Extrait Ils
courent,
ils courent les studistes?! Le matin, entraînement et
exercices imaginés et développés par Soulerjitski,
Vakhtangov et ceux
qui veulent apporter leur pierre à l’édifice pédagogique.
À midi, tous
courent au Théâtre, à quelques centaines de mètres, pour
les
improvisations. Ils sautent souvent le déjeuner pour les
répétitions
des spectacles dans lesquels ils font de la figuration ou
jouent de
petits rôles. Et, le soir, ils participent ou assistent
aux
représentations. Mais ce qu’ils aiment par-dessus tout,
c’est revenir
dans «?leur fantastique maison?», la «?maison de Souler?»,
au chaud,
entre eux. Alors, dès le spectacle achevé, souvent sans
avoir fini de
se démaquiller, ils enfilent un manteau par-dessus la tête
et quittent
la rue Kamergerski, où se trouve le Théâtre d’Art pour
courir vers la
rue Tverskaïa, fantômes de la nuit portés par leurs capes
gonflées au
vent d’hiver, sous les yeux ébahis des spectateurs qui
sortent du
Théâtre : «?Ce sont des fous?!?» entend-on sur leur
passage. Un jour,
un vieil homme lève les bras au ciel en leur demandant :
«?Mais par le
diable, où courez-vous??!?» Et Evgueni Vakhtangov de
répondre en
haletant : «?Je cours, je cours, vieux, où le diable me
porte?!?» Ils
s’engouffrent au studio, bouclent la lourde porte,
soufflent. Lida
Deikoun a déjà préparé les butterbrod, canapés, avec du
beurre, des
œufs durs coupés en lamelles, des tranches de jambon ou de
saucisse et
des cornichons. Ils sirotent le thé brûlant en les
avalant. Souler
arrive, toujours gentiment râleur, à cause du retard, ou
de telle
petite chose qui lui déplaît. Et on se remet au travail,
avec une
énergie retrouvée, une confiance aveugle envers leur
maître et guide.
Souler s’assoit sur une chaise, une jambe repliée sous lui
et, après
quelques minutes, met le feu à leur imagination par des
idées, des
propositions d’exercices drôles ou sérieux, un
foisonnement de couleurs
et d’impulsions. Inépuisable, inénarrable. Eux se jettent
dans le
travail, oubliant le temps et le monde, s’efforçant de
tenir à distance
tout ce qui ne serait pas théâtre, avec cette foi brûlante
en leur
maître, dont ils sont convaincus qu’il les conduira, au
travers de
dédales encore mystérieux, vers de grandes découvertes.
Ils sont
gonflés d’orgueil et de passion, infatigables et patients,
ivres
d’audace comme les aventuriers d’un monde nouveau. Chaque
jour est un
nouveau défi et un nouveau passage initiatique.
Stanislavski les a
choisis et leur a fait confiance pour assurer la relève du
Théâtre
d’Art. Alors, quoi qu’il en coûte pour leur santé, il faut
se montrer
digne de cette confiance.
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Ce qu'ils en ont dit *
Il
est en Belgique francophone un éditeur dont l'engagement
est à la
mesure des prises de risque auxquelles il n'hésite pas à
se confronter:
Gérard Adam est décidément de l'envergure de ceux-là qui,
face à
l'importance littéraire ou testimoniale d'un manuscrit ,
n'hésitent pas
à en lancer la publication. La priorité, pour eux, est de
rendre
accessible ces ouvrages qui, par leur ambition, leur
ampleur, leur
sujet ne trouvent pas leur place dans une édition bridée
par les
(supposées) estimations de viabilité économique.Il suffit de parcourir "FENIA", que l'éditeur vient de nous faire parvenir, et dont il nous a déjà avec enthousiasme raconté le parcours éditorial - menant à un volume de près de 1000 pages - pour se rendre compte de la nécessité de disposer d'un tel témoignage pour tous ceux qui seront curieux de suivre Lev Bogdan dans cette exploration d'un parcours hors norme à travers le siècle, le théâtre, donc le monde d'aujourd'hui pour paraphraser Zweig. Ce livre mérite d'emblée de trouver sa place dans les bibliothèques de l'honnête homme, de tous ceux que le théâtre intéresse, qui l'enseignent, qui l'étudient ou qui le fréquentent. Edmond Morrel, LIVRaisons (http://espacelivresedmondmorrel.blogspot.be) *
Interview
dans la revue "La Terrasse"http://www.journal-laterrasse.fr/fenia-ou-lacteur-errant-dans-un-siecle-egare/ Homme de théâtre accompli qui dirigea des structures et festivals emblématiques en France et en Allemagne, très actif dans le domaine de l’enseignement de l’art de l’acteur, Lew Bogdan publie une saga captivante et remarquablement documentée, un roman-récit éclairant à la fois l’histoire du théâtre et celle d’un siècle tragique. D’Odessa à Broadway et Hollywood, de Constantin Stanislavski à Stella Adler, le voyage nous embarque dans une aventure palpitante tissée de multiples filiations. A lire absolument ! Qu’est-ce qui a motivé votre désir d’écrire une telle saga ? Lew Bogdan : J’ai voulu remonter les fils d’une histoire foisonnante qui traverse le XXe siècle et plusieurs continents. Une histoire qui tisse de fascinantes filiations, et éclaire l’importance fondatrice du Théâtre d’Art russe. Je me souviens qu’à la fin des années 1970, j’avais réussi à faire venir Lee Strasberg et plusieurs de ses collaborateurs en Allemagne, lorsque je dirigeais le Théâtre de Bochum. Ce fut un événement national qui attira des centaines de comédiens. C’est Strasberg lui-même qui m’a dit que si je voulais comprendre son enseignement, je devais m’intéresser à Stanivlaski. Comme le remarquait Bernard Dort, Stanislavski a été en effet enterré sous son mythe. J’ai donc suivi le conseil de Strasberg. Puis, en 1988, j’ai co-dirigé au Centre Georges Pompidou un symposium international, Le siècle Stanislavski, qui a donné lieu à diverses publications, dont Stanislavski. Roman théâtral du siècle (Editions L’Entre-Temps), que j’ai publié l’année suivante, et à un film produit pour ARTE. Et j’ai organisé pendant une dizaine d’années au sein de l’Institut Européen de l’Acteur, que j’ai fondé, des séminaires avec de grands maîtres russes et américains, auxquels participaient des comédiens de toute l’Europe. C’est un ami qui m’a suggéré de raconter l’ensemble de l’histoire : la saga russe et la saga américaine. Ce fut l’étincelle qui me mit au travail… « Le théâtre est un sismographe relié au temps présent. » Comment avez-vous procédé ? LB. : J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ce livre, qui fait suite à quatre ans de préparation. J’ai conçu une perspective chronologique et réalisé un vaste collage qui rend compte de l’ensemble du puzzle et raconte une multiplicité d’histoires. Au fil du temps, j’ai accumulé une documentation très importante, 95% de ce qui est mentionné dans le roman est vrai. Le personnage de Fenia Koralnik traverse toute la saga. Fillette, elle se trouva mêlée à l’émigration de la secte des Doukhobors au Canada en 1899, financée par Lev Tolstoï et organisée par Léopold Soulerjitski, puis fit partie du Premier Studio fondé par Stanislavski et Dantchenko, à la recherche de formes théâtrales nouvelles et d’un acteur nouveau. Quelle a été votre ambition en écrivant cette épopée ? LB. : J’ai voulu montrer à quel point la vie des acteurs et la vie du théâtre sont en osmose avec leur environnement. Le théâtre est un sismographe relié au temps présent. Il n’y a pas de génération spontanée au théâtre. On ne peut pas comprendre le théâtre russe si on ne connaît pas la tourmente de son histoire – la Révolution de 1905, celle d’Octobre, le léninisme, le stalinisme, les guerres… -, ni le théâtre musical de Broadway si on ne connaît pas l’histoire du théâtre yiddish, dont une figure, Jacob Adler, le Grand Aigle du théâtre yiddish, émigra aux États-Unis pour fuir les pogroms. De nombreux artistes et pédagogues russes poursuivirent et firent évoluer en Amérique leur art et leur enseignement dédiés à l’acteur. Ce que j’ai voulu montrer aussi, c’est que les recherches esthétiques sont toujours complexes, nées de révoltes contre le monde ancien et aussi d’une reconstruction de ferments du passé, d’une synthèse de divers éléments qu’il est vraiment passionnant de décrypter. Propos recueillis par Agnès Santi *
Interview
dans lva-infor.frhttps://www.va-infos.fr/2018/02/27/lew-bogdan-theatre-passionnement/ De passage à Valenciennes Lew Bogdan, ancien directeur de la scène nationale pendant 10 ans, revient sur la sortie de son nouveau livre. Son regard sur le monde artistique est empreint d’histoire. Dans son 1er roman, son héroïne traverse la naissance des enseignements contemporains du théâtre. Entretien avec un passionné du talent artistique quel qu’il soit, où qu’il soit ! Directeur du Phénix de 1999 à 2009, Lew Bogdan a fait un passage remarqué par l’Athènes du Nord venant conclure une carrière éclectique à plus d’un titre. Ce natif de Carmaux, dans le Tarn, a étudié le théâtre, la sociologie et l’ethnologie à Paris, tout en étant élève de l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, et en étudiant le piano, le violon… ! Après une étape riche en Afrique, il prend la direction du Festival Mondial du Théâtre de Nancy, fondé par Jack Lang pendant 10 ans où il a parcouru le monde pour trouver des talents méconnus, inconnus, improbables. Un parcours où il a eu également des responsabilités majeures comme la direction artistique du Schauspielhaus de Bochum, mais également comme Intendant général des Théâtres de Nuremberg « où je dirigeais 800 personnes avec 4 plateaux, on faisait les 3X8, le théâtre ne s’arrêtait jamais. A 30 ans, j’étais le plus jeune directeur d’un théâtre en Allemagne ». Enfin sur Valenciennes où il a laissé une empreinte indélébile dans la conduite artistique de cette scène nationale. Aujourd’hui, Lew Bogdan vit à Berlin dont il ne se lasse pas de parler. « C’est un peu le New-York des années 70-80. Compte tenu de son histoire, Berlin a un formidable désir de liberté, un esprit de résistance dans une ville cosmopolite, un lieu artistique différent de Paris faisant plus de place à la création, aux auteurs, aux jeunes talents », explique-t-il. Fenia n’est pas son 1er ouvrage. Dans les années 80, il a écrit la saga d’Airbus « L’épopée du ciel clair de Lindberg à Airbus » (édité en 1991) « comme une saga européenne. Ensuite, mon deuxième livre concernait “Stanislavski – le roman théâtral du siècle”, un 3ème tiré du vécu du Festival mondial du Théâtre », et enfin son premier roman dont le personnage Fenia parcourt une vérité historique. Toutefois, une tranche de vie est à mettre en exergue avant d’évoquer son 1er roman. Lew Bogdan a initié et codirigé en 1988 le Symposium international « Le Siècle Stanislavski » au Centre Georges Pompidou. Cette manifestation a rassemblé pour la 1ère fois les adeptes de la méthode d’interprétation théâtrale de Lee Strasberg, américain, consommé au célèbre Actor’s Studio, et celle de Constantin Sergueïevitch Stanislavski, homme de théâtre russe. « C’est la première fois que les courants de pensée, américain et russe, se rencontraient. Paris fut l’objet d’une grande réunion de famille, l’occasion de renouer les liens de la mémoire », souligne Lew Bogdan. Faut-il le rappeler, l’Allemagne nazie a poussé des artistes, intellectuels, acteurs etc. vers les États-Unis. Quant à la guerre froide, elle a clivé deux blocs « où un intellectuel parti de l’URSS ne pouvait même pas être cité dans un propos en Russie. La culture juive a été éradiquée par les Nazis avec la complicité de certains peuples européens. Cette période a amputé la culture européenne. Le départ de ces artistes fut une véritable saignée intellectuelle », souligne Lew Bogdan. Lew Bogdan : « Ce roman est un hymne aux acteurs de théâtre et de cinéma » Aujourd’hui, son 4ème livre vient de sortir officiellement le week-end dernier au Salon du Livre de Bruxelles. Dès la fin du XIXème, l’exil de nombreux artistes russes vers les États-Unis va bouleverser les codes et surtout mettre sur les rails au XXème le théâtre de Broadway et le non moins célèbre Actor’s Studio, la naissance d’un art théâtral nouveau. « Cet ouvrage est un assemblage de faits réels. Fénia Koralnik parcourt des vérités historiques avec une liberté fictionnelle », explique l’auteur. Elle rencontre d’Odessa à Broadway en passant par Hollywood des figures du théâtre et du cinéma, des légendes telles que Jacob Adler, Maxime Gorki, Louis Jouvet, Max Reinhardt, Lee Strasberg, Bobby Lewis, Elia Kazan, Yul Brynner, Marlon Brando, Marilyn Monroe… ! Lew Bogdan résume son premier roman, cet incroyable éventail d’artistes : « Le théâtre raconte le monde. C’est un hymne aux acteurs de théâtre et de cinéma ». Ecrivain fécond, Lew Bogdan ne compte pas s’arrêter sur ce chemin de l’écriture. « Je voudrais écrire un livre sur les métiers du théâtre. Tous les décorateurs, techniciens etc. sont des artistes également ». Pour conclure, l’auteur souhaite remercier son éditeur belge, M.E.O éditions à Bruxelles : « Gérard Adam est un mec assez fou, un type exceptionnel avec lequel j’ai réalisé un travail important pour sortir ce roman ». Daniel Carlier, va-infos.fr *
L’histoire
des
pogroms n’est pas récente et réveille en nous les heures
les plus
sombres de notre humanité. Dans la Russie ultra-orthodoxe
du XIXe
siècle, l’antisémitisme est monnaie courante et un nombre
croissant de
juifs décide de s’expatrier en Angleterre ou aux
Etats-Unis. Parmi ces
migrants, le grand Jacob Adler qui a fondé le fameux
Théâtre de
Broadway, Constantin Stanislawski et Vladimir Nemirovitch
qui ont
révolutionné le monde de la scène, ainsi que la jeune
Fenia (future
Koralnik) qui a fini adoptée par l’infirmière du cargo qui
l’a vue
quitter l’Europe. A travers le regard de cette gamine, Lew
Bodgan
retrace tout un pan de l’histoire du XXe siècle, en
racontant l’ère
pré-soviétique, la première guerre mondiale, la Révolution
d’Octobre et
les efforts consentis par des familles qui ont été amenées
à tirer un
trait sur leur passé pour vivre ailleurs. Au fil des
pages, les noms
célèbres s’égrènent : Max Reinhardt, Lee Strasberg, Louis
Jouvet, Bobby
Lewis, Lev Theremin, Elia Kazan, Yul Brynner, etc.
D’Odessa à
Hollywood, l’auteur nous convie à un voyage dans le temps
et réveille
en chaque lecteur des souvenirs lus, entendus ou
découverts parfois
totalement par hasard. En évitant la chronique froide, il
insuffle à
son récit une verve épique sans chute de rythme et dont
les forces
principales résident dans la justesse des descriptions et
la volonté de
ne jamais travestir la réalité. Mieux, il entraîne chacun
dans un
tourbillon qui le tire de la nuit noire. L’émotion est
naturellement
palpable et la beauté de l’écriture encourage celui qui
s’est procuré
cette épaisse brique à poursuivre la lecture jusqu’à la
dernière page.Sam Mas, Bruxelles Culture. *
Europe
dans le miroir du théâtreFenia, ou l’Acteur Errant dans un siècle égaré L’Europe
n’a cessé de se réinventer entre les champs de bataille,
le théâtre, la littérature, les arts et les… bûchers.
Les 19e et 20e siècles ont été majeurs dans l’invention de la mise en scène, de la scénographie, du jeu de l’acteur. Les minorités et les régimes les plus dictatoriaux se sont servis abondamment de l’art théâtral pour libérer ou contraindre. La représentation est devenue l’art suprême de la propagande ou de la vérité ! Le théâtre a été le prisme foudroyant d’un siècle tragique en quête de liberté. Et le cinéma est né alors (1895) relayant l’art du théâtre et le poussant au-delà des anciennes figurations : de nouveaux codes naissaient, une conscience de plus en plus fine du temps représenté et du temps vécu a vu le jour. C’est cette fabuleuse histoire d’un art confronté aux moments les plus trafiques de notre histoire moderne que Lew Bogdan nous fait traverser au fil de près de mille pages du roman-récit de Fenia, l’ »Acteur Errant dans un siècle égaré ». Armand Gatti avait nommé son aventure théâtrale, « La parole errante », il en avait publié l’histoire en 1999 un épais volume et cet homme de théâtre de tous les fronts rappelait que dans l’errance réside le fondement du théâtre. Lew Bogdan creuse, dans une forme épique, cette fatalité de l’errance européenne du 20ème siècle, cette tragédie de l’errance aux millions de morts en y inscrivant la vertigineuse histoire d’un art qui s’inscrit le plus souvent sur cette « autre scène « dont nous parle la psychanalyse, le religieux, le poétique et le politique. Homme de théâtre, de culture et de direction d’Institutions prestigieuses (entre autres, le Festival Mondial du théâtre créée par Jack Lang…), Lew Bogdan nous livre une terrible odyssée, celle des artistes et intellectuels de la fin du 19èm et du 20ème siècle dans la poursuite d’une infinie recherche : « Comment représenter l’homme au cœur de l’Histoire ? » Jean-Michel Palmier a publié une oeuvre immense à propos de ces errances artistiques, intellectuelles et politiques. La conscience d’une Mitteleuropa qui deviendra le centre névralgique de toute aventure intellectuelle et artistique appartient alors à chacune et chacun, engagés dans la résistance aux implosions du Mal (nazisme, communisme, fascisme,..). Lew Bogdan nous relie à une passionnante mine de références, d’histoires, d’anecdotes, de situations rocambolesques parfois dans cette errance européenne et souvent son émigration aux États-Unis dans la grande dispersion des peuples résultant des chocs apocalyptique des dictatures. C’est ainsi, et c’est un exemple parmi mille, que Stanislavski, metteur en scène de tant de poètes et principalement de Tchékhov, verra sa méthode de « construction du personnage » donner naissance au célèbre Actor’s Studio d’Hollywood. Toute l’histoire du théâtre russe, juif, allemand… se déplie dans le spectaculaire et captivant roman-récit de Lew Bogdan. Il y a des œuvres qui marquent l’histoire d’un art, celle-ci sera sans nulle doute, une référence qui fera date et que les jeunes générations devront découvrir pour se relier aux fragments d’une errance de près de deux mille cinq cents ans, celle du théâtre. Le théâtre et … ses perverses et magiques capacités de dévoration de la fable tragique de l’homme afin de (re)donner naissance à chaque époque à un art nouveau : celui d’un humain face à un autre humain qui le regarde jouer et voit en lui…tout autre chose. PS : Si cette œuvre existe aujourd’hui, c’est grâce au travail exceptionnel de son éditeur, Gérard Adam (MEO Editions), indépendant et libre. Daniel Simon, http://je-suis-un-lieu-commun-journal-de-daniel-simon.com *
On
reste
en Russie, ou plutôt on en repart, avec le roman/récit
Fenia,
sous-titré « Ou l’acteur errant dans un siècle égaré ».
Qui affiche un
titre magnifique… à confirmer !Un roman ? On connaît la propension de l’éditeur Gérard Adam à retenir des projets hors étiquettes (cf les romanouvelles d’Evelyne Wilwerth, la fausse étude historique More de Daniel Charneux, etc.) mais il bat ici tous ses records. Je m’extasiais il y a peu sur l’audace d’un Christian Lutz/Samsa Editions publiant les 500 pages du (faux) roman de Maxime Benoît-Jeannin. Témérité pulvérisée ici ! Près de 1000 pages ! Qui tiennent plus du récit que du roman. De quoi s’agit-il ? On commence avec les heurs et malheurs d’une communauté pour le moins méconnue, les Doukhobors, dont l’Histoire « se perd dans les brumes du Moyen-Âge », secte (horrible mot, dénaturé quand il s’applique à des bienveillants) judéo-chrétienne ne reconnaissant pas la nature divine du Christ, pacifiste, végétarienne, influencée par la philosophie indienne, etc. On est à la fin du XIXe siècle, un tsar réformiste meurt assassiné et le sort des minorités bascule, débute une ère de pogroms, atroce, qui préfigure tant et tant l’apocalypse nazie. La focalisation glisse sur un groupe de personnages qui vont faire émerger le théâtre yiddish, se faufiler à travers les dérives incendiaires de l’Histoire pour, d’émigration/refuge en réinvention/adaptation ensemencer l’Europe puis le nouveau Monde, imposer un art nouveau du jeu, des planches aux écrans, qui donnera un jour, entre autres, l’Actor’s Studio mythique, soit le laboratoire d’où sont issus les James Dean, Marlon Brando, Marilyn Monroe, Elia Kazan, Paul Newman, Robert De Niro, etc. Le fond du livre est prodigieux et on comprend la tentation de Gérard Adam de mettre à la disposition des lecteurs une telle somme, racontée par un témoin et acteur de l’épopée. On applaudira en sus son extraordinaire travail au service du livre. Quand il s’agissait d’éclaircir à coups de machette un livre aux allures de forêt amazonienne. Mais. À l’impossible nul n’est tenu. J’ai beau être moi-même assimilé à un expert ès récits polyphoniques, opéresques, amples, complexes, je me trouve ici débordé, submergé. Amoureux de l’Histoire, je plonge avec avidité. Amoureux des histoires (savamment construites pour happer et retenir l’attention), je suis frustré et perplexe. Mon reproche principal ? On ne vit pas les évènements extraordinaires, passionnants, bouleversants qui sont évoqués, ils sont restitués. Le recul est trop conséquent. Des Juifs, des Russes, des cinéphiles, des théâtromanes ou de purs historiens seront captivés par la matière, mais le lecteur moyen se trouvera embourbé par l’excès de détails, de noms, de digressions. Les pages 31 à 33 offrent une mise en abyme des forces et faiblesses du livre. En une page et demie, on voit apparaître et présenter… quatorze personnages : « les docteurs Nicolaï Zebarev et Andreï Bakounine (…) deux infirmières, Maria Satz et Halina Koralnik (…) », etc. Mais on découvre parallèlement la genèse du théâtre yiddish, « né dans les caves à vin de Roumanie, de Galicie et du Sud de la Russie où l’on se plaisait à chanter des balades populaires que l’on mimait à la manière de la Commedia dell’arte ». Le feu s’éteint, se rallume. Yoyo. La lecture s’assimile selon moi à une traversée océane, on y croise des trésors d’informations de la meilleure eau (sic !) et on succombe un moment à l’envoûtement, on subit un effroyable tangage à d’autres, le mal de mer terrasse. Bref, à déconseiller aux apôtres du cabotage littéraire et à proposer aux adeptes du Grand Large ! Je vais quant à moi poursuivre la lecture à mon rythme, pour son fond (abyssal), mais préfère en parler déjà car j’aurai terminé… dans plusieurs mois. Et tant pis si mes conclusions sont modifiées dans 100 ou 500 pages. Philippe Remy-Wilkin, Les Belles Phrases *
Un livre que l’on aurait du mal à étiqueter, à ranger dans une catégorie quelconque. Il tient un peu du roman, de ces énormes romans que l’on écrivait autrefois, roman-fleuve par l’ampleur des couches sociales qui étaient décrites, un peu comme dans Tolstoï, ou, plus près de chez nous, Romain Rolland, Les Hommes de bonne volonté de Jules Romains, les Pasquier de Duhamel. Mais c’est aussi transgénérationnel, les enfants, les petits-enfants apparaissent tour à tour, au fil des pages. Et puis, tous ces personnages, ils sont là en chair et en os, ce ne sont pas des personnages de papier. Et ce, sur une période qui va pratiquement de 1905 au années1960-1970. C’est donc un livre d’histoire?? Si vous voulez. Mais… car il y a beaucoup de mais, cette histoire n’est pas construite comme une pyramide dont la pointe avancée se situerait en nos pays d’Occident. Avez-vous vu, déjà, les cartes de géographie dont usent, à l’école, les petits Australiens?? Leur pays se trouve tout en haut de la carte, et cul par-dessus tête. Dieu bénisse nos petits-enfants, qui confondent déjà l’histoire et la géographie?! Quel bonheur, n’est-ce pas, que de ne pas être Australien?! Mais, pour les personnages de ce livre, de 1905 à 1950, la pointe de la pyramide se trouvait quelque part du côté de Bakou, et la base, aux États-Unis. C’est de là qu’est partie cette diaspora, et c’est au départ de la Russie que la carte de l’Europe a été bouleversée. Mais nous ne faisons pas seulement un cours de géographie : ce qui intéresse l’auteur, et nous par la même occasion – car ce gros livre, je nous l’assure, n’a rien d’ennuyeux – c’est le théâtre, et puis le cinéma, frères jumeaux ou ennemis. Tout comme pour la linguistique, la stylistique, beaucoup de noms qui comptent, qui ont révolutionné l’histoire de nos langues ont des consonances slaves : Propp, Stanislavski, Bakhtine, les formalistes russes, Todorov… L’auteur n’est pas tendre envers les aristocrates russes, dont le déclin et la chute, après la défaite contre le Japon, en 1905, annonçait la débâcle de 1915. Cette défaite allait entraîner de nombreux pogroms, et le départ de nombreux réfugiés pour les États-Unis. Parmi eux, Jacob Adler partira d’Odessa?; le régime tsariste, en effet, y avait interdit le théâtre yiddish. Les Juifs étaient nombreux déjà à New York. La tradition du théâtre juif y sera poursuivie, brillamment, et rayonnera même jusqu’en Amérique du Sud. Sur le même bateau qui les emportait, il y avait une fillette perdue, Fenia, qui fut recueillie par l’infirmière du bord. Elle n’était pas la seule, à l’époque, le sort des femmes et des enfants n’avait rien d’enviable. Après une escale en Angleterre, le bateau allait enfin atteindre New York. Pendant ce temps, en Russie encore, Constantin Stanislavski allait fonder le Théâtre d’Art. Fenia Koralnik fera partie de la troupe, qui allait, elle aussi, essaimer, s’enrichir, se modifier. Aux États-Unis, ce sera notamment le Group Theater et l’Actor’s Studio. De grands acteurs, Jacob Adler et sa fille Stella, Richard Boleslavski, Michaël Tchekhov, le neveu d’Anton, Maria Ouspenskaïa. Au départ de l’expérience de Stanislavski, c’est l’essence même du théâtre, sa signification, les diverses façons de le vivre qui seront ici amplement décrites et développées. Des idées qui ont révolutionné le théâtre, et qui inspirent encore bien des jeunes metteurs en scène d’aujourd’hui. Parmi les points dominants : le retour au texte, l’acteur doit «?entrer?» bien plus que superficiellement dans son rôle. La troupe commence par lire très attentivement le texte, chacun se coulant dans son personnage, rêvant, marchant, dormant avec lui, jusqu’à y perdre sa propre personnalité. Importance de la gestuelle, des exercices de concentration et de gymnastique permettant avant l’entrée en scène, la récupération du naturel des mouvements, le rejet de la raideur corporelle. Tout cela nous est exposé de façon très naturelle, et l’échange avec le partenaire doit en devenir lui aussi bien plus riche, échange de paroles humaines bien plus que de simples répliques mémorisées. L’influence d’Isadora Duncan et de ses danseuses jouera un grand rôle dans tout ce bouillonnement créateur : on est bien loin des actrices d’autrefois dont la moindre parcelle de chair devait être dérobée aux yeux du public. Oui, toutes ces techniques, exposées dans le plus grand détail, sont loin de former la partie la moins intéressante du livre. Une période bouleversée, chamboulée : des hussards polonais – l’armée russe en comptait plus d’un régiment – passeront à la Pologne quand celle-ci sera devenue indépendante. Certains, devenus prisonniers, s’évaderont, et courront l’Europe, Berlin, Paris, Londres, avant d’aboutir à New York. Plusieurs d’entre eux appartenaient au monde du théâtre… L’aventure se poursuivra très longtemps à New York, puis sur la côte ouest, avec de grands noms de metteurs en scène et d’acteurs, pour qui l’enseignement de Stanislavski n’avait rien perdu de son actualité. Et c’est la grande aventure qui continue, avec de nouveaux avatars, des noms nouveaux, Yul Brynner, Elia Kazan, jusqu’à Marlon Brando, Marylin Monroe, James Dean. Le passage du théâtre au cinéma (certains restant fidèles aux deux), puis du muet au parlant, se fera tant bien que mal, le personnel restant à peu près le même, tant du côté des réalisateurs que des acteurs. Symboliquement, l’auteur commence son livre par l’embarquement d’un groupe de Doukhobors, une secte religieuse opposée à la violence, à la propriété privée aussi, et, pour les extrémistes du groupe, pratiquant la nudité intégrale. Ils apparaîtront dans diverses phases du récit, finissant par devenir très prospères dans l’Ouest du Canada. Mais l’aventure finira mal, par des luttes internes allant jusqu’aux attentats, et l’emprisonnement par la police canadienne. C’était loin d’être le paradis sur terre, comme on a voulu le faire croire. Je vous l’ai dit, un récit passionnant de bout en bout, et qui nous amène à revoir l’histoire de notre monde sous un angle différent. Mais le véritable mondialisme, n’est-ce pas celui-là : l’alternance de la misère et du succès, et pour beaucoup, la misère, la misère, et encore la misère, qu’elle soit physique ou morale. Nous croyons assister au spectacle, mais n’est-ce pas le spectacle qui nous regarde?? Lew Bogdan a dirigé le Festival Mondial du Théâtre fondé par Jack Lang. Il a fondé l’Institut européen de l’acteur et codirigé en 1988 le Symposium international «?Le Siècle Stanislavski?». Joseph Bodson, Reflets Wallonie-Bruxelles *
Un miracle éditorial : neuf cent soixante-huit pages?! Seul un éditeur soucieux de la qualité de l’écriture, de l’intelligence du propos et de la charge humaine de cette incomparable aventure pouvait se risquer dans une telle entreprise?! Certains diront qu’on n’écrit plus «?comme ça?», qu’on ne publie plus «?de la sorte?». Une sérieuse mise au point dont se réjouiront les véritables amoureux de la littérature. Voici donc le lecteur obsessionnellement embarqué dans une épopée russe aux méandres insoupçonnés et à la culture du détail singulièrement affûtée. Lew Bogdan, son auteur, a dirigé le Festival mondial du théâtre fondé par Jack Lang. Il a également codirigé en 1988 le Symposium international «?Le Siècle Stanislavski?» au Centre Georges Pompidou. La saga débute à la fin du XIXe siècle, avec l’émigration des Doukhobors (une secte chrétienne communiste et pacifiste) vers le Canada. À l’époque, la répression tsariste ne souffrait aucune exception?! Lev Tolstoï organise le voyage. Lors d’une escale, une fillette orpheline de quatre ans est adoptée par l’infirmière de bord. Elle prendra le nom de Fenia Koralnik… Peu à peu, un formidable projet de théâtre va naître, entre péripéties individuelles bouleversantes et ce foyer passionnel premier qui enveloppe le récit et ne s’essouffle jamais (on ne compte plus les basculements de situations, les évitements qui réorientent l’intrigue aux multiples têtes). Avec l’avènement du cinéma, d’abord muet et précédant celui du cinéma parlé en 1927, Broadway et Hollywood procèdent d’un même élan passionnel, car le tracé du nouveau monde de l’art émargeait d’une phénoménale énergie, essentiellement alimentée par des inconditionnels du théâtre et de la comédie musicale… Dans la foulée de ces mutations décisives, le vibrant hommage rendu à Jacob Adler, l’un des fondateurs du Théâtre yiddish d’Odessa, et la mise en lumière du Théâtre d’art de Moscou, fondé par Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch Dantchenko, prennent ici tout leur sens Michel Joiret, Le Non-Dit. |
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