Extrait Et
Sinigirira et Singenda prennent des chalumeaux et boivent, pendant que
Paul continue à chanter ses psaumes latins. Pourtant, par
intermittence, il se tait et sa tête tombe sur une de ses épaules,
puis, comme se souvenant d’un devoir oublié, il reprend son chant, mais
avec de moins en moins de force. Finalement, il tombe sur la natte, s’y
allonge et s’endort profondément, ronflant si fort que personne ne
pourrait se tromper sur le sérieux de son sommeil. Singenda et Sinigirira déposent les chalumeaux et demeurent cois : ils ont peur de perturber la tranquillité qui règne dans la case. Pourtant, chacun attend quelque chose de l’autre, mais aucun ne sait au juste quoi. Ils continuent d’attendre. Sinigirira pousse un soupir et bouge un peu, comme si sa position devenait inconfortable, ou comme pour rappeler sa présence à Singenda. Celui-ci, poussé aussi par un besoin impérieux de bouger et dégourdir ses jambes repliées sous lui, déplace doucement ses fondements et ce mouvement le rapproche de la femme. Elle tressaille mais ne s’éloigne pas. Elle attend toujours que quelque chose arrive, une chose qu’elle ne voudrait pour rien au monde lui voir échoir, mais qu’elle ne se sent pas le courage de chercher à éviter. Le désir qu’elle éprouve au fond d’elle-même a la force du destin. Tout son corps brûle et aspire au péché. Elle ne peut s’y tromper : tous les signes précurseurs sont en elle. L’oiseau de mauvais augure a ululé ; un malheur aux conséquences néfastes incalculables va s’abattre sur elle et les siens, elle le sait maintenant. Mais, impuissante à se défendre, elle attend qu’advienne la faute qui n’engendrera à jamais que le regret. Nouvelle Ève, elle faillira comme elle. |
Ce qu'ils en ont dit | ||