Extraits Quand
vous serez à la lisière des villes en longeant des haies de parchemins
éteints ; que vous prendrez le vent dans le creux de la main en
lisant des tempêtes anciennes, que vous irez sous des auvents de
paroles frémissantes vers des silences neufs, que vous douterez des
chagrins qui se gonflent de joies, que les images se bousculeront en
vous jusqu’au seuil des réveils, que le temps prendra quartier dans des
sursauts nouveaux où vous allez écarquillés sur le fil des souvenirs,
que la joie sera là où vous ne la connaissiez, des papillons furtifs,
des chansons de l’Orient, des voyages immobiles, des femmes qui
fredonnent aux enfants sans colère, quand vous serez une île, et la mer
et la barque, une façon de rire et de dire la joie de se perdre le
matin pour découvrir le soir, quand vous serez. * Quand vous serez passés bien au-delà du pont où vous menaient vos pas et que sans un effort vous tournerez la tête vers cet endroit lointain où vous vous prépariez à venir jusqu’ici, que votre adolescence ne fera plus obstacle aux rêves de l’enfance, que vous porterez dans le sac qui pèse à votre épaule des choses sans importance que vous abandonnez un jour sans intention particulière, l’épaule est plus légère soudain et le pas plus alerte ; quand vous ne craindrez plus la nuit qui glisse entre les hommes et les soude au plus vif de l’effroi en les jetant les uns contre les autres à coups de sexes ou de couteaux, qu’il suffira d’un souffle pour éteindre ces armes et vous laisser attendre le jour qui vient dans l’aube froide des reconstitutions, des inventaires et des listes infinies, vous hisserez alors votre corps jusqu’au seuil des lumières en laissant dans vos draps des fantômes chiffonnés que vous bordez d’un œil en ouvrant la fenêtre. * Affaire réglée Affaire réglée, je suis un lieu commun, une histoire courte dans un passé récent, une géographie plane dans un paysage sans accidents, une parole vive dans un silence ardent, affaire réglée, je suis un corps embrouillé d’organes et de flux déraisonnables, une épopée dans un temps sans histoires, une vague perdue dans ses remous, le dommage collatéral d’une lignée enfouie dans des gènes dispersés, affaire réglée, je suis un lieu commun, pas un cliché, pas une chose indistincte emportée dans un temps soumis à la durée, un lieu commun, une zone affranchie de ses frontières anciennes, un passage obligé pour rejoindre le peu d’humanité que je crois préserver dans des allures altières, une histoire de peu et souvent de très peu, une balise enfoncée dans un vide affiché, affaire réglée, je suis l’annoncier de tout ce qui se confond avec tout, ou le contraire, l’important, c’est le contraire de tout, qui permet le débat, l’esprit, le dialogue, le destin et cette chose infime que l’on croit deviner dans l’œil des lieux communs, uniques et bien centrés les yeux, les yeux qui laissent croire qu’ils sont des miroirs ou des tiroirs, de l’âme ou bien de lames, je ne sais que dire de commun qui réunisse les signes distinctifs du lieu commun, si ce n’est qu’ils vont seuls, convaincus d’être seuls, attentifs à cette solitude plénière qui est le caractère parfait du lieu commun… |
Ce qu'ils en ont dit Des carrés de pensées denses, tantôt fleuries de poésie, tantôt piquées de philosophie, mais toujours denses à déchiffrer, où chacun, finalement, lit ce qu’il veut lire entre les lignes en pointillés. C’est ça, la poésie, la liberté. Les textes ont beau être brefs, ils prennent du temps à lire. Puzzles de mots à démêler. Pas simple. Daniel Simon nous balade à travers ses écrits. « Quand vous serez… »… : des carrés-promenades touffus - sans points, sans points de repère - mais délimités au cordeau, où s’alignent rêves et pensées entremêlés, où l’on est « étonné de ne plus rien comprendre » comme le dit l’auteur. Mais, conclut-il au bout de ses errances dans le potager de la vie où il cultive ses idées, « ça je le sais et quelques choses encore. » On passe ensuite aux Echographies 1 et 2. La vie passée à l’échographie…de la pensée ? Après Babel poubelle, une succession de phrases éclatées, de bribes de pensées jetées au vent, et des images, des anecdotes, piquées ça et là dans le quotidien et qui nous sont livrées telles quelles, au petit bonheur des jours. Malgré le jasmin du jardin, l’auteur « tombe lentement dans un vaste chagrin ». Mais il écrit. Il se nourrit d’encre. Ecrire est rassurant. Se poser sur des mots pour s’envoler plus haut, si l’on peut. « Passer à travers en laissant une trace, le poème ». Une trace. Ou davantage. Ca aide à vivre. Quand vous serez bien vieille le soir à la chandelle… c’est toujours de mise. L’amour, le temps qui passe, la mort qui suit, remuer des mots pour tenter d’extraire de ce bouillon de culture la substantifique moelle de la vie. Quel doux plaisir… Isabelle Fable, Reflets Wallonie-Bruxelles * Dans ce recueil, Daniel Simon évoque la beauté fugace du monde, la fuite du temps(« le temps est notre plus précieux ennemi et nous devons l’aimer comme un amour qui s’éloigne ») et l’instabilité socio-économique ambiante. Mais plutôt que de se livrer à une « radiographie » du monde comme il va, le poète part de l’observation minutieuse de notre quotidien afin de dresser un portrait tantôt onirique tantôt réaliste de notre petite communauté humaine et mettre au jour la grandeur des âmes et des choses. Ainsi, à travers ces textes nés de rencontres et de perceptions diverses, Simon fustige un monde dans lequel l’individu a tendance a disparaître dans la masse monétaire et est séparé de ce qu’il est vraiment. Bref, en faisant le procès d’une époque où l’on a de plus en plus de mal à dissocier la réalité formelle de la réalité objective et où la superficialité voire la vulgarité deviennent la norme, le poète dénonce les falsifications de la vie et nous invite à dépasser le stade des représentations pour sortir de l’ignorance dans laquelle on est maintenu et saisir toutes les potentialités de l’existence. Car, et c’est l’originalité du propos de ce livre, si le poète déplore la déshumanisation qui gangrène nos sociétés modernes, il excelle également à mettre en valeur les « beaux fruits » que nous offre le monde… Quand vous serez dissipés dans la brume exhalée des vivants, que vous prendrez la mesure d’une infinie coudée votre vie passée, que vous direz en murmurant à l’oreille des enfants des choses entendues qui sauvent parfois des bouches trop goulues, que vous ferez mine de rien entre deux saules ici et deux ombres là-bas, que vous irez dans la vulgaire engeance des colères anciennes à califourchon sur de fières injustices, vous vous direz peut-être : va et note le chemin de ces quelques poèmes tombés de la poche du farouche claudiquant. « Quand vous serez » est un recueil d’impressions dans lequel le poète s’emploie à questionner le réel (devenu de plus en plus…virtuel !) pour s’interroger sur le vrai sens de la vie, se découvrir autre(« écrire, c’est détruire toutes les façons de percevoir existant déjà ») et saisir au vol l’ivresse de vivre de ses contemporains. Bref, par la grâce d’une écriture élégante et parfaitement maitrisée, Daniel Simon transfigure la réalité voire la recompose pour mettre en avant les forces actives de la vie et recueillir l’enthousiasme des utopies qui chantent dans la nuit du monde. Pierre Schroven, Traversées. * Deux poètes de l'ailleurs: Arnaud DELCORTE et Daniel SIMON Vingt ans les séparent. L’aîné, Daniel Simon (né en 1952) n’est pas au banc d’essai. Il est l’auteur d’une douzaine de livres. Il est revuiste et éditeur. Arnaud Delcorte, professeur à l’université, vient de publier un quatrième de recueil de poèmes. Chez l’un comme chez l’autre, le goût des ailleurs et des voyages, le goût aussi d’une langue gourmée, riche en consonances et en métaphores. Daniel Simon prospecte « à la lisière des villes » et à répéter en anaphore le « Quand vous serez » qui donne titre à son ouvrage, on sent l’imprégnation de sa langue pour des ailleurs que sa conscience bouscule, ramène au jour, comme l’on peut chanter des airs « de l’Orient », ou « le goût des enveloppes ouvertes comme un cœur ». Comme le mot l’indique, ses « Echographies » signalent de petites scènes observées au scalpel. La force des poèmes tient à ce regard incisif non dénué de tendresse. « Un village en apnée » ou « les oreilles battent jusqu’au bout des doigts ». Une sensualité précise « dans les bras d’une femme », l’exposé des désirs d’un homme qui se sait, se connaît dans le peu, dans le manque, sachant « glaner de quoi vivre en hiver ». Entre récit de soi et des autres, et poème du monde, Simon enchante par de longues laisses qui s’insinuent dans notre propre intimité. Cette empathie distille les perles d’une conscience habitée : « vous serez encore hésitants dans le soleil qui tombe en vous comme on réchauffe la mort qui vient en soufflant sur ses mains ». Une place pour la lumière, une autre pour l’enfance, et l’insigne présence, chaque fois, des ailleurs rêvés ou commentés. Avec une prose patiente. Philippe LEUCKX, Les belles Phrases. * Un livre écrit à la hussarde, à l'emporte-pièce, et qui – je m'excuse de multiplier ainsi les métamorphoses – dévale ainsi qu'un torrent, entraînant tout sur son passage. Car il y a chez Daniel Simon une grande force de vie, une capacité d'enthousiasme, mais aussi de mépris, assez peu commune. Ainsi, p. 9, le style prend son envol en larges bandes, comme des oiseaux de mer. Il y a là une sorte de grande houle, qui a la force et l'ampleur de certains beaux textes romantiques – même si Fauteur, par ailleurs, rejette toute accointance avec le romantisme. Avec une coupure brusque à la fin, qui clôture, mais pas définitivement : en attente : ... des voyages immobiles, des femmes qui fredonnent aux enfants sans colère, quand vous serez une île, et la mer et la barque, une façon de rire et de dire la joie de se perdre, le matin pour découvrir le soir, quand vous serez. Et puis, le poème suivant reprend la thème. A la page 15, la phrase semble se consumer et s'achever (abandonnés au hasard d'être toujours ici, vous filerez entre vos doigts vieillis des cordages et des échelles qui se défont aussitôt comme on jette dans le vent des promesses anciennes), mais elle ne se taira pas pour autant, elle reprend à la page suivante : Quand vous serez... Et ainsi aussi à la page 19, on a l'impression de tourner en rond, d'avoir trouvé une voie de sortie, et puis de se retrouver pris dans le cercle, un peu comme dans une partie de jeu du mouchoir, dans laquelle, tous les deux ou trois tours, on se retrouverait prisonnier au milieu. Parfois des textes très noirs, comme à la page 25, et puis, à la page 26, une très longue phrase : le futur mêlé de présent et de passé, en un ton qui est presque prophétique. Et puis, à la paçe 28, le ton change tout à fait, et c'est une autre phrase qui sert de leitmotiv : Ça, je le sais, sans que cela réponde à toutes les questions, à toutes les angoisses : ce qu'il sait, en fait, c'est la nostalgie d'une certaine enfance, ou de choses que l'enfant sait et que l'adulte a oubliées. Une sorte de paradis perdu : le monde des adultes qui pouvait paraître, aux yeux de l'enfant, un accomplissement total, voilà qu'il laisse les questions ouvertes, avec en plus un goût de revenez-y. Un passage superbe. Bien sûr écrire est une question d'enfance mais ne pas écrire ?, demande-t-il p.36. Et il reprend, p.44 : Une eau qui coule de l'enfance me piquette les pieds. Oui, c'est bien cela, une force de la nature, ancrée au plus profond de nos rêves, de notre enfance, et qui nous prend pour ne plus nous lâcher, entraînant avec elle toutes nos compromissions, nos faux-semblants, pour en nouer la gerbe de quelques instants précieux entre tous. Joseph Bodson, Reflets Wallonie-Bruxelles. | ||