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Né en 1978 à Horezu (Roumanie),
Marius Chivu
est écrivain, traducteur, journaliste, critique littéraire,
et rédacteur en chef des revues Dilemateca et Dilema Veche.
Il a traduit les œuvres d’Oscar Wilde, Lewis Carroll et Tim Burton.


Marius Chivu


Le ventolière en plastique
Illustration de couverture :
© Dan Stanciu



La ventolière en plastique

Poésie



Traduit du roumain par Fanny Chartres

Illustrations de Dan Stanciu


112 pages
ISBN papier : 978-2-8070-0047-6
ISBN e-book PDF :
978-2-8070-0048-3
ISBN ePub : 978-2-8070-0049-0
2015 – 14,00 EUR
e-Books : 8,99 EUR




Fanny Chartres, professeur-documentaliste et traductrice installée à Bucarest, a traduit une dizaine d’œuvres du roumain en français (romans, nouvelles, poésie, théâtre, essais), pour le Mercure de France, les éditions du Chemin de fer, le Corridor bleu ou les Éditions théâtrales. Elle a également assuré le sous-titrage de nombreux films roumains primés dans les plus grands festivals (Berlin, Cannes…)

Dan Stanciu, dessinateur, graphiste et poète, né en 1952 à Lugoj, en Roumanie, et formé à l’Institut des Beaux-Arts de Bucarest, a contribué à l’illustration de nombreux livres.


e-book
8,99 EUR


Extrait

j'attends
il ne reste plus que l'attente

je tente de suspendre mes pensées
par subite lâcheté
de résister aux heures de grâce incertaine où
derrière les portes battantes
un Dieu en blouse blanche refait le monde
pour un seul être

la matinée s'est tendue comme un fil barbelé
je me traîne en moi-même
appuyé contre le brancard vide je m'assoupis
comme dans le jardin de la peur et de l'abandon

(le sommeil ne connaît pas les émotions de l'attente)

ceci est le moment où
les pensées
toutes les pensées se transforment en prières
comme l'eau en vin


Ce qu'ils en ont dit

« elle dit qu’elle est la ventolière en plastique
 me chuchote qu’elle a des robes en kiwi
des pulls en bois parfumé
un jardin de macarons
et des plages de sables parlants ».

Un poème surréaliste ? Oui, si l’on veut, mais forgé par une femme paralysée, amnésique, pour laquelle son fils aimant, aux petits soins avec elle, a écrit les beaux textes en vers livres qui composent ce recueil.
Pas de pathos, pas de lamentations grandiloquentes, mais des paroles simples, celles que le jeune homme adresse à celle qui, encore jeune elle-même, lui adresse en retour des regards, lui fait des demandes parfois étranges, lui répercute les rêves qui hantent son sommeil… Par-dessus tout, l’amour mutuel, filial et maternel, qui s’exprime jusque dans les silences, à travers les gestes banals de la vie quotidienne, les sensations physiques, les souvenirs d’enfance.
Dans une typographie expressive (les italiques, les caractères gras), tout s’exprime en collages de mots et de phrases dont le voisinage crée l’étincelle poétique – comme cela se passe en images avec les illustrations de Dan Stuciu –, et qui abordent les grandes préoccupations de l’existence humaine : le temps, la mémoire, la mort, la perte de soi et de l’autre, la religion, la musique, la famille, le rire et les pleurs, la souffrance, la nature, le cycle des saisons… Le travail littéraire (et, dans le cas présent, celui de la traduction) n’exclut pas l’émotion, au contraire. Il tend ici vers le témoignage d’un amour sans faille (« Pour lui montrer à quel point je l’aime / mes cheveux ont blanchi ») qui reconstruit, au-delà de la maladie et du chagrin, une personnalité bien vivante :
« son monde
est resté malgré tout ordonné et propre
réglé
pas un instant il n’a cessé de tendre
vers l’harmonie »

Jean-Pierre Longre, Livres Rhône Roumanie


*

La partie gauche du monde

Certains textes ne sont pas faits pour rester dans leur langue mais pour se faire lire et entendre autrement, c’est le cas de celui-ci écrit en roumain par Marius Chivu, écrivain, journaliste, rédacteur en chef de revue né à Horezu en Roumanie qui nous est parvenu par la traductrice Fanny Chartres à l’initiative de Monique Thomassettie des éditions M.E.O.
Cela raconte une histoire poignante entre une mère et son fils que seulement 21 ans séparent. La mère de 48 ans est victime d’un accident vasculaire qui la laisse à demi paralysée, la mémoire en lambeaux et dans l’incapacité de parler, de se mouvoir comme de se souvenir. La mère reviendra chez elle après un long séjour en clinique qui était devenue leur maison.
Le fils prend soin d’elle comme un amant, comme un père, avec la force du désespoir, car sauver le corps de la mère, c’est garder la trace vivante de la mémoire, c’est simplement vivre au présent ce corps qui ne sait plus rien du passé ni de la teneur des mots, comme débarrassé de « l’histoire longue et ambiguë des mots ».
C’est de la poésie narrative mais habitée et écrite avec « des associations de mots et d’images d’une grande intensité émotionnelle ».
La mère se désigne comme « la ventolière en plastique » et cela rend bien son apparence flexible, réduite à la « partie gauche du monde », traversée par tous les vents de l’instant, actionnée par ses proches comme une marionnette, fragile mais encore solide. Derrière cette existence s’inscrivant dans un « monde resté malgré tout ordonné propre réglé », se révèle celui d’une jeunesse (la mère est née en 1957) stricte, alignée sur des règles, qui ne s’autorisait pas de coquetterie, où le « luxe d’égoïsme » n’était pas de mise.
Est-ce au fond cette vie sans vie que cette femme a voulu oublier, pour laisser place nette aux mots du fils dans lequel il s’est vite réfugié pour mettre de la distance avec ce nouveau monde futile guère plus avantageux que l’ancien. Le texte n’explicite rien de tout cela mais nous permet de le penser.
Se remémorant peut-être une chanson roumaine des années 70, la mère prononce sans arrêt le mot orange et ce mot, évoquant le soleil, renferme la lumière de l’espoir. D’autres fois, c’est le mot raconte qu’elle répète des milliers de fois.
Et le fils d’écrire :
« j’ai toujours voulu
inventer un monde pour quelqu’un
mais maintenant
tout ce que je dis devient un écho
qui se retourne contre moi »
Elle rit cependant aux gros mots que son fils lui glisse à cette fin dans l’oreille.
« comme deux enfants, nous riions de mots honteux
que je lui disais les uns après les autres »
À la fin du livre, le fils qui lui téléphone maintenant de loin attend qu’elle prononce le mot orange...
Les superbes illustrations (dont celle de la couverture) de Dan Stanciu aux allures de gravures anciennes comprennent des annotations écrites non traduites faisant écho à des mots du texte comme « scrisul ma plictiseste » (écrire m’ennuie) ou même une petite photo d’une mère avec son fils, sans doute Marius et Lidia.

Éric Allard, Les Belles Lettres



*

On ne sait pas trop ce qu’une ventolière  pourrait être. Est-ce un jouet, est-ce une figurine qui se plaît au vent, qui se laisse emporter et qui s’égare?
On n’est pas dupe, « la ventolière en plastique » est une métaphore et on ouvre le recueil de poèmes de Marius Chivu bien avertis : la poésie sécrète elle-même le sens propre des mots qui manquent aux dictionnaires. La poésie est ce lieu géométrique où s’actualisent toutes les possibilités virtuelles d’une langue. Tout ce qui n’existe pas dans la poésie n’existe nulle part ailleurs.
Cette profession de foi en bandoulière met les sens en alerte douce, on se dit prêt à accueillir ce que la poésie peut faire (re)surgir en nous - en bonne et unique sage-femme. Et on tombe des nues. Le vent a-t-il été beaucoup plus fort ?
Suite à un accident vasculaire une femme de 48 ans se retrouve paralysée et amnésique.
« La ventolière en plastique » est cette maman, la mémoire en lambeaux et le corps qui s’efface, dont le fils de 26 ans prend soin. La poésie de Marius Chivu est le récit de cet amour-désespoir qui se décline en quelques aquarelles douces et terribles, où lumière et noirceur se dépassent et s’illuminent.
On est d’emblée pris à la gorge par cet instant banal où, une nuit de novembre, la mort s’assoit tout près :
« la nuit je veille sur elle/ à la lumière de mon portable/ je l’écoute clapoter de l’intérieur/ pleine des liquides doux amers de/ la vie en flacon. »
Et puis on s’installe dans la douleur de quelqu’un qui veille et on cherche la bonne distance, à mi-chemin entre la pudeur et la compassion, qui nous rendent forts : on est des êtres humains, mais à qui cela n’est pas tout à fait arrivé. Et le poète écrit sur nous :
« nous réalisons à quel point/ nous avons toujours été peu nombreux et seuls/ que l’amour suspendu et pesant/ mesure le vide béant entre nous/ et nos proches que notre malheur/ met mal à l’aise/ les faisant se cacher/ s’éloigner de nous/ jamais nous ne serons préparés/ à ce qu’il nous est arrivé/ le passé est impossible et le présent/ calme/ presque posthume ».
Le baume de la poésie adoucit le voyeurisme, le malaise d’être, avec celui qui raconte, le vent qui chamboule une « ventolière en plastique ».  Toute douleur a le droit (et le devoir, n’est-ce pas ?) de se consommer dignement à la lumière solitaire d’un portable, mais en lisant ce « mémento d’une mort reportée » nos yeux allument, dans le silence de la lecture, des bougies. Une sorte de lyrisme nu enrobe les images dénudées qui racontent la nuit du Nouvel An à l’hôpital, les gestes faits à la place d’un être à demi absent, le crâne rasé de la maman, sa tête « luisante, petite délicate comme un pamplemousse blanc ».
Comme des bribes de haïku, parsemées parfois en gras ou entre parenthèses dans le texte, on cueille ces images talisman et on avance, on apprend à mettre un pied devant l’autre dans cette matière frêle et chancelante, dans ce monde qui pue l’iode et la peur.
« (pour lui montrer à quel point je l’aime/ mes cheveux ont blanchi) ».
Les poèmes se font litanie contre l’amnésie et incantation contre le vent le plus violent qu’il soit, la perte de la patience et surtout « la redondance de la souffrance ». Une once d’humour et on se blottit définitivement contre cette tendresse exaspérée :
« comme il est dur de faire un 4 et le chapeau de î/ regarde quelles jolies formes a le 8 : il ressemble à shakira/ non, cette tranche n’est pas le pain de Dieu/ arrête  de me dire monsieur/ allez répète avec moi :/ bonjour je m’appelle Lidia tu es mon fils Marius ».
Quelques poignées de vers suffisent afin de ramasser avec maestria les miettes de vie restantes, à sauver à tout prix. Qui sauve qui ? En prenant soin de sa maman - devenue l’être le plus étranger au monde -, le fils se refait en tant que fils et en tant qu’homme. Finalement c’est de sa seconde naissance à lui dont il prend soin :
« je suis la mère en elle, elle est la petite fille en moi/ Nous sommes les mêmes. »
Une filiation radicale rend légitime le premier verbe poétique de Marius Chivu : elle s’est presque tue et lui, il a su écrire. Ecrivain, traducteur d’Oscar Wilde ou de Lewis Carroll, chroniqueur littéraire pour la revue Dilema Veche, Marius Chivu reçoit plusieurs prix littéraires pour ce premier recueil de poésie, paru en 2012. Traduit du roumain par Fanny Chartres dans une langue française qui mélange douceur et transparence, le recueil est aussi beau en soi : les éditions M.E.O. ont couché les poèmes sur du vélin et les ont fait miroiter dans quelques gravures troublantes, signées par Dan Stanciu.
La traductrice n’a pas hésité une seconde à inventer de toute pièce le mot du titre, étrange et poétique. « Ce chant d’amour dédié à une mère m’a profondément émue
, nous confie Fanny Chartres. Le poète a réussi avec beaucoup de sensibilité à dépeindre, à personnifier, à dramatiser la vie et la relation entre une mère malade et son fils. Mais il n’y a ni pathos, ni mélodrame, juste de la lucidité sans ambages et de l’amour. »
Puisque « La ventolière en plastique » est le livre d’un grand amoureux, le vent du désespoir ne souffle à aucun moment. Ce n’est pas dans les dictionnaires qu’il faut chercher les mots qui lui font face. Devant le peu de la vie et devant l’inconnu, c’est la poésie qui invente l’impossible, une fois de plus.

Cristina Hermeziu, Actualité




Marius Chivu relate dans un très long poème l’hospitalisation et la mort de sa mère, âgée seulement de 48 ans,  La ventolière en plastique. Le livre est magistral pour plusieurs raisons. L’écriture, sans cesse à l’affût des progrès de la maladie et des mille et une activités de l’institut, donne une matérialité extraordinaire aux faits et aux sentiments. Les relations intimes, uniques, bouleversantes entre une mère et son fils Marius de 27 ans, prennent le temps de s’installer au milieu des canules, des injections, entre monde du dehors et l’intime espace de l’hôpital livré à ses affaires courantes. La maladie assigne à la malade la répétition douloureuse de simples mots, le contact terriblement contraint avec le proche. L’auteur  touche là  au plus difficile à rendre quand la mort s’empare de nos ressources et les altère.
son corps s’est tellement replié
qu’elle pourrait dormir sur deux oreillers
disposés l’un à côté de l’autre (p.56)
Peu de livres vraiment disent avec autant de justesse la douleur de la séparation et les affres de l’attente. Peu de livres relatent avec autant de doigté et de délicatesse, sans tomber dans les rets faciles du sentimentalisme accrocheur.
Et surprise aussi dans un récit de la gravité : les pointes d’un humour tout aussi délicat qui transforme parfois les observateurs de la malade en marionnettistes « du couloir ».
Un beau livre, poignant, tendu et partageable.


Philippe Leuckx, Bleu d'Encre

*

Ce long poème est un chant d'amour bouleversant d'un fils à sa mère paralysée et amnésique. Pourtant pas de lyrisme, pas d'effusion dans cette écriture sobre et prosaïque qui parle de la maladie, des soins apportés, des choses quotidiennes et essentielles mais qui plonge au cœur le plus profond de l'humaine condition. Marius Chivu, poète roumain, révèle ici un talent rare et sans fard. une manière d'appréhender l'écriture avec humilité et ferveur en usant d'un langage concis, magnifié par un sentiment jamais exprimé mais qui perle à chaque mot.
La traduction de Fanny Chartres est remarquable par sa rigueur et sa clarté. Dans les illustrations
surréalistes de Dan Stanciu, le décalage avec le texte apporte un élément insolite et captivant.

Maurice CURY, Les Cahiers du Sens (à paraître)


*

Il s’agit d’un long thrène composé de longs poèmes libres, déploration ou narration à bâtons rompus sur la lente et inexorable maladie de sa mère que l’auteur suit avec affection et dévouement en évoquant quelques joyeux épisodes de son enfance et en s’attardant sur les manifestations douloureuses de la dégradation des corps et de la mémoire, ponctuées en quelque sorte par la présence des perfusions, « les doigts recroquevillés/ le poignet attaché pour la nuit/ sanglé/ la bouche tordue/ les paupières hermétiques... »
Poème d’amour fou : « aujourd’hui vraiment elle ouvre les yeux/ et garde les paupières levées/ (lorsqu’elle dort elle est belle et entière) »... qui rédime la souffrance, la douleur et la laideur de la longue maladie. Le poète n’insiste pas sur l’effet salvateur de l’écriture qui supplée au dialogue disparu mais nous fait partager la longue attente redoutée et souhaitée de la fin.


Michèle Duclos, Temporel




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