Né à Zagreb en 1954, Dražen Katunarić est diplômé en philosophie à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg et a obtenu une maîtrise en 1978 dans la même faculté. Rédacteur de la revue La Lettre Internationale, rédacteur en chef de la revue littéraire Most / The Bridge, ainsi que de l’édition croate de la prestigieuse revue Europski Glasnik (Le Messager européen), il est également directeur de la maison d’éditions Litteris. Il publie depuis 1980. Son œuvre, qui jouit d’une réputation internationale, comprend une douzaine de recueils de poèmes, de nombreux essais, des romans et un recueil de nouvelles. Ses poèmes figurent dans nombre d’anthologies. Certains ont été traduits en français, italien, anglais, allemand, albanais, bulgare, hongrois, roumain, slovaque, corse. Un recueil d’articles, Croatie / France – Plusieurs siècles de relations historiques et culturelles est paru en édition bilingue à Zagreb en 1995. Une traduction française de son recueil Ciel / Terre est parue en 2008. Il a obtenu de nombreux prix de poésie (Branko Radičević 1984, Tin Ujević 1994, Delhi Telugu Academy pour la littérature, 1995, Matrix croatica pour le meilleur livre de poésie, 1999, Prix du Cercle européen, 1999, Menada de la Manifestation Littéraire Internationale Ditet E Naimit, 2002). Il est régulièrement l’hôte de manifestations littéraires internationales. | ||
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![]() Tableau de couverture: : Robert Delaunay, Tour Eiffel, 1911 | La maison du déclin Essai-balade, 2017 édition revue et corrigée par l'auteur 192 pages. ISBN : 978-2-8070-0125-1 17,00 EUR 978-2-8070-0126-8 (PDF) – 978-2-8070-0127-5 (ePub) Titre original : "Kuća dekadencije" (© Naklada MD) traduit du croate par Gérard Adam sur base d'une traduction préalable de l'édition originale par Sasa Sirovec et Zlatko Wurzberg Nous promenant
de Notre-Dame de Paris au carnaval de Venise en passant par les
lisières du Sahara, Strasbourg, la Provence, l’œuvre de Hugo, la Rue
des Crocodiles de Bruno Schulz ou le gigantesque ennui dans les
sociétés communistes, l’auteur nous fait réfléchir sur la disparition
du sacré dans l’architecture contemporaine sans que pour autant
l’humain y trouve satisfaction.
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![]() 10,99 EUR |
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Extrait Il me semble que je n’ai commencé à comprendre l’importance de la Renaissance pour l’esprit humain qu’après m’être rendu dans des villes pittoresques de la porte du Sahara, dans la pentapole du M’Zab, qui vivent littéralement en l’an 1300 et quelques, d’après le calendrier arabe. Là-bas, c’est toujours le Moyen Âge dans le sens européen du théocentrisme, mais sans les signes avant-coureurs de la Renaissance que cette région n’a pas connue et ne connaîtra probablement jamais. Aussi, faut-il saisir l’occasion de comprendre ici, aujourd’hui, ce qui existait, mutatis mutandis, chez nous autrefois, essayer au moins de deviner les contours de la vie dans ses traits essentiels, ne pas chercher les Lumières par un retour en arrière, ne pas reconstruire les traces dans la pensée, mais voir, avoir une perception sensible, afin de saisir le sens de ce qui suivra. Ce n’est pas ma méthode, mais le hasard qui m’a conduit en ce lieu où je me suis senti profondément plongé dans le Moyen Âge, bien que la religion ne soit pas la même. L’islam, qui règne ici dans sa version ibadite, a constitué une médiation dans la traduction et la diffusion de la philosophie grecque sans laquelle la Renaissance européenne n’aurait probablement pas pu se produire. Je ne me suis donc pas égaré ici par hasard : il y a, entre les choses, une concordance lorsqu’on s’y attend le moins. Si je ne m’étais pas rendu dans la pentapole saharienne, je n’aurais pas pu savoir, par exemple, que l’unique œuvre de Le Corbusier que j’avais appréciée, justement parce qu’elle diffère de toutes ses autres constructions, à savoir la chapelle de Ronchamp, est un pur faux, une plate copie – quant à la forme – de la jolie petite mosquée Sidi Brahim d’El Atteuf, la plus ancienne ville de la confédération saharienne. Malheureusement, c’est un fait que ne mentionne aucun de ces livres ou monographies qui glorifient et louent cette œuvre de Le Corbusier, voire la citent parmi les sommets de l’architecture moderne. | ||
Ce qu'ils en ont dit Philosophe
et poète, Dražen Katunarić part de ce constat : le progrès n’est
plus un arrachement à la tradition, il est notre tradition même. Il ne
résulte plus d’une décision, il vit sa vie, automatique et autonome. Il
n’est plus maîtrisé, il est compulsif. Il n’est plus prométhéen, il est
irrépressible. Nous sommes soumis à la loi du changement comme nos
ancêtres pouvaient l’être à la loi immuable. En tout domaine ou
presque, l’obsolescence a eu raison de la permanence. Il n’y a donc pas
de mérite particulier à faire bouger les choses, car elles se passent
très bien de nous pour cela. Ça déménage avant même que nous
songions à lever le petit doigt. Et si – de la pentapole du M’Zab à la maison de Wittgenstein – l’architecture occupe une place centrale dans ce livre somptueusement écrit, c’est parce qu’il importe désormais non d’accompagner le mouvement mais de faire un pas de côté et de réapprendre à habiter le monde. Alain Finkielkraut (quatrième de couverture). *
À la tête d’une petite structure, Gérard Adam a toujours choisi de privilégier la qualité à la quantité. Un choix qui l’honore, lorsqu’on connaît les contraintes liées au monde de l’édition belge et les incertitudes qui font qu’un ouvrage soit apprécié ou non par la communauté des lecteurs. En se fiant à son goût, il met en avant des romans, des essais et des recueils de poésie qu’il a retenus pour leurs qualités intrinsèques et qui s’éloignent des poncifs. C’est donc chaque fois avec beaucoup de curiosité qu’on découvre les livres qui viennent de sortir de presse et qui se caractérisent le plus souvent par une réelle originalité, un ton décalé ou une belle virtuosité stylistique. L’avantage de cette formule est de fidéliser les acheteurs qui, en confiance, savent qu’ils peuvent se fier au goût du maître d’œuvre et se procurer le dernier titre sans craindre une déconvenue. Un peu comme certains cinéphiles qui trouvent leur alter ego en la personne de l’un ou l’autre critique, qui les invite ou non à se procurer un ticket dans une salle de projection. Philosophe et poète, Drazen Katunaric s’interroge sur le progrès. Ce dernier est-il un mal ou un bien ? Convient-il de lutter pour sauvegarder les traditions ou vaut-il mieux se laisser emporter par le flot de modernité qui touche chaque société ? Assez vite, l’auteur conclut que le monde est en route et que son mouvement est permanent. Inutile de s’accrocher à un combat d’arrière-garde et de lutter contre tout ce qui touche aux habitudes. S’il n’y a aucun mérite à faire bouger les choses, il est au contraire inutile de s’y opposer, car les changements se passent de notre avis et de notre acquiescement. Traduit du croate par Gérard Adam, d’après la version de l’édition originale de Sasa Sirovec et Zlatko Wurzberg, « La maison du déclin » est un essai qui propose une radioscopie de notre siècle et qui ose un regard sur une civilisation en plein bouleversement, soumise à un flux permanent qui la fait vibrer sur son socle. Loin de tout pessimisme, l’auteur s’interroge et apporte une réflexion sur notre présent et sur ce qui alimente l’avenir. Plutôt que de parler des technologies, il jette un regard lucide sur l’architecture, qui occupe une place centrale dans cet écrit, et invite chacun à poser un pas de côté pour réapprendre à regarder son environnement et à l’habiter sans heurts ni nostalgie (forcément désuète !) Daniel Bastié, Bruxelles-Culture. *
Réhabiter le monde « L’homme décadent ne cesse pas de se demander : pourquoi suis-je né à l’époque où tout se dégrade, s’est déjà dégradé ? » C’est à partir de cette interrogation que débute le vivifiant essai de l’écrivain croate Drazen Katunaric, d’abord publié 1992 à Zagreb. Si l’homme d'aujourd’hui impute volontiers toute la misère intellectuelle au numérique, en regrettant par exemple l’époque des livres papier, il faut savoir que Victor Hugo dans un chapitre de Notre-Dame de Paris intitulé Ceci tuera cela représente ce déclin par la face monstrueuse de Quasimodo et accuse les livres imprimés qui ont brutalement supplanté les cathédrales. Autres temps, autres mœurs, seul demeure l’homme décadent. Mais ce chapitre hugolien est avant tout, souligne l’auteur, un excellent point de départ pour toute réflexion sur l’architecture et la ville, car Hugo considérait l’architecture comme l’art total, le seul moyen d’expression de l’humanité entière. (…) Le livre imprimé est ce ver rongeur de l’édifice qui suce et dévore, rend l’architecture mesquine, pauvre et nulle. (…) L’imprimerie a tué le sacré du livre, sa rareté, son caractère précieux, l’effort de sa fabrication. Et l’époque où a lieu ce déclin, où la ville change de face, où l’architecture n’est plus l’art collectif qu’il était, c’est, pour le philosophe, la Renaissance. Perte du sentiment divin, profanation du sacré au service du dépouillement, de la démolition, l’architecture, instrumentalisée (à l’égal de l’automobile plus tard), conçue comme moyen et non plus comme but, devenue stricte machine à habiter, va se mettre au service du social et devenir utilitaire dans le même temps où elle va contraindre, avec Adolf Loos, Frank Lloyd Wright, Walter Gropius ou Le Corbusier, l’homme à vivre dans des formes et des matériaux sans âme ni fantaisie. Sans l’idée de Dieu, l’insignifiance des choses devient criante. Et l’architecture qui est rapport au divin, au céleste, déracinée de la terre du passé et sans élévation, perd tout repère. Katunaric cite aussi Herman Broch pour appuyer sa thèse : Les deux grands moyens rationnels de communication au sein du monde moderne, le langage de la science utilisé dans les mathématiques et le langage de l’argent utilisé dans la comptabilité, ont leur point de départ dans la Renaissance. C’est aussi l’exil de l’homme moderne qui est questionné, entre regret de la croyance perdue et la difficulté de vivre sans croyance. Depuis la Renaissance l’idée de progrès a remplacé la notion de salut, les sciences et idéologies, la religion. C’est dans cet ordre d’idée que l’auteur rejette dos à dos capitalisme et communisme (l’ayant vécu dans sa chair, il ne peut s’en faire une idée exotique, de rédemption, et déclare que le marxisme est mort de l’ennui qu’il a suscité) ayant régné de conserve pendant près d'un siècle, comme berceaux de régimes utopiques, donc totalitaristes. Sont aussi convoqués dans cet ouvrage Dostoïevski et son Palais de Cristal, Bruno Schultz et son Traité des mannequins qui préfigure ou accompagne le devenir-machine de l’homme, et même Bernard-Henry Lévy et son Testament de Dieu (« S’il n’y a plus de péché, c’est l’âme qui est le crime. S’il n’y a plus de rédemption, c’est la vie qui est l’expiation. ») Katunaric analyse le rapport au temps, à l’histoire, au passé qui définit l’injonction à être moderne. On passe ainsi du Café Apocalypsis au Bar Nihilismus où l’idée de Dieu a été remplacée par l’idée de progrès, de science et de technique qui font office de pensée, de connaissance. Le progrès étant une décadence, la décadence devient un progrès, dit en substance Jankélévitch en guise de cqfd à cet essai, riche et dense, mené allègrement, somptueusement écrit (comme l’écrit Alain Finkielkraut en quatrième de couverture) et traduit du croate par Gérard Adam, en sollicitant notre intelligence tout en parcourant les allées des anti-lumières qui nous permettent de critiquer l’époque contemporaine avec ses faux-semblants, sa religion du progrès en marche et ses masques de bonheur dans le carnaval qu’est devenu le monde et cela dans l'espoir de le réhabi(li)ter. Un des derniers chapitres, relatif à Maison de Wittgenstein, dresse un éloge remarquable de l’ornement en architecture (« la seule partie artistique de la maison »). L'ultime partie du livre nous entraîne à Venise, dans la ville du déclin (que Ruskin date de 1418 avec la disparition de l’architecture gothique) pour une promenade fantomatique où l’art d’un Bellini sauve le narrateur de la tromperie des masques et où le chant d’un gondolier qui s’éloigne le libère de la rumeur du monde trop présente, trop prégnante. Chez MEO, on trouve du même auteur, un roman, La mendiante, et un recueil de nouvelles, Le baume du tigre. Éric Allard, Les Belles Phrases *
L’auteur est philosophe, chose que l’on ressent très fort dans la manière dont il est écrit et nous pousse à nous poser pas mal de questions sur ce qu’est réellement le progrès. Bonne ou mauvaise chose ? Sommes-nous vraiment à l’origine de la progression de toute chose ? Le progrès à t-il réellement besoin de nous dans son ascension ? […] Je ne me souviens pas qu’un livre ait réussi à me faire me poser autant de questions […] La maison du déclin est un livre à découvrir par tout les amateurs de questionnement et de réflexion. | ||
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