical, un corset quelle s’est imposé en calquant son comportement sur celui des habitants, et surtout des habitantes, de son quartier, tous de petits bourgeois sagement satisfaits de leur routine. » (p. 13). On ne peut être plus clair. Et Miura, le choix d'Élisabeth, s'inscrit dans le cadre précis qu’elle s'est tracé. En quelques lignes de haute tenue, l'auteur rend compte, avec une singulière ferveur, d'une étreinte inconnue jusqu'alors et qui décline enfin sa véritable identité. Une séquence temporelle où passé et futur fondent dans un même sucre sous la langue : « Le vent, car c’est lui, qui d'autre, défait ses boutons un par un et le soleil se faufile, caresse, embrasse. C'est si doux, si bon, si étonnant qu’elle n'arrête pas de frissonner. » (p. 44). La fugue est belle et le lecteur saisit les phases de l'échange en s'efforçant d'accorder l'intense à un moment précis du récit. Comme un cri intérieur qu'il ignorait (ou se refusait), comme la découverte de l'instant dans une société plutôt familière des plans futuristes et de la durée... On relève également le prix que la figure centrale du roman attache à des « rendez-vous » qu'on aurait tort de réduire à l'adjectif « galants ». En vérité, Élisabeth vient de trouver du sens à ses jours, ravalant pour un temps la dureté d'une enfance russe et la consternante banalité de la société bourgeoise. Mais tout en sacrifiant au rituel amoureux, la jeune femme reste consciente du caractère aléatoire de son indicible félicité. Miura rentrera au Japon et elle résistera à la coulée continue des jours : « Aussi loin que remontent ses souvenirs, elle a toujours été celle qui devait tenir. » (p. 163). Mais Élisabeth restera fidèle aux accents libertaires de Simone de Beauvoir, à ceux de Marguerite Duras, et en même temps sœur de toutes les femmes étouffées dans leur sensualité ou délestées de leurs attentes... Les tulipes, quant à elles, incarnent tout à la fois douceur et beauté, mais l'emploi que l'auteur leur réserve porte des strates inattendues, bien éloignées du rôle subliminal de la fleur ! Perfection des lignes, appel permanent de la lumière, vigueur et détermination, loges sensorielles inattendues, lampe-témoin d'un bonheur éclatant... « Multicolores et finement dentelées, elles retiennent leur respiration. Le cours de leur courte vie de tulipe. » De plus, les tulipes du Japon s'humanisent et formalisent l'instant, activent la jubilation d'un segment de vie : « Les tulipes sur la table. Les tulipes qui la regardent. » (p.45). Comme Élisabeth, elles viennent de loin et tendent le col à l'immanent, au précaire : « Le matin, quand une femme de chambre a ouvert la porte, toutes les tiges se sont figées. La peur de finir à la poubelle pour s'être trop ouvertes. C'est le soleil, envahissant, qui a accéléré leur floraison. L’employée a vu le bouquet, hésité, et puis, par paresse ou pitié, les a laissées pour une journée de plus. » Douées d'une intelligence esthétique rare, les tulipes ont trouvé dans l'amour la plus juste représentation de leurs métamorphoses. La narratrice écrit comme elle vit, ramenant à elle l’ombre équivoque du père et celle, tout aussi contrastée de la mère. Miura, disparu sans laisser d'adresse, infère les lieux, le tissu relationnel, la mémoire d'Élisabeth, et les Émile, Léon, Christian, Denis, « ces hommes qui prennent tout et puis s'en vont » et qui occupent une partie du décor... » La colère initiale change de couleur mais elle ne faiblit pas : « À se demander à quoi avaient servi les deux révolutions, celle de France et celle de Russie. » (p. 218). Et puis l’écriture s'invite comme une évidence. Rendre à la guerre des cultures les didascalies qu'elle provoque, ne renoncer à rien, préserver le suc de la jouissance et de la jubilation : « Les premiers mots russes de son passé s'apprêtent à rouler sur sa langue. » (p. 238). Les « coups de boutoir de la mémoire sont trop violents »... Il est temps de faire place à la boîte noire du passé dès lors que « la bavarde trop longtemps muselée » se pousse naturellement dans l’écriture pour exister. Isabelle Bielecki tient dans un seul roman de multiples tiroirs à rangement privés, qui ouvrent un édifice profus où s'enchevêtrent des chambres de vie. Mais comme l'âge du bois est inscrit dans l'aubier, le temps d’'Isabelle Bielecki se livre en rondins virtuels, avec une fidélité aux signes du destin et aux singularités culturelles. Pas de doute ! Le livre qu’on attendait... Michel JOIRET, Le Non-Dit *
Isabelle Bielecki et le rude combat pour la liberté dans un monde de harcèlement. Élisabeth a l'âme peinte au vert des arbres, des herbes et des jar¬dins. Née d'un père d'origine russe et d'une mère polonaise, elle a grandi dans l'enfer de leurs incessan¬tes querelles, séquelles de leurs sou¬venirs de guerre et de camps de con¬centration. Fuyant ce passé traumati¬sant dont ils se vengent l'un sur l'autre, ils s'installent à Uccle – la si élégante commune belge – où, pour la honte de leur fille, ils importent leurs bruyants affrontements. Celle-ci se promet dès lors d'avoir un destin bien à elle et s'intègre résolument à son pays d'accueil dont, contraire¬ment à ses parents, elle apprend la langue. Dans la· même perspective, elle se marie à un homme doux mais de peu de désir auprès duquel elle s'ennuie très vite, en dépit de la nais¬sance d'une petite fille. Demeurant en attente du grand amour, elle le trouve auprès de Miura, son patron au bureau bruxellois d'as¬surance japonaise où elle travaille. Il est attentif, discret, sensuel, déjà ma¬rié et, chaque semaine, lui fait déposer un bouquet de tulipes sur son bu¬reau. Mais il est attaché à sa culture et part lorsqu'il est rappelé dans son pays. Ayant quitté la sécurité pour l'aven¬ture, elle se retrouve seule avec ses rê¬ves et les vibrations des voluptés qu'elle a connues mais entend résis¬ter – son verbe préféré. D'amants en mariages, de résolutions en hésita¬tions, elle se bat pour sa liberté. Ce¬pendant, les hommes ne sont pas fia¬bles et le milieu japonais des affaires où elle est demeurée ne s'impose pas à elle pour sa bienveillance et sa cour¬toisie, mais pour son mépris et son despotisme… très peu éclairé. Avec les successeurs de Miura, elle découvre le revers de la médaille et l'autre ver¬sant des rapports qu'ont les Japonais au pouvoir avec les femmes, avec l'ar¬rogance et avec la vanité, se voulant maîtres servis et adulés. Amélie Nothomb a déjà, en 1999, traité avec humour et réalisme ce même divorce culturel dans « Stu¬peur et tremblements ». Isabelle Bie¬lecki y revient, mais de manière plus foisonnante, jonglant avec les dates et la multiplicité des détails et des situations. On sent que son ro¬man où l'on se perd parfois lui est très personnel et que, si elle n'en a pas vécu tous les épisodes, elle sait de quoi elle parle pour être elle-même belge d'origine russe et polo-naise et avoir travaillé, outre l'écri¬ture, dans le monde nippon des af¬faires (qui ne mérite peut-être pas l'exclusivité de ses accusations). Si son livre est trop confus pour être toujours clair, il souligne pourtant avec force l'oppression du harcèle¬ment en un moment où il est enfin largement dénoncé et exprime combien, se battant pour faire re¬connaître sa place dans la société, on ne renie jamais tout à fait son his¬toire passée. Monique Verdussen, La Libre Belgique *
Isabelle Bielecki a l'art de subtiliser à la nature, à l'environnement, aux signes visibles d'apparences anodines, des détails symboliques qui guident le lecteur à entrer dans son histoire et dans la psychologie des personnages. En offrant au lecteur un bouquet de tulipes, pas n'importe lesquelles, « du Japon », l'auteur en 3 mots plante le décor, lieu où vibre son coeur ; lieu professionnel chèrement conquis ; lieu qui la détourne d'un passé qui la piège à tout instant. Ces fleurs posées à l'entrée du livre nous invitent à ressentir la poésie et la sensualité qui parfument les pages consacrées à la passion qu'Elisabeth éprouve pour Miura, son amant Japonais. Passion si longtemps attendue, passion qui la révèle. La couleur « rouge » des tulipes est aussi significative. Rouge comme la couleur de la robe portée par Irène, cette femme si « provocante » qui la renvoie à la colère de sa mère - Une diva ? Un monstre ? Une victime ? Tout cela à la fois ? – cette mère se refusant à l'époux tout en attirant le regard des hommes. Rouge-sang des camps de concentration comme ces « voiles de réconfort » qui habillaient sa mère et que les nazis ôtaient. Rouge comme les convictions d'un père Russe. Rouge comme les relations infernales qui unissaient les parents d'Elisabeth… Le lecteur avance dans la vie d'Elisabeth à travers 7 jours étalés comme des vagues dans le temps entre enchantement et désenchantement. Nous la suivons, la voyant « trébucher comme à chaque tour au même endroit » mais dont « la peur de tomber la redresse ». Car c'est bien de cet héroïsme-là que nous livre Isabelle Bielecki à travers ce personnage, tour à tour rompue par le départ de son amant japonais ; curieuse, bienveillante et lucide en confidente avec ses amies-collègues ; honnête et fragile dans cette relations d'amitié amoureuse avec cet ex qui veille sur elle ; énergique, acharnée et déterminée à garder – coûte que coûte - son poste chèrement acquis qu'une voix indifférente et ironique menace soudain par ces mots : « Nous vous proposons de changer de fonction » Sous les vagues qui tourmentent sa vie, Elisabeth non seulement « tient bon » sous tous les fronts pour vivre libre, digne et aimante entre les forces obscures d'un temps professionnel présent qui « oublie » l'Humanité et les drames d'hier qui rampent en filigrane préfigurant un autre tome intitulée « les mots de Russie ». Les « Tulipes du Japon » est une oeuvre à multi-tiroirs ; un peu comme la garde-robe d'où Elisabeth enfant extrayait en cachette les diverses tenues de sa mère. Comme cette étagère du fond où elle découvre « un trésor », des voiles en mousseline qui sous leurs aspects chatoyants recèlent les secrets de la tragédie familiale. Ce livre, pour moi est étonnant par sa construction et son écriture, par ce maillage complexe et très particulier qui nous « fait voir » la peur de perdre et la volonté de réussir, le regard poétique et les contraintes du quotidien, le désir de vivre et cette mémoire qui la retient comme le chant des sirènes. le lecteur navigue dans un univers qui défie les lois du temps où l'on glisse à notre insu de l'ombre à la clarté ; de l'indécision au défi ; de la joie à la solitude extrême. A travers le personnage d'Elisabeth, Isabelle Bielecki nous offre en quelque sorte l'incarnation dans le monde contemporain de la symbolique bouddhiste du lotus qui se développe dans la boue ; ou si vous préférez d'une tulipe rouge dont les racines ont été plantées dans le bois d'une garde-robe- sarcophage et qui a réussi, à force de chercher la lumière, à ôter l'odeur de moisi pour s'ouvrir et montrer sa beauté. N'est-ce pas le vrai sens du mot « courage » ? Lyh, Babelio et Jo Hannah, critiqueslibres.com *
Si les clichés ont la vie dure, Isabelle Bielecki casse les codes avec « Les tulipes du Japon ».Le livre, presque scindé en deux romans distincts, reprend le thème de l’amour sur les lieux de travail, d’une part, et le combat très hiérarchisé d’une femme déterminée vers un poste non convoité mais bien revendiqué de plein droit avec autant de difficulté que de détermination : « Déjà un nouvel appel. Un troisième en attente ! Ils lui avaient attribué tous les clients de M à P. Où était ce Q ? Pour toutes les branches d’assurance. Production et sinistres. Elisabeth n’y a rien compris. Elle avait toujours travaillé en anglais ». On retrouve le fait accompli, valable pour bon nombre d’entreprises, de placer le « cadre » dans une situation limite activant le processus de productivité, la difficulté supplémentaire étant, pour Elisabeth, de se faire à la culture et la langue japonaises sans compter un univers de compétitivité masculine se manifestant d’une façon propre et bien féminine d’une autre : « Liliane avait des comptes à régler. Les autres la regardaient en ricanant. Les hommes étaient moins durs ». L’auteur, dans cette démarche à examiner les caractères, approfondit son processus d’analyse psychologique en rappel de la propre histoire d’Elisabeth, les parents étant évoqués à maintes reprises. C’est valable également pour l’histoire d’amour vrai et très physique qui se joue avec un homme d’une culture différente aux sensibilités inattendues qui vont chez elle susciter un violent et agréable processus de jouissance. Mais la réciprocité joue-t-elle et jusqu’à quel point ? N’y a-t-il pas parfois tentation de mimétisme à vouloir se comparer ? : « La bouche collée au téléphone, la voix chaude d’Irène, entrecoupée de rires provocants, badine avec une conquête masculine à l’autre bout du fil. Y aurait-il un nouvel élu pour dégrafer cette robe ? se demande Elisabeth en poursuivant vers la kitchenette se préparer un nouveau café ». Jusqu’où y a-t-il compensation à vouloir se démarquer du milieu professionnel contraignant activant une sexualité permettant une sorte d’activité physique à l’instar d’un jogging réparateur à l’heure de table ? Sortie du contexte professionnel, Elisabeth se sert, en effet, également, de la moindre parcelle de nature pour « souffler ». L’auteur redevient alors la poète confirmée : « Elle s’élance sur le trottoir blanc de lumière. Arrivée en haut de la rue Potaerdenberg, elle poursuit sa course dans le parc, le long du gazon coupé la veille. Le parfum de l’herbe, rafraîchie par la rosée du matin, flotte encore dans l’air. Libre ! » Neurones aux aguets, Elisabeth est à l’affût de la moindre observation, notamment des couples et plus particulièrement, alors, de l’attitude de la femme par rapport à l’homme et, dans ce cas, avec une certaine prédominance assez féministe, souvent de bon aloi. La symbiose de tout ce petit monde en quête de bonheur est résumée dans le titre bien choisi où un vase à tulipes se fera objet rétinien indélébile rappelant l’instant d’un vif moment de bonheur amoureux. Fine connaisseuse de l’ambiance japonaise assez éloignée des clichés du Fuji-Yama, l’auteur nous convainc d’un Japon entreprenant, poli mais sans concession avec quelques séquences tout aussi délicieuses qu’étonnantes. Je resterai marqué par une scène assez violente où le flegme et la zen attitude sont franchement mises à mal, Elisabeth étant confrontée à la réalité de ce monde des entreprises qui reste très peu régulé du point de vue humain et où chacun, à sa manière, tente une éclipse pour rester ou encore devenir davantage libre après avoir surmonté des situations pénalisantes pour la santé, « le plus dur étant de rester normale avec ses autres interlocuteurs. Pareille à celle qu’elle a toujours été, pressée mais efficace avec ses clients, à leur image, de vrais samouraïs, impeccables de la tête aux pieds, superbement maîtres de leurs sentiments. Jusqu’à la mort. Comme à la guerre, dont la dernière contre les Russes en 1939 ». Presqu’un roman-essai au style direct, aux dialogues vrais, aux ressentis agissant directement sur la peau du lecteur, le tout dans un style impeccable que ne renie pas la poésie qui équilibre cette belle thérapie des sentiments. Patrick Devaux *
Au cœur du désastre, cueillir une joie imprenable.Comme la fleur s’oriente vers la lumière, l’humain cherche à s’épanouir même au cœur du désastre : tel est le fil conducteur de ce récit qui relate la quête acharnée de bonheur d’une jeune femme qui cherche à fuir un père aimé mais absent et une mère haïe, violente et autoritaire. Élisabeth est la fille d’un Russe et d’une Polonaise venus en Belgique pour prendre de la distance envers les horreurs vécues en temps de guerre, et qui ressentent leur immigration comme un autre fardeau. Leur fille hérite d’une double situation d’exclusion : sans vraie famille, sans vraie patrie, elle vit d’abord sa condition d’immigrée comme elle a traversé son enfance, en rusant, en se dédoublant, tiraillée entre le conformisme d’apparence attendu et sa nature affective meurtrie comme une plaie intérieure. Une proposition de mariage fait s’envoler l’héroïne vers un foyer où elle croit trouver la solution à son éternel sentiment d’intruse, mais elle doit bientôt déchanter : ni son mari, ni sa belle-famille ne lui offrent l’intimité et l’intégration à laquelle elle aspirait tant. Alors elle se réfugie dans tout ce qui peut lui procurer un peu de jouissance : la sensorialité joyeuse du monde végétal, l’éducation de sa fille qui « sera d’ici, une Belge ! », la boisson qui permet de temps à autre d’oublier, le travail qui procure une indépendance financière. Travailler dans une firme japonaise lui permet d’être une immigrée au milieu des expatriés. La situation en devient tout autre : elle n’y est jamais que l’étrangère de l’étranger. L’ambiance y est en totale retenue et discrétion, mais elle est devenue experte dans l’art de se faire transparente. Par ailleurs, elle se découvre des points communs avec la mentalité japonaise : le sens de l’honneur et celui de la parole donnée rejoignent bien l’âme slave, et Élisabeth partage aussi avec les Nippons la faculté à se contenter d’une zone de liberté dans la tête, tout le reste étant impeccablement bienséant. Elle se persuade peu à peu que « en tout Russe coule une dose de sang asiatique ». Un jour de printemps, le désir la submerge comme une sève et elle ose poser un baiser sur les lèvres de Miura, ce collègue de bureau à l’élégance si raffinée dont l’épouse est restée au Japon. Et c’est l’initiation à une sensualité tout en finesse, à l’harmonie des corps et l’intimité des âmes. Une félicité sans mélange, dont un bouquet de tulipes, témoin muet de la première étreinte, devient le symbole. Un bonheur certes fugace, car bientôt l’amant est rappelé au pays. Mais il suffit à l’extase d’avoir eu lieu pour être une joie imprenable qui rachète tous les malheurs du monde : « Ce que la chair frustrée de son père et celle profanée de sa mère ont ignoré existe bel et bien. La perfection entre un homme et une femme. Et quoi qu’il puisse encore lui arriver à l’avenir, même de pire, la découvrir en valait la peine ». Cette expérience redonne à Élisabeth l’estime de soi et la capacité de résister à l’écrasement auquel le milieu professionnel, peu à peu envahi par l’obsession du rendement, ne manque pas de la confronter. Elle lutte surtout pour conquérir un espace qui soit vraiment à elle : l’écriture. Ainsi la langue d’adoption, le français, devient-elle celle du cœur, et la langue paternelle, d’abord refoulée comme le signe d’une appartenance maudite, rejaillit finalement sur les lèvres. Ce roman occupe la place initiale dans une trilogie dont Les mots de Russie (2005) sont le second volet et le troisième tome reste à écrire. C’est, on le voit, l’histoire émouvante d’une réconciliation avec une identité dont l’héroïne comprend, à la fin, qu’elle a été le jouet de forces mauvaises. Car celui qui a souffert fait souffrir, et retourne aussi la souffrance contre lui-même, comme en témoigne le double suicide de ses parents qui n’ont pas pu retrouver leur équilibre après la guerre et qui ont légué à leur fille leur mal-être. Et celui qui a été exclu, exclut à son tour : la fille d’immigrés a d’abord voulu arracher tout ce qui était russe en elle comme de la mauvaise herbe. Jusqu’à ce que survienne, inattendu, l’accueil dans la douceur par ce Japonais, cet homme qui était « à l’est de l’est » et qui a, une fois pour toutes, fait cesser le cercle vicieux et rétabli la sérénité. Voici donc un récit qui fait du bien, car on le sent traversé par des forces positives : par la tendresse envers la désarroi de tous les immigrés et leur faculté à résister ; par un regard complice sur l’âme russe et la fierté nippone, mais aussi sur les nombreux lieux de Bruxelles explicitement nommés qui font de ce livre un clin d’œil permanent à une ville mouvante et bigarrée ; par la fascination pour beauté du vivant, qui est imprévisible ; par la joie de vivre, enfin, qui a guidé le choix de cette intrigue où les noirceurs du monde mettent par contraste en valeur la lumière, et celui des phrases alertes pour le dire. Myriam Watthee-Delmotte, Francophonie vivante *
Au-delà de l’intrigue échevelée, tumultueuse, complexe, le roman de la poète Isabelle Bielecki est avant tout un cri romanesque sinon autobiographique pour dire « je vis », « je résiste », « je suis fille de », « j’assume ma filiation », etc. On sent, à lire ce roman/récit mené avec une belle maîtrise (quelles que soient quelques préciosités chronologiques), avec en tête le personnage-moteur d’Élisabeth (presque anagramme d’Isabelle), que la narration de soi a un pouvoir insigne pour délester le réel d’un poids effroyable. Après le beau, doux, gentil Miura, pour lequel une passion offre à Elisabeth d’alléger sa profession (courtière en assurances dans une entreprise japonaise), la voilà aux affres, aux chaînes d’un Japonais atterri dans son service, mis là pour l’assujettir, pour la harceler… Elisabeth n’a pas eu un parcours facile : des parents marqués au sceau de la déportation (Victor, le père, Russe ; la mère, son « bourreau » familier, d’origine polonaise) ; le mari d’Elisabeth la comprend-il ? Reste sa fille, chérie, Ania. Au départ, Elisabeth ne souhaitait pas d’enfant. Le milieu d’affaires est oppressant : les patrons, les clients, les proches. Combien d’amitiés ravalées à cause de l’usure (Irène) ! Abe, le tortionnaire japonais, est « un sale type ». L’âge venant, la fissure se fait sentir : le corps cède à la fatigue et cette belle femme sent que le temps lui échappe. D’une écriture réaliste, précise, non exempte de poésie (il suffit de se reporter aux belles descriptions psychologiques des errements), le roman de Bielecki dénonce le sort régulier de nombre de femmes que l’Entreprise néglige, obsède ou harcèle comme la fragilité imposée dans notre société par le désir de durer et de plaire (Gaby, son ex-ennemie, ne joue-t-elle pas ces faux semblants ?). Bielecki a sûrement mis beaucoup d’elle-même (sa profession) dans ce roman qui égratigne le milieu des affaires comme celui des rencontres amicales (le personnage de Christian et de sa garçonnière) ; l’âpreté du récit reste longtemps dans l’ombre du lecteur, comme un gage d’authenticité, certes. La maturité de l’auteure donne aux « Tulipes du Japon » son poids de réalisme psychosocial. Beaucoup de lecteurs s’y reconnaîtront. Philippe Leuckx, NOS LETTRES et LES BELLES PHRASES.. |